Río Bec 2

 

Paysans et Rois. Formes alternes de gouvernement et d’usage des terres à Río Bec (basses terres mayas, Campeche, Mexique)

 

Dates : 2019-2026

 Problématique

Dans le centre-nord des basses terres mayas, la société de Río Bec, à son apogée entre 550-900, contemporain du plein essor des sociétés mayas classiques (600-900 de n.è.), se caractérise, de manière singulière, par un réseau très étendu d’habitats monumentaux et modestes, hiérarchisés au sein de quartiers et imbriqués dans un parcellaire. L’absence de centre politico-religieux tel que défini ailleurs, ou plutôt l’existence de trois groupes à stèles qui se seraient succédé dans le temps mais qui auraient « échoué » à constituer le cœur d’une véritable agglomération (ou ville) a amené le programme de recherche antérieur (cf. Río Bec 1) à conclure sur l’hypothèse d’une société à Maisons (telle que définie par Lévi-Strauss), prospère et relativement autonome à la fois sociopolitiquement et économiquement et à poser comme question de recherche celle du degré de résistance de groupements paysans à un système politique de royauté sacrée.

Le Projet Río Bec 2 vise à vérifier l’hypothétique transition du pouvoir dans le temps et à préciser l’évolution des structures et des pratiques agraires qui auraient assuré la subsistance et la prospérité de cette société. Appliqué aux trois groupes susmentionnés (Kajtun, Gr. II et V), il a pour objectif de restituer leur séquence de construction et d’activité politique à travers l’étude de leurs composantes architecturales résidentielles, collectives et cérémonielles (palais, salles de réunion et temples) et de documenter leur paysage local, tant résidentiel qu’agricole.

A l’échelle des basses terres, Río Bec se situe entre le Sud, où prévalait au Classique le système de royauté sacrée jusque vers 880 de n.è., et le Nord marqué par l’essor plus tardif de grands groupes sociaux d’économie agraire. Ce système politique de pouvoir partagé entre les chefs de lignées puissantes pourrait avoir son origine au Classique et Río Bec paraît bien « placé » pour approfondir la question.

 

Enjeux

En restituant l’évolution des systèmes socio-politique et économique de la société locale, il s’agit de mieux évaluer les facteurs de changements (sociopolitique versus environnementaux) et les solutions originales adoptées par la société locale en termes d’organisation du pouvoir politique et des agrosystèmes associés. Au-delà, il s’agit aussi de contribuer à la compréhension des crises des viiie-ixe siècles (« collapse maya »), à celle des stratégies socio-économiques des élites du Classique et de la transition vers le régime politique postclassique et au rôle peut-être de l’action collective qui opérait à l’échelle des petits paysans (qui, d’une manière ou d’une autre, ont aussi façonné l’établissement). Dans nos problématiques actuelles, outre la force de ces « contre-pouvoir », réside la question écologique, économique et sociale de la durabilité des systèmes agraires face à la croissance démographique. A ce titre, le projet affiche un dernier enjeu, « communautaire », qui a pour objectif de développer, avec des membres de la commune sur les terres desquelles se situe Río Bec, les bases d’une archéologie participative fondée sur le partage réciproque des savoirs.

 

Résultats préliminaires

Les travaux réalisés jusqu’ici, combinant principalement fouilles stratigraphiques, prospections pédestres et analyse spatiale d’une image LiDAR de 79,4 km2, permettent de dresser le bilan suivant :

- La séquence d’occupation continue obtenue à Kajtun indique qu’il a été fondé au Préclassique (dès 600 a.n.è.) et qu’au moment où se développait la tradition architecturale Río Bec (vers 550-600 de n.è.), il atteignait son apogée constructif avec rénovation de sa Place principale, des palais adjacents et du secteur lié au terrain de jeu de balle. Son abandon est progressif : il commence à partir de 800 sur la Place, après érection, au pied du temple pyramidal, de deux de ses stèles qui portent les dates de 731 et 795, et s’achève au Classique terminal (900-950), comme les résidences Río Bec. Cette trajectoire commune est, pour l‘instant, plutôt en faveur d’une coalition qu’il reste à mieux définir et dont témoigneraient les nombreux bâtiments collectifs de réunion à Kajtun même.

- Autour des trois groupes, auquel s’ajoute possiblement un quatrième au sud-est, le paysage est homogène quoiqu’à composantes multiples : l’ensemble des habitats, des structures et des espaces agricoles et hydrauliques forment des unités paysagères complémentaires et interconnectées. Les zones hautes sont aménagées au moyen d’un parcellaire régi par des quartiers, les pentes sont terrassées et les zones basses comportent des réservoirs, des champs drainés et des zones a priori « vides ». Le contraste entre zones hautes densément peuplées et zones basses plutôt « vides » de vestiges n’est qu’apparent : la cohérence spatiale et technique des unités agraires est un argument pour suggérer leur contemporanéité – qu’il s’agira de tester à l’avenir, de même que leur caractère complémentaire par le biais notamment d’analyses archéobotaniques et isotopiques (en cours).

- Les estimations de la démographie ancienne et de la production agricole (sur un échantillon limité aux 160 ha bien documentés dans le cadre du projet Río Bec 1) indiquent que Río Bec n’était ni plus rural, ni moins urbain que les autres sites mayas contemporains en termes de densités résidentielle (0,9 habitat/ha ou 1,8 résidences/ha), agraire (1,8 ha/unité agraire en moyenne) et démographique (226-316 habitants/km2 en 550 et 794-567 habitants/km2 en 800). Ce qui l’en distingue, c’est son parcellaire, où la production en maïs aurait pu couvrir jusqu’à 80% de la subsistance annuelle – ce qui suscite un certain nombre de questions, notamment sur les pratiques (intensification agricole, production spécialisée, parcelles extensives éloignées), au cœur de la présente recherche.

 

Publications

Arnauld, M. Charlotte et Sara Dzul Góngora
2023                Spatial and social contraction in Late-Terminal Classic Río Bec Neighborhoods. In Building an Archaeology of Maya Urbanism: Planning and Flexibility in the American Tropics, Damien B. Marken & M. Charlotte Arnauld (eds.), pp. 177-212, University Press of Colorado, Boulder.

 

Arnauld, M. Charlotte, Eva Lemonnier et Julien Hiquet
Sous presse    Classic Maya population history as seen from Río Bec, Campeche, Mexico. In Mesoamerican Population History, A. Chase, D. Chase & A. Chase (eds.), University Press of Arizona, Tucson.

 

Lemonnier, Eva et M. Charlotte Arnauld
2022    Fields and People at Río Bec (Mexico): A Study in Progress (2019-2022) of Settlement Agriculture in the Classic Maya Lowlands. Journal of Ethnobiology 42(2): 110-130.

 

 

Responsable
Eva Lemonnier,
(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8096 ArchAm, CEMCA)

 

Collaborateurs
Charlotte Arnauld (ArchAm)
Antonio Benavides Castillo (INAH-Campeche)
Jean-François Cuénot (ArchAm)
Antoine Dorison (ArchAm, ArScan)
Sara Dzul Góngora (INAH-Yucatán)
Michelle Elliott (Université Paris, UMR 7041 ArScan Equipe Archéologie environnementale)
Benjamín Esqueda Lazo de la Vega (Universidad Autónoma de Yucatán)
Aline Garnier (Université Paris-Est Créteil UPEC,  UMR 8591 Laboratoire de Géographie physique)
Céline Gillot (MacMaster University, Ontario)
Daniel Salazar Lama (ArchAm)
Julien Sion (ArchAm, CEMCA).
Institutions partenaires
CNRS-UMR 8096 Archéologie des Amériques
Université de Paris 1 PAnthéon-Sorbonne
Centre d’Etudes Mexicaines et Centraméricaines (CEMCA, México)
Instituto Nacional de Antropología e Historia (INAH, México & Campeche)
CNRS-UMR 7041 ArScAn Archéologie et Sciences de l’Antiquité (Equipe Archéologie environnementale)

 

Financements
Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères
CNRS-UMR 8096 Archéologie des Amériques
Fondation Stresser-Péan (Mexico)
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Entreprise franco-mexicaine CIMESA (Mexico)

 

Doctorants impliqués dans le projet
Benoît Baconnet (Paris 1, ArchAm)
Olivier Brunet (Olivier Brunet (Paris 1, contrat doctoral ED112, ArScAn, ArchAm))
 
Liens
https://archeologie.culture.gouv.fr/rio-bec
https://cemca.org.mx/es/proyecto-rio-bec-2/
https://aibl.fr/fouilles/projet-rio-bec-2-mexique/