(Sur)vivre dans le désert : économies de subsistance et adaptation aux changements climatiques des populations préhispaniques dans le désert de Sechura (Pérou).

Un projet de recherche pluridisciplinaire mené par les chercheurs du CNRS et du MNHN retrace l’histoire du site archéologique de Huaca Grande, dans le nord du Pérou, entre le Ve et le XVe siècle de notre ère. Ce monticule domestique représente un témoignage unique des stratégies de subsistance adoptées par les populations préhispaniques et révèle leur grande adaptabilité aux milieux désertiques et aux aléas climatiques. Les résultats de cette étude sont parus dans PLOS ONE.

Les fouilles archéologiques réalisées sur le site de Huaca Grande, sur le littoral du désert de Sechura au Pérou, ont mis au jour une séquence d’occupation imposante, très finement stratifiée, de presque trois mètres. La mise en œuvre d’une approche géoarchéologique à haute résolution fondée sur la micromorphologie des sols, permet de lire cette succession de dépôts, de préciser les processus naturels et les activités humaines qui les ont produits et livre ainsi une restitution détaillée de l’histoire du site durant un millénaire. En même temps, l’analyse des restes botaniques (charbons de bois, graines, restes de fruits) et fauniques (mollusques, poissons, oiseaux, mammifères) conservés au sein des couches archéologiques atteste à la fois les ressources exploitées par les groupes humains pour leur subsistance et l’évolution des milieux désertiques littoraux proches du site au cours du temps.

Six phases d’occupations principales se succèdent entre le Ve siècle et le la moitié du XVe siècle de notre ère, interrompues par une longue période d’abandon de six cents ans. Au cours des phases successive le site change de fonction et des activités diverses y sont pratiquées. Il est occupé au début par un grand bâtiment publique, avec des murs en argile et doté d’une rampe d’accès, puis par des espaces couverts de taille plus réduite où se déroulent des activités essentiellement domestiques. Ensuite, sans solution de continuité, la succession sédimentaire indique que Huaca Grande devient un dépotoir où s’accumulent de façon progressive et rapide des résidus de combustion. A la fin de cette phase, à partir de la moitié du VIIe siècle, le site est abandonné jusqu’à la moitié du XIIIe siècle de notre ère. Seule trace du passage des groupes humains dans la baie de Nunura au cours de cette période, un dépôt rituel comprenant 12 camélidés et 9 chiens daté de la fin du IX siècle de notre ère. Une nouvelle phase d’occupation domestique démarre ensuite. Caractérisé par d’importantes quantités de restes de poissons et mollusques marins, elle se poursuit jusqu’à la moitié du XVe siècle, qui marque l’abandon définitif du site.

Les résultats indiquent que l’économie de subsistance des groupes humains installés à Huaca Grande se fonde sur l’exploitation de ressources diverses et évolue au cours du temps. Elle repose principalement sur les ressources marines locales et sur l’utilisation continue des ressources végétales terrestres. La collecte des mollusques et la pêche semblent plutôt marginales au début de la fréquentation et s’intensifient ensuite. En outre, un changement majeur se produit dans les occupations plus récentes, avec l’apparition de ressources non locales (maïs et coton), ce qui indique que le site était connecté via des réseaux commerciaux à des régions extérieures au désert de Sechura.

La comparaison de la chronologie des phases d’occupation avec les archives environnementales et climatiques régionales suggère que la présence humaine sur le site aurait été fortement influencée par les changements du climat ainsi que par les événements El Niño. En effet, les groupes humains sont présents à Huaca Grande pendant les phases de climat humide, au cours desquelles les événements El Niño sont assez intenses et fréquents (entre la moitié du Ve siècle et la moitié du VIIe siècle de notre ère puis entre la moitié du XIIIe siècle et la moitié du XVe siècle de notre ère). Au contraire, lorsque le climat moyen devient plus aride, en concomitance avec un affaiblissement et une raréfaction des phénomènes El Niño (entre la moitié du VIIe siècle et la moitié du XIIIe siècle de notre ère), le site est abandonné. Pendant cette période, le désert de Sechura était encore fréquenté (cf. le dépôt rituel au milieu de la séquence) mais probablement les conditions climatiques et environnementales ne permettaient plus une occupation stable dans le secteur.

Laboratoires CNRS impliqués

Archéologie des Amériques (ArchAm – Univ. Paris 1 Panthén-Sorbonne/CNRS)

Histoire Naturelle de l’Homme Préhistorique (HNHP – MNHN/CNRS/Univ. Perpignan Via Domitia)

Archéozoologie, Archéobotanique – Sociétés, Pratiques et Environnements (AASPE – MNHN/CNRS)

Référence

Villa V, Bermeo N, Zazzo A, Lefèvre C, Béarez P, Correa D, et al. Settlement dynamics, subsistence economies and climate change during the late Holocene at Nunura Bay (Sechura Desert, Peru): A multiproxy approach. PLOS ONE. 2023;18: e0281545. doi:10.1371/journal.pone.0281545

Financement des analyses et programmes de recherche impliqués

Ces recherches ont été financée par le Domaine d’Intérêt Majeur (DIM) Matériaux Anciens et Patrimoniaux (VV, NG et JJB ; projet CEPOSE ; https://www.dim-map.fr/) et par le Laboratoire d’Excellence Dynamiques Territoriales et spatiales (LabEx DynamiTe, ANR-11-LABX-0046 ; http://labex-dynamite.com/fr/sample-page/), dans le cadre du programme « Soutien aux Actions de Recherche collectives – Sar-Dyn » (VV et NG ; projet PESCA). Le fouilles archéologiques du site de Huaca Grande ont reçu le soutien du ministère français des Affaires étrangères (NG ; Programme Archéologique Désert de Sechura ; https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/). Des contributions supplémentaires ont été reçues de l’Université Paris 1 (NG ; Paleosech Grant ; https://www.pantheonsorbonne.fr/accueil), du CNRS (AC ; PEPS LITTOSECH ; https://www.cnrs.fr/fr/page-daccueil), de la Fondation Fyssen (NG ; http://www.fondationfyssen.fr/fr/), de l’Instituto Francés de Estudios Andinos (IFEA ; https://www.ifea.org.pe/) et de l’ANR (https://anr.fr/) dans le cadre des subventions ANR CAMELANDES (NG ; ANR-15-CE27-002) et LabEx BCDiv (NG ; ANR-10-LABX-0003).

Contact

Valentina Villa
Cultures et Environnements : Préhistoire Antiquité Moyen Âge (CEPAM – Univ. Côte d’Azur/CNRS)
valentina.villa@cepam.cnrs.fr

Nicolas Goepfert
Archéologie des Amériques (ArchAm – Univ. Paris 1 Panthén-Sorbonne/CNRS)
Nicolas.geopfert@cnrs.fr

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