sechura-logo

Programme archéologique Désert de Sechurasechura-bandeau

Dates : 2016-2019

Problématique

Ce programme se focalise sur la côte Pacifique des Andes centrales, spécifiquement le désert de Sechura. Il a pour but de préciser les interactions sociétés humaines/milieu à travers l’exploitation des ressources naturelles.

Malgré son climat aride et son exposition à de nombreux aléas naturels (séismes, tsunamis, phénomène El Niño, etc.), le littoral péruvien est occupé depuis au moins 12 000 ans. Les sociétés côtières y ont été particulièrement exposées à des phénomènes brutaux, auxquels elles ont dû faire face, mais également à des évolutions littorales plus lentes mais importantes, notamment géomorphologiques (déplacement du trait de côte, apparition ou disparition de milieux spécifiques, modifications des écosystèmes, etc.). Dans ce contexte, les sociétés ont su développer des stratégies de subsistance originales et s’adapter aux changements et aux contraintes.

Pour étudier les processus d’anthropisation de cette côte et les modes d’adaptation des hommes et des animaux aux changements, le programme se fonde sur la fouille de plusieurs sites : Bayovar-01 en 2012 et 2013, Huaca Amarilla et Huaca Grande en 2015. Le choix du désert de Sechura et de la péninsule d’Illescas s’explique par les perspectives que cette région offre en termes de conservation et d’environnement. Espace désertique et aride, d’une surface avoisinant les 20 000 km2, avec une pluviométrie réduite et des températures moyennes de 32 à 35°C durant la saison sèche (de décembre à mai), il comporte des vestiges exceptionnels, notamment d’origine organique. Par ailleurs, sa localisation face à la zone de rencontre des eaux froides du courant de Humboldt et des eaux chaudes venant d’Équateur en fait un lieu idéal pour observer les effets du phénomène climatique périodique El Niño.

Le programme cherche à comprendre les relations Homme/milieu à la fois dans la synchronie et dans la diachronie à une échelle régionale. Dans les stratégies de subsistance, ont pu jouer un rôle majeur des réseaux d’échanges avec spécialisation de plusieurs sites pour alimenter d’autres zones de la côte, des vallées ou des Andes.

Travaux et résultats

 

Bayovar-01 (2012-2013)

Bayovar-01 est un petit établissement daté de 489-760 apr. J.-C. Localisé sur une terrasse marine pléistocène, à 9-18 m au-dessus du niveau de la mer et à environ 6 km du rivage, il est séparé de l’océan par une étendue sableuse plane située à la fois au-dessus et sous le niveau de la mer (dépression Las Salinas). La fouille extensive de plusieurs secteurs a permis de caractériser l’occupation et la fonction du site avec la découverte d’une grande aire d’activité spécialisée. De petites structures ont été construites avec des dalles taillées dans des blocs de concrétions marines et elles ont été protégées du vent par des paravents (des centaines de poteaux découverts au pied des dalles témoignent de cela).

La fouille par décapage a mis au jour la superposition de grandes zones de crémation avec des foyers et/ou d’aires de combustion, couvrant plus de 10 m2. Le matériel de combustion utilisé est du charbon de bois, des graines carbonisées et, plus étonnant pour la zone, de fèces de camélidés. La faune recueillie est essentiellement composée de restes ichthyologiques (plus de 35 000 otolithes et plus d’un million d’autres restes de poissons), appartenant notamment aux Sciaenidae (Micropogonias altipinnis), aux Mugilidae (Mugil cephalus) et, dans une moindre mesure, aux Albulidae et aux Gerreidae. On a trouvé également des restes de tortues (Chelonia mydas) et d’oiseaux (Pelecanus thagus, entre autres). L’identification de Micropogonias altipinnis et d’Albula esuncula sp. suggère un paléo-environnement différent de l’actuel : en effet, les deux espèces fréquentent préférentiellement des eaux côtières chaudes et peu profondes avec fonds sableux à vaseux, comme dans le Golfe de Guayaquil. Leur présence peut donc indiquer des eaux plus chaudes, un niveau marin plus élevé, l’existence d’une lagune ou d’un estuaire. Pour voir clair entre ces hypothèses il fallait engager une étude paléogéographique et, notamment, vérifier si la mise en eau de l’actuelle plaine sableuse de Las Salinas se faisait par des apports continentaux via les oueds (comme c’est le cas aujourd’hui) et/ou par des apports marins, alimentant en eau salée des lagunes pérennes, un milieu favorable à la présence des taxons cités. La réalisation de sondages dans la dépression, la corrélation de faciès sédimentaires, l’identification de la malacofaune présente (bio-indicateur des milieux et du type d’environnement) et des datations au radiocarbone ont débouché sur une première synthèse chrono-stratigraphique des dynamiques morpho-sédimentaires littorales de la zone durant les deux derniers millénaires. Ce travail a montré que la formation d’une paléo-lagune fut le résultat de la combinaison de contextes géomorphologique et climatique singuliers, associée à l’occurrence vraisemblable d’un, voire de deux épisodes El Niño majeurs entre 500 et 750 apr. J.-C.. Ces éléments auraient permis l’émergence de conditions environnementales exceptionnelles avec la formation et le maintien d’une paléo-lagune que les populations auraient abondamment exploitée. Les conditions environnementales favorables entre les vie et viiie siècles apr. J.-C. ont ainsi rendu possible une pêche extra-ordinaire (en termes de biodiversité et de biomasse) et l’installation d’une petite communauté de pêcheurs au bord de la lagune. D’autres éléments confirment que Bayovar-01 fut vraiment un site spécialisé dans la pêche et dans la préparation des poissons en vue de leur exportation vers d’autres zones écologiques. Quant à la présence importante des fèces de camélidés, elle résulte probablement de l’arrivée de caravanes de lamas sur le site (ces animaux n’y étaient pas consommés). La spécialisation du site est un phénomène inédit pour cette époque, seuls quelques exemples étant connus pour des périodes plus récentes.

Huaca Amarilla et Huaca Grande (2015)

Les opérations menées en 2015 sur les sites Huaca Amarilla et Huaca Grande ont eu des objectifs similaires et ont visé à mieux comprendre l’occupation du désert et à bâtir une chronologie régionale.

Huaca Amarilla comporte le plus grand ensemble architectural de la région : il se compose de deux grandes structures en pierres et d’un vaste dépotoir. Les fouilles ont livré de nouvelles données sur l’utilisation des ressources naturelles, mais aussi sur la séquence architecturale et sur les pratiques rituelles qui se déroulaient à cet endroit : découverte d’un dépôt avec six camélidés accompagnés de deux spondyles, de deux calebasses et de deux vases en céramique (une bouteille en forme de poisson et une petite jarre) datant de la période chimú (850-1470 apr. J.-C.).

Huaca Grande est un grand amas coquillier situé à 400 m du littoral. Les deux sondages effectués à ce jour à cet endroit ont livré une stratigraphie de 2,50 m de profondeur avec deux occupations principales. L’ensemble couvre une séquence culturelle de plus de 2 000 ans (datée pour l’instant à partir de la céramique). Cette séquence, d’une durée exceptionnelle pour la région, va permettre de caler chrono-stratigraphiquement plusieurs styles céramiques. En 2016, des fouilles auront lieu sur des contextes spécifiques de ces deux sites.

Lien

Publications :

Goepfert N., P. Béarez, A. Christol, B. Gutiérrez, P. Wuscher 2014. The fishermen of Sechura: excavations at a specialised site from the Early Intermediate Period, extreme northern Peru, Antiquity 340, june 2014, http://journal.antiquity.ac.uk/projgall/goepfert340

Christol A., N. Goepfert, P. Bearez, P. Wuscher, B. Gutiérrez (sous presse). Étude géoarchéologique multiproxy de la paléo-lagune Las Salinas dans le désert de Sechura (Pérou), Nouvelles de l’Archéologie, numéro spécial du groupe de travail « Changements environnementaux et sociétés dans le passé » du LabEx DynamiTe.

Goepfert N., A. Christol, B. Gutiérrez (sous presse). La ocupación prehispánica del desierto de Sechura (Perú): evolución de un territorio en margen frente a los cambios medioambientales, in N. Goepfert, S. Vasquez, C. Clément, A. Christol (eds.), Las sociedades andinas frente a los cambios pasados y actuales: dinámicas territoriales, crisis, fronteras y movilidad. IFEA-UNT, Lima.

Goepfert N., P. Béarez, A. Christol, B. Gutiérrez (sous presse). Subsistence economies in margin areas with natural constraints: interactions between social dynamics, natural resource management and paleoenvironment in the Sechura Desert, Peru, in G. Prieto & D. Sandweiss (eds.), New Perspectives on Andean Maritime Communities, University Press of Florida.

Responsables
Nicolas Goepfert (CNRS-Université de Paris 1, UMR 8096)
Belkys Gutiérrez (Universidad nacional de Trujillo, Pérou)
Institutions scientifiques partenaires (outre l’UMR 8096)
Muséum national d’Histoire naturelle, Paris (MNHN, UMR 7209)
Université de Lyon 3 (UMR 5600)
Laboratoire géographie physique, Meudon (LGP, UMR 8591)
LabEx DynamiTe-Hésam
Institut français d’études andines, UMIFRE 17, Pérou
Universidad nacional de Trujillo (UNT), Pérou
Universidad Nacional Federico Villareal (UNFV), Lima, Pérou
Ministerio de Cultura, Lima, Pérou
Financements
Ministère des Affaires étrangères et du développement international
Académie des inscriptions et belles lettres (Prix Carroll en 2011)
UMR 8096 Archéologie des Amériques
LabEx DynamiTe-Hésam
Université de Paris 1
BGL Arqueología
Nemo Corporations
Collaborateurs
Philippe Béarez (UMR 7209, CNRS-MNHN)
Christine Lefèvre (UMR 7209, CNRS-MNHN)
Aurélien Christol (UMR 5600, université de Lyon 3-CNRS)
Matthieu Carré (Institut des sciences de l’environnement, CNRS-Université de Montpellier 2)
Patrice Wuscher (LGP, UMR 8591)
Segundo Vásquez (Universidad nacional de Trujillo, Pérou)
Valentin Mogollón (Universidad nacional Federico Villareal, Lima, Pérou)