TRES MEZQUITES
Dynamiques d’occupation dans la plaine alluviale du fleuve Lerma (Mexique)
Dates : 2012 - 2017
Problématique et orientations de la recherche
La vallée moyenne du Lerma, à la hauteur d’Acambaro, a été le berceau de la culture Chupicuaro entre le 7ème siècle av. J.-C. et le tout début de notre ère. Le déclin de cette culture préclassique, qui a joué un rôle essentiel dans les trajectoires préhispaniques de l’Occident et du Mexique central, semblerait avoir été lié, au-moins partiellement, à des changements du système fluvial du Lerma. Ceux-ci pourraient avoir été à l’origine de réorganisations sociales et territoriales avec pour effet une dispersion de la population, en particulier vers l’ouest et les régions lacustres du Michoacan. Pour retracer au mieux les dynamiques culturelles au cours du Classique dans cette région de Mésoamérique, il convient donc de bien comprendre ces phénomènes. C’est pourquoi le projet Tres Mezquites s’est attelé à comprendre les modalités du peuplement dans la plaine alluviale localisée à une centaine de km en aval du foyer présumé de Chupicuaro. Cette plaine inondable, caractérisée par de vastes étendues de terres noires dominées au nord et au sud par d’imposants reliefs volcaniques, était restée jusqu’alors inexplorée par l’archéologie.
Le projet s’organise selon trois axes :
- Evaluation du potentiel archéologique de la plaine alluviale à partir d’un bilan chrono-sédimentaire.
- Etude des modes d’occupation et de gestion de cet espace en lien avec les particularités environnementales.
- Caractérisation culturelle des populations et de leurs composantes sociales et économiques, dans une perspective comparative avec les trajectoires établies pour Chupicuaro, les bassins lacustres de Zacapu et de Patzcuaro (tradition Loma Alta) et le massif volcanique du Barajas.
Deux périodes font l’objet d’une attention particulière : la fin du Préclassique et le Classique (100 av. J.-C.-500 apr. J.-C.), les débuts de l’Épiclassique (500-750 apr. J.-C.).
Pour la première période, plusieurs questions précises sont explorées :
- la plaine alluviale a-t-elle abrité des populations contemporaines de Chupicuaro ? si oui, qu’elles étaient la nature de leurs relations ? quels ont été alors les mécanismes du peuplement préclassique à l’échelle plus globale du système fluvial du Lerma ?
- peut-on y mesurer les impacts du barrage naturel ayant entraîné la formation d’un lac de grande emprise dans la vallée d’Acambaro? Le projet propose de détecter et dater les témoins sédimentaires produits par des changements de régime fluvial et pouvant être corrélés à cet évènement (ralentissement du débit fluvial en aval de la retenue d’eau puis vidange du lac quelques siècles plus tard), et d’examiner les incidences de ces phénomènes sur les occupations locales.
Concernant la deuxième période, le projet compare les occupations de la plaine avec celles mises au jour au nord de la vallée, dans le massif volcanique du Barajas, et au sud, jusqu’au bassin lacustre de Zacapu. Les travaux antérieurs au Barajas, en particulier, ont révélé des agglomérations proto-urbaines caractérisées par une architecture rappelant la culture nordique Chalchihuites, et datées entre le 8ème et 10ème siècle, tandis que les établissements contemporains de la plaine alluviale présentent un schéma d’implantation radicalement différent et une architecture s’inscrivant dans la plus pure tradition mésoaméricaine du Bajio.
Pour traiter ces différents aspects, le projet s’appuie sur des indicateurs et outils issus de l’archéologie, la géoarchéologie et l’archéométrie: géomorphologie, sédimentologie, pédologie, stratigraphie, géomatique, structure de l’habitat, caractéristiques techno-stylistiques du mobilier archéologique, gestion des ressources et échanges, marqueurs bio-anthropologiques.
Activités sur le terrain et premiers résultats
Afin d’aborder au mieux la question de la couverture archéologique en fond de vallée et celle, sous-jacente, d’éventuelles occupations préclassiques, des stratégies spécifiques d’intervention sur le terrain ont été mises en place, impliquant une collaboration avec les sciences environnementales.
Une campagne exploratoire effectuée en 2012 avec Vincent Bichet (U. Franche Comté) et Christophe Petit (U. Paris 1) a eu pour objectif d’évaluer le potentiel archéologique à partir d’un premier bilan chrono-sédimentaire et d’analyser les dynamiques fluviales, en lien éventuel avec des changements environnementaux. Les premiers résultats ont montré des géodynamiques intra-sites particulièrement intéressantes : les cartes géophysiques, couplées aux sondages pédologiques, montrent que la plaine alluviale a enregistré une succession d’épisodes sédimentaires rapides et contemporains des occupations préhispaniques, coloniales et modernes. Au-moins un constat peut être d’ores et déjà établi : le lit actuel du fleuve Lerma, qui incise profondément les dépôts alluviaux, ne correspond probablement pas au(x) tracé (s) du tout début du premier millénaire apr. J.-C. Les siècles compris entre le début de notre ère et l’Epiclassique semblent avoir été en effet témoins de changements de style fluvial, vraisemblablement liés à une modification du régime du Lerma.
Ces premiers résultats ont permis d’orienter les activités de prospection et de fouilles. Pour pallier aux contraintes du milieu (difficulté de progression dans les champs irrigués, enfouissement et/ou destruction avancée des vestiges archéologiques), le repérage d’établissements préhispaniques a requis des stratégies spécifiques impliquant la combinaison de plusieurs méthodes de détection (imagerie satellite, parcours systématiques, enquêtes auprès d’informateurs, géophysique, sondages). Une région d’environ 150 km2 a été délimitée pour son exploration.
Après trois campagnes (2014, 2015, 2016), les 176 sites archéologiques découverts sur les piémonts et en fond de vallée révèlent que la plaine alluviale a été de tout temps un milieu propice aux implantations humaines. La cartographie des sites montre cependant une distribution hétérogène qui pourrait s’expliquer par différents processus taphonomiques : un réseau de sites principalement daté du Classique se déploie aujourd’hui en bordure du fleuve et dans son lit majeur tandis que plusieurs localités de bas de versant offrent une seule occupation, datée du Préclassique récent. De leur côté, les fouilles réalisées entre 2012 et 2016 dans quatre sites ont dévoilé des stratigraphies alternant de manière systématique dépôts culturels et dépôts alluviaux. Ces derniers correspondent à des épisodes d’inondation dont certains, très destructeurs, ont eu des incidences majeures sur les occupations préhispaniques. Les contextes montrent cependant la forte capacité de résilience des populations qui réoccupent toujours les mêmes lieux en adoptant différentes stratégies pour faire face à ces risques naturels.
La hiérarchisation typo-morphologique établit la présence d’une vingtaine d’établissements majeurs à fonction civico-cérémonielle, et une majorité de sites d’habitat d’importance variable (fermes isolées, hameaux, villages). Il s’agit ainsi d’un habitat rural dispersé qui se déploie dans une trame continue et se structure autour de quelques gros centres recteurs.