Recherches sur l'habitation La Caroline (Guyane)
Dates : depuis 2015
Problématique
L’habitation La Caroline est un domaine agricole créé à la fin du XVIIIe s. par Thomas Favard à Roura (Guyane), sur la rive droite de l’Oyack, le bras principal du fleuve côtier Mahury. Elle connaît son apogée dans la première moitié du XIXe s., sous l’administration de Michel Favard, fils du précédent et l’un des principaux notables de la colonie à cette époque. L’activité de l’habitation se prolonge quelques années encore après le décès de ce dernier en 1863, soit après l’abolition de l’esclavage, fait relativement rare en Guyane. Les sources historiques, très lacunaires, permettent de confirmer qu’elle était encore en activité en 1868 et de retracer les changements de propriétaires fonciers jusqu’en 1924. Elle appartient aujourd’hui au domaine public foncier.
Connue depuis la fin des années 1990, elle a fait l’objet de premières recherches au début de la décennie suivante, menées à l’époque par Kristen Sarge (Inventaire) et Georges Lemaire (Service régional de l’archéologie), mais longtemps restées sans suite. Elle est malheureusement l’objet, comme toutes les habitations relativement proches des centres urbains, d’un pillage régulier, qui impose une certaine prudence quant à la nature et à l’ampleur des recherches de terrain.
En 2015, un projet d’étude de l’habitation a été relancé par Nicolas Payraud, alors conservateur régional de l’archéologie. La direction des affaires culturelles de Guyane a ainsi financé la réalisation d’un relevé LiDAR du secteur de Roura dans lequel se situe l’habitation, puis une première campagne de fouille en 2016, en collaboration avec l’institut d’archéologie de l’université de Wroclaw (Pologne), prolongée par une étude du mobilier métallique en 2017. Les recherches sont poursuivies par le responsable dans le cadre des travaux de l’UMR 8096.
En parallèle, le quartier servile a fait l’objet de trois campagnes de sondages (2016, 2018 et 2019) sous la direction d’Elizabeth Clay, doctorante à l’université de Pennsylvanie.
Prévue en 2019, une nouvelle phase de recherches de terrain est prévue en 2020, dans le cadre d’un programme qui devrait se poursuivre en 2021 et 2022.
Une habitation à épices, témoin du statut de la famille Favard
Comme toutes les habitations du quartier de Roura, La Caroline est avant tout une habitation à épices, même si la canne à sucre y est aussi cultivée ; Michel Favard tente aussi, pendant une courte période, d’y produire du coton. Les seuls lieux de production identifiés sur le site sont toutefois une giroflerie, une roucourie et une gragerie, autrement dit les lieux dédiés respectivement au séchage du girofle, à l’extraction du roucou (plante utilisée notamment comme colorant alimentaire) et à la préparation du manioc.
L’habitation même est structurée en deux espaces bien identifiables : à l’est, une terrasse surélevée dominée par la maison de maître flanquée de sa cuisine. Cette terrasse est considérée comme le quartier résidentiel, bien qu’elle abrite aussi la giroflerie et l’économat. En contrebas, l’espace est constitué de deux séries de bâtiments en enfilade, de part et d’autre d’une voie est-ouest qui descend en pente légère vers l’Oyack. Les deux bâtiments les plus proches du quartier résidentiel sont la gragerie et l’hôpital, qui accroissent la séparation physique entre ce dernier et le quartier servile, les autres bâtiments étant les cases des esclaves (puis des travailleurs, après 1848). L’habitation est ensuite reliée à d’autres installations (roucourie, hangar à bateaux, dégrad) par une piste et par un système de canaux, notamment un grand canal de 900 m de long débouchant sur l’Oyack.
Les opérations de terrain ont permis de mettre en évidence un abandon brutal de l’habitation, que les sources écrites n’évoquent pas : traces d’incendie (couche cendreuse, mobilier fondu) au pied de la façade de la la maison de maître, outils laissés en place dans la cuisine, etc. La rareté du mobilier postérieur aux années 1870 conduit à placer cet abandon au plus tard à la fin de la décennie, expliquant peut-être la vente de la propriété en 1881. Globalement, le mobilier est abondant et appartient aux grands types connus sur les habitations coloniales de cette période : faïence, porcelaine, métal, verre, etc. Il convient de souligner la présence de produits importés non seulement de l’ouest et du nord de la France (principalement Bordeaux pour la faïence et Saint-Omer pour les pipes), mais aussi de l’est (cristal de Baccarat), d’Allemagne ou d’Ecosse. Le verre est omniprésent, en particulier les bouteilles (bouteilles de vin de fabrication artisanale ou industrielle, dames-jeannes, bouteilles de gin, flacons).
L’ensemble témoigne du statut social privilégié acquis par la famille Favard au cours de sa longue présence sur le site. En effet, si elle possède d’autres terres dans le quartier de Roura, c’est bien à La Caroline que Thomas, puis Michel Favard ont leur résidence principale.
Perspectives de recherche
Les prospections et sondages entrepris sur le secteur résidentiel n’ont, pour le moment, permis de réellement documenter que l’occupation des années 1835 à 1880, tous secteurs confondus. L’un des objectifs des recherches est donc, logiquement, de retrouver des niveaux d’occupation plus anciens. De nombreux bâtiments n’ont encore pas été abordés par l’archéologie et pourraient sans doute compléter la vision d’ensemble de l’habitation.
En parallèle, un volet archéo-botanique doit être développé, car, d’une part, l’analyse des données LiDAR a permis d’identifier un vaste système de planches agricoles et, d’autre part, de possibles jardinets ont été repérés à proximité de la cuisine. La comparaison de prélèvements faits dans ces deux zones et dans le quartier servile pourrait permettre, chose rare, de comparer les espèces cultivées à celles consommées sur place.
Publications
Payraud, N. 2020 La place des productions aquitaines dans le quotidien d’une habitation coloniale en Guyane au XIXe s. L’exemple de l’habitation La Caroline. In Figeac M. dir. La Nouvelle-Aquitaine et les outre-mers : le métissage des cultures matérielles (XVIIIe-XIXe siècles), actes du colloque (Bordeaux, 9-11 octobre 2019), à paraître
Mackiewicz, M., Duma, P., Payraud, P., Haluszko, A. 2016 Three dimensions in a tropical forest. The plantation La Caroline in French Guiana. Poster présenté lors du colloque de l’European Association of Archaeologists
Responsables
Nicolas Payraud (Ministère de la Culture,
UMR 8096 ArchAm)
Institutions partenaires
Institut d'archéologie de l'Université de Wroclaw
Financements
Ministère de la Culture
UMR 8096 Archéologie des Amériques