Mission archéologique française en Alaska (mafAK)
Fouille de Little Panguingue Creek (HEA-038) vallée deNénana, Alaska, États-Unis
Dates : depuis 2018
La mission archéologique française en Alaska (mafAK).
Née d’un financement du Ministère des Affaires étrangères en 2013, la mission archéologique française en Alaska (mafAK) se structure autour de trois axes principaux : les fouilles archéologiques, la formation d'étudiants français à l'archéologie de la Béringie et l’étude de collections archéologiques majeures. Le premier peuplement de l’Amérique est au cœur des problématiques de la mafAK. Il ne s’agit pas du seul axe, puisque la mission cherche également à appréhender une zone géographique et culturelle (la région intérieure) sur le long terme (plusieurs millénaires), avec une approche méthodologique innovante pour la région en important des disciplines peu développées par l’école américaine : la paléoethnologie, l’analyse spatiale, la technologie lithique à la française, la tracéologie lithique, l’anthracologie et la micromorphologie. Toutefois, cette question du premier peuplement préhistorique de la Béringie et des Amériques reste un sujet majeur pour la mission Alaska : notamment par l’étude de collections anciennes comme Swan Point, mais également par la recherche de nouveaux sites préhistoriques anciens, comme dans la vallée de la Tanana ou dans la vallée de la Nenana. Depuis 2018, la mission se focalise sur la fouille du site de Little Panguingue Creek dans la vallée de la Nénana.
Localisation et historique de la fouille.
Le site de Little Panguingue Creek (HEA-038) est localisé dans la vallée de la Nénana, à proximité du village de Healy dans la région intérieure de l'Alaska. Il se situe sur le versant sud d'un promontoire sur une terrasse d’épandage fluvioglaciaire datant de la glaciation de Healy (il y a environ 60 000 ans). Le site surplombe le ruisseau éponyme Little Panguingue Creek, dans les contreforts de la vallée de la Nénana. Il se situe notamment à environ 7 km au nord-ouest du fameux site Dry Creek (HEA-005). Lors de la construction ou de la réparation de l'autoroute se trouvant à proximité (George Parks Highway), le site a été endommagé par une série de tranchées de bulldozer, notamment à proximité de la zone de fouille principale, puisque la découverte initiale de ce site s’est faite sur le bord de cette tranchée. Le site fût initialement découvert et sondé par David C. Plaskett en 1976, dans le cadre du projet North Alaska Range Project (NARP), un projet annexe à la fouille du site préhistorique de Dry Creek dirigée par W. Roger Powers. En 1979 et en 1984, John F. Hoffecker et W. Roger Powers se sont à nouveau rendus sur le site afin de mettre au jour un profil stratigraphique complet et faire quatre sondages de 1 m2.
Contexte stratigraphique et datation du site.
Les dépôts sont une succession de limons et de limon sableux d’origine éolienne. Deux complexes de paléosol sont visibles à travers le site. À ce jour, trois niveaux ont été identifiés :
- Niveau C1 : fin Pléistocène. Lors de la découverte du site dans les années 1970, ce niveau n'avait pas été clairement daté. Mais en 2015, une datation sur du charbon de bois a permis une première datation de ce niveau à c. 11 200 cal BP. Le matériel ne se compose que de quelques dizaines d’éclats et d’esquille, sans aucune pièce diagnostique (absence de nucléus, lamelles, outils, etc.). L’essentiel de ces pièces sont en rhyolite. Aucune structure (tels des foyers) n’a été découverte dans ce niveau.
- Niveau C2 : transition Pléistocène-Holocène. Cette occupation plus récente est de loin l’horizon culturel le plus dense et le plus intéressant du site, que ce soit dans le nombre de pièces découvertes, mais également d'un point de vue technologique et de la culture matérielle. Ce niveau est daté de c. 9500 à 10 500 cal BP. Des dates plus récentes ont été obtenues, mais provenant à priori de contextes avec des perturbations modernes. De nouveaux prélèvements de charbon seront réalisés afin de dater à nouveau le niveau. Le niveau C2 a livré plus de 6000 pièces archéologiques, dont de nombreux artefacts diagnostiques (nucléus à lamelles, nucléus à éclats, lamelles, grattoirs, burins, lames retouchées, percuteurs en pierre, pièces en obsidienne, etc.).
- Niveau C3 : mi ou fin Holocène ? En 2022, une nouvelle composante culturelle a été découverte (C3, composante 3), tant dans le secteur 1 que dans le secteur 2. La chronologie est pour l’instant indéterminée (datations à venir), mais la profondeur du mobilier (10 à 20 cm sous la surface) indique une chronologie plus récente que C2, datant sûrement de la mi ou fin Holocène. Seule indication concernant l’industrie lithique : il s’agit d’une industrie à composante lamellaire par pression.
L’unité d’occupation U1.
Depuis le début du projet, la fouille s’est surtout focalisée à l’endroit de la découverte initiale du site (autour des sondages des années 1970 et 1980), en élargissant cette zone de fouille chaque année. L’ouverture de plusieurs carrés les années précédentes a permis de mettre en évidence une unité d’occupation unique (nommée U1, pour « Unité d’occupation n°1 »), clairement délimitée. Cette entité représente la première unité d’occupation identifiée sur le site. Ce terme ne préjuge pas de la fonction de l’unité (habitat, atelier de taille, etc.), ni de sa structure (ouverte ou fermée), ni de son contexte (unité unique, unité au sein d’un campement plus large, etc.). Elle indique simplement la présence d’un locus spatialement délimitée. Il est encore difficile de proposer une interprétation fiable concernant l’organisation spatiale de l’unité d’occupation U1 (présence des sondages des années 1970 et 1980 au milieu de l’unité, contextes perturbés dans la partie supérieure de la stratigraphie, analyses en cours, etc.).
L’occupation du secteur 2.
Le secteur 2 se trouve une centaine de mètres au sud, et a fait l’objet de sondages manuels, de sondages géophysiques et d’une fouille. Finalement le secteur 3, quelques centaines de mètres plus au sud et sur un relief plus élevé, est en cours d’exploration (sondages) et n’a pour l’instant pas livré de mobilier archéologique. Lors des campagnes 2018 et 2019, une nouvelle zone (secteur 2) est explorée, située à une centaine de mètres au sud de la fouille principale (secteur 1), afin de découvrir de nouvelles aires d’activité ou de nouvelles occupations. Ce n’est qu’en 2022 que les fouilles mettent au jour une nouvelle occupation : l’ouverture de cinq carrés va mettre en évidence une nouvelle aire d’occupation, caractérisée par une industrie lamellaire. Tout le mobilier lithique découvert s’est fait à proximité de la surface, à 10-20 cm de profondeur. Il s’agit probablement d’un niveau récent, mi ou fin Holocène. Plusieurs datations sont en cours. Si c’est le cas, cela viendrait confirmer la présence d’une composante 3 (C3). Ce secteur se caractérise par une densité assez faible de mobilier, alors même qu’il y a plusieurs pièces techniques (nucléus, tablettes, et outils). D’un côté la faible quantité de matériel semble indiquer une activité modérée dans le temps. Mais de l’autre, il y a une plus grande variabilité de l’industrie (lamelle en obsidienne, éclats en calcédoine, burins, lames, percuteur, etc.). Sommes-nous en présence d’un évènement ponctuel et unique ? Cela reste à déterminer par de nouvelles fouilles, mais également par l’analyse de l’industrie lithique de ce secteur que nous allons mener cette année (remontages, etc.). En tout cas, la présence d’une industrie un peu plus varié n’est pas non plus incompatible avec un évènement unique : un tailleur, avec son percuteur, qui produit quelques lamelles et qui a quelques outils, notamment des burins pour rainurer du bois afin d’y insérer les lamelles. La question est donc de savoir si ce secteur représente une activité isolée ou les limites extérieures d’une occupation plus dense et importante.
Une approche palethnologique.
Les données obtenues montrent l’intérêt d’une étude multidisciplinaire, de l’approche paléoethnologique et de la nécessité d’ouvrir de plus grandes aires de fouille car d’autres unités d’occupation (locus ou sites) sont probablement à proximité. Notre but ultime est de développer une démarche d’analyse spatiale et d’approche paléoethnologique. En Alaska, nombreux sont les sites étant fouillé sur quelques mètres carrés uniquement, et lorsque les sites sont fouillés sur de plus grandes aires, ces approches sont rarement mises en œuvre. Quelle est l’importance de cette approche paléoethnologique? Il s’agit tout simplement d’un autre niveau d’analyse, qui permet non seulement de dégager les grandes tendances chrono-culturelles de ces groupes, mais également d’observer plus en finesse certains aspects de l’organisation de la vie sociale (présence d’apprentis, organisation du campement, gestion des ressources ligneuses, types d’activités, etc.). Afin d’obtenir cette vision générale du campement, il est nécessaire d’élargir les techniques de détection des occupations, les prospections, les secteurs analysés, les zones de fouille et les types d’analyses. Seule cette ambition pluridisciplinaire et paléoethnologique à grande échelle permettra de comprendre le site dans sa globalité : du tailleur, à l’aire d’activité, au campement, jusqu’à l’environnement qu’il occupe.
Responsables
Yan Axel GÓMEZ COUTOULY (UMR 8096 ArchAm, CNRS)
Collaborateurs et institutions partenaires
Kelly E. GRAF (University of Texas A&M)
Ted GOEBEL (University of Texas A&M)
Angela K. GORE (University of Texas A&M)
Thomas M. URBAN (Cornell University)
Caroline HAMON (UMR 8215 Trajectoires, CNRS)
Financements
Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE)
Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV)
University of Texas A&M
UMR 7055 Préhistoire et Technologie
UMR 8096 Archéologie des Amériques
Site web de la mission
https://www.mafak.cnrs.fr/
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