Projet Parwony
Fouilles en Guyane française
Dates : 2012 - ...
Problématique et historique
Le projet « Parwony » s’intéresse à l’occupation précolombienne et moderne du bas Approuague, rivière située dans l’est de la Guyane. À travers des fouilles archéologiques sur le site de Parwony et des recherches en archives sur l’occupation coloniale de cette partie de la rivière on dresse un bilan diachronique de cette occupation humaine.
Initialement ce site a attiré notre attention suite aux nombreuses cartes françaises du xvii et xviii siècles qui mentionnent un certain « Fort des Flamans » sur la rive droite de l’Approuague, à l’est de Régina. Suite à nos études en archives nationales aux Pays-Bas ce fort représente sans doute la première implantation européenne dans la région dès le milieu du xvii siècle. Depuis 2012, plusieurs enquêtes historiques et prospections archéologiques ainsi qu’une première campagne de fouille il s’avère que ce site héberge finalement 2000 ans d’occupation humaine soit une présence persistante de plusieurs occupations différentes successives.
Notre attention s’est d’abord focalisée sur l’éperon du lieu-dit « Le Cimetière de la Jamaïque ». Ce vaste plateau, qui surplombe la rivière d’une dizaine de mètres, correspond plus ou moins avec l’emplacement du Fort sur les cartes anciennes. Nos premières explorations ont confirmé la présence de tuiles et briques flamandes, typiques des implantations néerlandaises du xvii siècle. Nous avons également retrouvé le cimetière de l’habitation sucrière nommée La Jamaïque en retrait du fleuve ainsi qu’un calvaire récent abandonné par les habitants du village de Guisambourg. En plus, le plateau s’est avéré avoir été fossoyé sur près de trois hectares par des Amérindiens à partir d’AD 300 environ. Nos sondages archéologiques ont en effet dévoilé l’existence d’un fossé d’environ 10 mètres de large sur 4 mètres de profondeur. Il s’agit vraisemblablement d’un lieu de rendez-vous où se déroulaient les cérémonies et/ ou les inhumations. Le plateau se caractérise aussi par la présence d’une épaisse couche de terre noire ou terra preta contenant des restes de poisson ainsi que par une occupation précolombienne plus récente de juste avant la conquête européenne.
Le site est occupé ensuite par des colons néerlandais. En 1656, le Néerlandais Balthazar Gerbier débarque sur les côtes de Guyane et il espère faire fortune en cherchant des minerais sur le mont Commaribo (l’actuelle montagne d’Argent). Mais les tentatives restent vaines et certains colons fomentent une révolte contre Gerbier qui fuie avec sa famille vers Cayenne. Ils trouvent refuge dans la maison du gouverneur de la Compagnie des indes occidentales néerlandaises, Jan-Claes Langedijck. Mais les rebelles passent à l’attaque. Gerbier est sauf mais l’une de ses filles est tuée et une autre est blessée. Désespéré, il abandonne son rêve et retourne aux Provinces-Unies. Là, il publiera sur ses propres deniers, son histoire à l’occasion du procès des rebelles renvoyés dans leur pays, illustrée de gravures de sa main. Le départ de Gerbier n’entamera pas la motivation des colons restés sur place. Ceux-ci vont s’unir et fonder une colonie sur les berges de l’Approuague pour commercer avec les Amérindiens mais aussi produire du sucre, du tabac et du coton.
Les cartes françaises nous informent que la place est protégée par des fortifications. Réalité ou simple exagération des auteurs ? La première campagne de fouilles n’a en tous les cas révélé aucun vestige témoignant de la présence de parapets, de palissades ou de redans élevés en terre, les constructions défensives les plus courantes à l’époque. Étaient-elles localisées ailleurs ? Ont-elles été arasées et remplacées par d’autres installations aux xviii et xix siècles ? Ou s’agissait-il seulement d’une habitation dénuée de véritables structures défensives et protégée par des canons et quelques fermiers soldats ? La question reste posée et sera au cœur de nos prochaines investigations. À défaut de remparts, nous avons en revanche exhumé différents objets attestant sans aucun doute d’une présence néerlandaise : des tuiles flamandes et des briques jaunes utilisées classiquement pour lester les navires néerlandais, de la céramique glaçurée de Bergen-op-Zoom (province de Brabant), une guimbarde et un fragment d’une arme d’hast en fer.
En 1666, cette colonie, gérée par la Nouvelle Compagnie de Guyane et une entreprise privée d’Amsterdam, sera détruite lors de la deuxième Guerre anglo-hollandaise (1665-1667). Les troupes commandées par Peter Wroth détruisent et pillent les habitations, emmenant les esclaves, les armes et les chaudrons en cuivre qui servaient à faire bouillir le sucre, au Surinam où lord Willoughby avait implanté une colonie anglaise. La Nouvelle Compagnie de Guyane tente de vendre ce qui reste de la colonie à un riche Allemand, le Comte de Hanau, mais celui-ci rejette l’offre. Elle sera finalement reprise par d’autres directeurs en dépit du fait que la colonie de Cayenne est entre temps devenue française. En 1676, lors de la Guerre de Hollande, les Néerlandais reprennent Cayenne. Une victoire qui donne du baume au cœur à un certain John Apricius qui décide de fonder une nouvelle colonie, cette fois-ci sur l’Oyapock. Arrivé sur les lieux en janvier 1677, il en sera chassé quelques mois plus tard par les troupes françaises du chevalier De Lézy. Lequel avait aussi détruit quelque temps auparavant la colonie sur l’Approuague, connue à l’époque sous le nom de Parwony, mettant ainsi fin à la présence néerlandaise en Guyane. Toutefois, les deux sites ne tardent pas à être réinvestis par les populations amérindiennes mais aussi, dans le premier quart du xviii siècle, par des colons français (ex-militaires et traiteurs d’esclaves amérindiens) à l’initiative du gouverneur Claude d’Orvilliers.
À partir des années 1720, des Jésuites s’installeront à leur tour sur le Bas Oyapock, près du fort français St. Louis. Ils souhaitent aussi s’implanter sur le bas-Approuague, sur les restes du fort hollandais. Mais leur projet, qui se heurte à celui du gouverneur Lamirande d’y construire un poste militaire, n’aboutira jamais. L’Approuague héberge encore beaucoup d’Amérindiens qui sont traqués par les traiteurs français qui les capturent et les transportent aux Antilles pour en faire des domestiques. La région se dépeuple. Vers 1760, l’historien Jean-François Artur dénombre seulement 11 habitations payant capitation et 117 nègres sur les rivières de Kaw et de l’Approuague. L’expédition de Kourou (1763-1765) marque une rupture dans l’histoire de la Guyane et du Bas-Approuague. La France, qui vient de perdre le Canada à l’issue de la Guerre de Sept ans, souhaite en effet organiser une opération massive de peuplement et créer une nouvelle colonie entre Kourou et le Maroni. Mais les premiers convois arrivent en pleine saison des pluies sans que leur accueil ne soit assuré. Et c’est une hécatombe. Les morts se comptent par centaines. À Cayenne, Jean-Pierre Antoine Béhague, commandant en chef (1763) puis gouverneur par intérim (1765), qui était opposé à ce projet, encourage le développement de sa propre colonie. Soldats déserteurs ou royalistes de la Martinique, comme le sieur Dubuq-Duferret, sont envoyés sur le bas-Approuague. De Béhague souhaite également construire un poste militaire sur le lieu-dit du fort hollandais. Mais son projet restera dans les tiroirs.
En 1776, la Compagnie de l’Approuague est créée afin de mettre en culture les terres guyanaises et commercer avec la Côte d’Afrique. Plusieurs plantations sucrières voient le jour, notamment celle de la Jamaïque. Les occupants sont enterrés à l’arrière du plateau, dans le « Cimetière de la Jamaïque », celui-là même qui donne au lieu-dit son nom actuel. Quelques années plus tard, le directeur des travaux publics de la colonie, l’ingénieur suisse Samuel Guisan, entreprend de transformer l’endroit en une vaste zone de production de sucre et de cacao. L’arrivée des machines à vapeur, à partir de 1820, lui conférera une dimension quasi-industrielle. Plusieurs maisons s’en doteront comme La Constance, Saint-Perrey, Le Collège, La Ressource, La Jamaïque, Ramponneau ou encore La Garonne. Un nouveau village prend forme : Guisambourg. Les trois fours à briques que nous avons repérés dans la paroi du plateau du fort correspondent certainement à cette époque d’expansion économique afin de répondre à une demande croissante de matériaux de construction. À marée basse, il est toujours possible d’observer des fragments de briques et des tuiles mal cuites qui semblent provenir de pavés d’éjection des fours, mélangés aux débris de l’occupation néerlandaise plus ancienne.
L’embellie économique prend fin avec l’abolition de l’esclavage. Mais la découverte des premières pépites d’or dans la crique Arataï la relancera. L’Approuague et la Guyane connaissent alors la première ruée vers l’or. En 1858, une compagnie nationale est fondée pour encadrer les orpailleurs qui arrivent toujours plus nombreux : la Compagnie minière et agricole de l’Approuague. Pour répondre aux besoins de ces nouveaux arrivants, des magasins et des ateliers sont construits sur les bords de la rivière. Le comptoir de Théocraste Régina en est aujourd’hui le dernier témoignage vivant. D’autres vestiges persistent à l’autre extrémité du plateau du fort hollandais, notamment des plateformes de maisons en roche-à-ravet et des petits moulins qui servaient à broyer la canne pour produire le rhum si prisé des orpailleurs.
Au début du xix siècle, maintenant délabré, les habitants de Guisambourg étaient enterrés au cimetière de Guisambourg. Or, à la saison des pluies, le cimetière était ennoyé, et les défunts étaient enterrés dans un cimetière situé en amont de la rivière Courouaï –trop loin pour les habitants de Régina. Un cimetière a donc été installé à mi-chemin entre Régina et Guisambourg, pour les défunts de Régina, au cimetière dit de la Jamaïque. De cette époque on trouve encore les croix en wacapou (Vouacapoua sp). Ainsi s’achèvent deux millénaires d’histoire humaine. La zone est aujourd’hui entièrement dépeuplée mais pas abandonnée. La population de Régina vient encore y pêcher la torche ou y exploiter les anciennes plantations de cacao. C’est le cas du chocolatier Olivier Dummett qui, après une longue journée de travail, au milieu des plants, pend son hamac afin d’y passer la nuit. Car le plateau du fort hollandais reste aujourd’hui encore le meilleur endroit du bas-Approuague où il fait bon vivre !
Le but de nos recherches est d’inventorier les différentes occupations du site et de déterminer leur nature afin de mieux connaître les transformations qui marquent cette période de 2000 ans. Ces résultats nous permettront de fournir les instances culturelles locales, notamment l’Ecomusée de Régina, et des entreprises touristiques avec des données historiques afin de mieux connaître leur environnement. Nos missions archéologiques et historiques permettent aux participants de s’investir dans l’archéologie et l’histoire de la Guyane, département de la France (973) encore peu exploré.
Publication
Bel, M.M. van den & L.A.H.C. Hulsman. 2019. Les Hollandais à Cayenne. La présence néerlandaise en Guyane (1655-1677), Collection Espace Outre-Mer. Ibis Rouge Éditions, Matoury