Luisa Diaz Arriola

Docteur en anthropologie, ethnologie et préhistoire.
Université Panthéon-Sorbonne Paris I

 

Idole de Pachacamac (partie supérieure) © Luisa Diaz Arriola

 

Plan large sur l’Acclahuasi de Pachacamac © Luisa Diaz Arriola

 

La pyramide à rampe (PAR) n°1 de Pachacamac © Luisa Diaz Arriola

 

Le Temple Peint de Pachacamac. Vue du nord vers le sud © Luisa Diaz Arriola

 

La pyramide à rampe (PAR) n° 2 © Centro de Estudios internacional de Arqueo-agronimia (CEIA) / dossier Unesco du site archéologique

 

Récpients Ychsma anciens trouvés à Pachacamac (Ulhe 1903)

 

Pots Ychsma ancien trouvés à Ancon (Strong 1925)

 

Céramique décorée Ychsma moyen. a) Bouteille à décor sur la moitié supérieure du corps. b) petite bouteille à corps globulaire peint en blanc. c) bouteille sculpturale anthropomorphe peinte en blanc © Luisa Diaz Arriola

 

Céramique Ychsma récent. a) cruche “cara-gollete”. b) grand plat creux. Tous les deux montrent des dessins géométriques noir sur blanc © Luisa Diaz Arriola

 

Différents récipients carénés de la phase Ychsma récent provenant du site d’Armatambo © Luisa Diaz Arriola

 

Vue d’est en ouest des pyramides à rampes sur le site de Pampa de Florès, vallée du rio Lurín © Luisa Diaz Arriola

 

Isométrie de la pyramide à rampe (PAR) N°1 de Pachacamac. 1) l’entrée principale. 2) Le patio. 3) La rampe. 4) La pyramide à degré. 5) les dépôts. 6) Des cours au fond et des structures adossées. 7) Des chemins épumuraux. © Franco 2004. fig 14

 

Tête postiche en tissu de coton. Le nez est réalisé en pliant le tissu et les yeux en créant deux semelles de nectandres. Trouvée à Armatambo. © Luisa Diaz Arriola

 

Fardo et mobilier funéraire de l’Yshsma moyen découverts à Armatambo. Le fardo possédait une structure latérale en roseau © Vallejo

 

Masque funéraire en bois de l’intermédiaire récent découvert à Pachacamac © Luisa Diaz Arriola

Pachacamac et la culture Ychsma

 

Le site de Pachacamac est situé en bordure de l’Océan Pacifique, à une trentaine de kilomètres au sud de Lima, près de l’embouchure du fleuve Lurín. Avant que les Incas ne s’en emparent, le site était déjà réputé dans les Andes. C’était tout à la fois un lieu de culte et d’oracle. Que sait-on à ce propos ?

Les Incas ont rebaptisé, sous le nom de Pachacamac, un centre cérémoniel au nom jusque là de la divinité principale de la Côte centrale : Ychsma. Les voisins y venaient avec des offrandes pour participer aux cérémonies à la gloire du « Créateur du monde », mais aussi pour y consulter l’oracle. La conquête des lieux par Topa Inca Yupanqui changea le prestige du site. Les Incas ménagèrent les autorités locales en édifiant, dans l’enceinte sacrée, un temple dédié à leur dieu, le Soleil, sur le promontoire, le plus haut du site, en permettant la permanence du Temple Peint de l’oracle. Selon Peter Eeckhout, le culte de Pachacamac était célébré, au sein de cette même enceinte sacrée, dans le « Temple peint ». C’est d’ailleurs dans ses décombres qu’on a retrouvé l’idole – un poteau de bois sculpté - qui représentait la divinité. Peterr Eeckout qui a fouillé l’un des cimetières de Pachacamac y a découvert une proportion anormale d’individus atteints de maladies graves (cancer, tuberculose, syphilis). Il en déduit, comme le rapporte les chroniqueurs, que le prestige du dieu était en relation avec ses capacités curatives.

 

De quand date cette vénération pour le dieu Pachacamac ?

Les origines de sa vénération en tant que dieu guérisseur datent peut-être de l’Horizon moyen (550 à 900 apr. J.-C), époque à laquelle l’importance du site est reconnue, sinon plus tôt, pendant l’Intermédiaire ancien (0 à 550 apr. J.-C.). D’autres auteurs, tel Luis Lumbreras, pensent que c’est l’empire Wari qui lança le prestige du centre cérémonial de Pachacamac, prestige qui fut maintenu dans les périodes postérieures.

 

Pachacamac ne manque pas de surprendre par ses dimensions. L’espace intérieur était délimité par des enceintes au sein desquelles les archéologues continuent de fouiller temples, pyramides et cimetières. De fait, s’agit-il d’un centre religieux ou bien d’une ville ?

Vous avez raison de souligner que le site est de grande dimension puisqu’il recouvre près de 300 hectares. Mais, pour l’heure, nous ne disposons pas encore des indicateurs archéologiques qui nous permettent de confirmer que Pachacamac était bien une ville.  Pour cela, il nous reste à identifier les ateliers de production et les zones de résidence qui n’appartenaient pas à l’élite. En revanche, nous savons, toujours par les sources ethnohistoriques, que dans cette « capitale de la seigneurie » étaient exercées des activités religieuses, politiques et administratives. Cependant, il est important de signaler que le site était divisé en deux secteurs, l’un religieux, l’autre séculaire. Ce qui pourrait être l’indice d’une ville. C’est de là qu’étaient administrés les bassins inférieurs des vallées Rimac et Lurín, ainsi que les zones désertiques localisées plus au sud. Pendant la conquête inca, Pachacamac fut incorporé de manière plus étroite au réseau des chemins du Qapaq Ñan, et, grâce à son importance géopolitique, devint la capitale de la Province inca sur la côte centrale.

 

Vous parlez de « seigneurie », qui étaient ces seigneurs ?

Certains chercheurs estiment qu’il pourrait s’agir d’une élite de marchands qui contrôlaient la production et la force de travail régionales. Le fait est que Pachacamac se situe près de la plus grande partie cultivable de la vallée de Lurin. Maintenant, pratiquaient-ils, en plus de la pêche, de nombreux échanges à travers un commerce maritime de longue distance ? Le site est à proximité de la mer, mais la houle y est forte et moins propice aux débarquements de radeaux qu’Armatambo, construit dans une crique de pêcheurs.

 

Votre thèse s’intitule  « Le territoire Ychsma et ses différences culturelles pendant l’intermédiaire récent sur la côte centrale péruvienne ». Elle éclaire d’un jour nouveau cette période méconnue de l’histoire de la Côte centrale. Expliquez-nous…

L’ethnohistoire   met   spécialement   en  lumière  le caractère  religieux de  la  capitale   Pachacamac   à   l’époque  inca.   Cette vision fut  projetée vers   la période antérieure, l’Intermédiaire récent (900-1476 apr. J.-C.), à partir  de  la supposition que  le prestige du dieu et de la “seigneurie” y était  similaire.  Ce   qui    a    conduit    dans    un    premier  temps  à   conclure  que  la    capitale

Ychsma  devait  avoir  le  même  pouvoir  et  la  même  importance  religieuse qu’à  l’époque  Inca  et  que  le  site devait jouir d’un grand prestige extrarégio- nal,  même  si  les  preuves archéologiques  à  Pachacamac, et  dans d’autres   sites,   montrent  au  contraire une intégration locale. Il  nous  faut  revoir  l’im-  portance  des  données  ethnographiques  au  profit  des  données  archéolo- giques, même si ces premières conservent, évidemment, toute leur valeur en tant qu’informations de base.

 

Alors justement, à propos de données archéologiques, votre thèse aborde divers aspects de la culture Ychsma : la céramique, les pyramides à rampe ; les pratiques funéraires... Pour commencer, que constate-t-on de singulier dans le domaine de la céramique en regard des précédentes cultures (Lima et Wari), puis de la culture conquérante, celle des Incas ?

Tout d’abord, la céramique Ychsma  est simple, fruste et d’une finition imparfaite. Afin de simplifier, je vous renvoie aux photographies pour les identifier. Ces céramiques font, depuis peu, l’objet d’une classification en trois phases : ancien, moyen et récent. Chacune de ces phases étant elle-même subdivisée en A et B. Soit un total de six « sous-phases », dont cinq se sont développées tout au long de l’Intermédiaire récent (900 - 1476 apr. J.-C.), la sixième pendant l’Horizon récent (1476 - 1533 apr. J.-C), c’est-à-dire au moment de l’occupation de la région par les Incas. L’identité de la céramique Ychsma est clairement de développement local, et ce depuis la phase ancienne dont le début reste malgré tout à préciser - peut-être a-t-elle commencé plus tôt, à la fin de l’Horizon moyen (550 à 900 av. J.-C.) ?. Dans sa phase finale, quelques  céramiques empruntent certains attributs propres aux envahisseurs, les Incas.

 

Quels attributs ?

Le type céramique « serpentiforme » devient alors très populaire. Des récipients, grands et petits, ont un décor de lignes verticales, d’autres un engobe brun et un petit visage imprimé sur le col. Cette influence est d’autant moins surprenante qu’on perçoit aussi des contacts avec les Chimú. Le fait est qu’on trouve des bouteilles en pâte noire, sans que pour autant disparaissent les formes locales de cuisson réductrice. Noter qu’il existe aussi un style hybride dénommé Inca-Ychsma-Chimú…

 

Comment caractérisez-vous le style céramique Ychsma ?

Il convient  de distinguer deux composantes : l’une, décorée, l’autre sans décoration. Dès l’origine, les potiers élaborent des récipients carénés ou anguleux dans les deux composantes, bien que les formes carénées soient surtout fréquentes pour ce qui concerne les pots, les bouteilles et les jarres. Les formes sans décoration se retrouvent dans toute la séquence culturelle, bien qu’en moindre proportion pendant l’Ychsma récent. L’emploi des couleurs est toujours en tonalités mates, tant pour les engobes que pour les décorations. Leur application est négligée et irrégulière, même sur les récipients les mieux décorés. Pour les finitions de surface, le polissage est plus fréquent que le lissage. Le brunissage peu utilisé.

 

Revenons à Pachacamac et aux pyramides à rampe…

Ces pyramides ont en commun d’être pourvues de plateformes à angle droit, reliées au moyen d’un plan incliné à un espace horizontal ouvert. Cet espace, ou cour principale, est construit sur l’un des côtés de la plateforme et entouré par un mur. Peter Eeckhout distingue trois types de pyramides à rampe : les latérales, de type A, peu nombreuses, les B  collées à un côté de la cour, un peu plus nombreuses que les précédentes et les pyramides centrales, de type C, majoritaires à Pachacamac, Armatambo et Pampa de Flores dans la vallée de Lurín. Les pyramides à rampe constituent l’architecture monumentale la plus représentative de la culture Ychsma. A Pachacamac, elles sont au sein de quinze complexes qui comptent au total 21 pyramides. Ces dernières sont concentrées à l’intérieur du secteur de la deuxième enceinte à l’exception de deux d’entre elles situées dans la troisième enceinte où elles semblent avoir été construites tout au long de la période Intermédiaire récent et Horizon récent.

 

Leur finalité ?

Selon leur  type -  A, B ou C -, elles auraient des finalités différentes.  Peter Eeckhout considère que les premières sont de caractère cérémoniel. Les résultats de ses recherches sur le Temple des Singes l’invitent à penser qu’elles étaient utilisées pour préparer les momies découvertes dans l’un des cimetières de Pachacamac.  Les pyramides à rampe de type  B auraient servi de structures funéraires pour honorer les individus d’une lignée déterminée. Celles de type C correspondraient aux palais des seigneurs locaux. Comme les pyramides B  et C se trouvent sur le site de Pachacamac et Pampa de Flores, Peter Eeckout en déduit qu’il existait une structure de gouvernement duelle entre ces deux sites.

 

Ces monuments sont-ils orientés ?

Camilo Dolorier Torres a constaté qu’il existait des pyramides à rampe orientées vers le nord, réparties de manière irrégulière et dispersée à Pachacamac et d’autres orientées vers l’est. Ces dernières, qui possèdent un système de dépôts annexes, sont disposées suivant le tracé des voies nord-sud et est-ouest du site. Ce qui conduit l’auteur à conclure que les premières, orientées nord, sont plus anciennes et expriment dans leur désordre une croissance spontanée. Carlos Farfán, qui examine les significations symboliques de ces édifices, souligne que des aspects de dualité et de complémentarité - autrement dit une symbolique des contraires -, s’observe à l’examen tout spécialement des édifices de type C. L’utilisation symbolique des opposés, basée sur l’existence des orientations générales des rampes vers le Nord-est et le Nord-ouest concrétiserait, selon Carlos Farfán, l’idée de fondation et d’abandon.

 

De quand datent ces pyramides ?

De l’Intermédiaire récent (900 - 1470 apr. J.-C.) et l’Horizon récent (1470 -1532 apr. J.-C).

 

Venons-en aux pratiques funéraires propres à la culture Yschma…

Les évidences archéologiques qui témoignent des pratiques funéraires Ychsma et qui proviennent de contextes intacts ne sont pas  abondantes, malgré les nombreuses recherches menées au cours de ces vingt dernières années dans des nécropoles tardives, telles celles d’Armatambo, de La Rinconada Alta ou de Pachacamac, pour n’en citer que quelques-unes. Beaucoup de ces travaux sont encore inédits et d’autres chercheurs ont seulement publié des résultats partiels, ce qui rend difficile la compréhension des pratiques funéraires Ychsma. Pourtant, cette tâche est nécessaire, car les nécropoles préhispaniques de Lima continuent à disparaître à cause du pillage et de la croissance de la ville. Ces deux activités limitent fortement la possibilité d’obtenir des informations à partir de contextes intacts ou d’informations dûment documentées.

 

A cause du pillage…

La recherche de “trésors cachés” dans les sites archéologiques de Lima était une pratique très fréquente parmi les familles riches de l’époque Coloniale et de la République. Pendant l’époque coloniale, cette activité se réalisait avec l’autorisation du « Cabildo de Lima », en conséquence de quoi des sites tels que Pachacamac et Armatambo furent pillés et détruits systématiquement. Cette activité continua pendant la République. La profanation des tombes par les Espagnols avait comme but l’obtention de métaux précieux. Plus tard, l’intérêt s’est étendu à d’autres objets, pas seulement métalliques. Pendant la première moitié du XIXe Siècle, quelques voyageurs et collectionneurs européens ont emporté des pièces archéologiques de la côte centrale péruvienne. Dans d’autres cas, les scientifiques européens fouillaient des nécropoles archéologiques dans le but d’accumuler des objets pour les musées qu’ils représentaient. Ce fut le cas d’Ancón, Armatambo et Pachacamac dont les nécropoles possédaient des tombes abondantes avec un mobilier funéraire riche et varié. Les rapports du XIXe Siècle présentent un cadre déprimant, puisque les grands gisements archéologiques de la région, caractérisés par la présence de tombes de l’élite et par la disposition complexe, étaient largement détruits.

 

De quelle époque datent-elles ?

En grande partie de l’Intermédiaire récent et de l’Horizon récent. Nous disposons de références très succinctes sur ces tombes. Dans des cas plus extrêmes, les contextes n’existent même plus. C’est la raison pour laquelle nous connaissons actuellement de manière incomplète les pratiques funéraires Ychsma.  Ainsi, par exemple, nous ignorons tout des caractéristiques des tombes de l’élite, ce qui ne manque jamais de fournir des données précieuses sur l’identité culturelle, l’identité de genre, le statut social et la fonction des individus enterrés.

 

Et des tombes des époques précédentes ?

Nous disposons d’informations sur les tombes Wari de l’Horizon moyen. Ces dernières sont à la base de la tradition funéraire Ychsma. Les tombes étaient souvent recouvertes d’un toit en pierre ou en roseau. Certaines présentaient des marqueurs de tombes et pouvaient contenir plusieurs individus.On utilisait des pierres plates ou de grands fragments de caliche - une roche sédimentaire -,pour les couvrir. Autre caractéristique : elles sont en général de structures coniques ou cylindriques avec des parois en pierre ou, pour les plus anciennes, en briques crues séchées au soleil (adobes).Certaines, parmi ces dernières, ont été découvertes par Max Uhle sous le Temple Peint de Pachacamac et en face. Le mobilier funéraire était disposé sur des niveaux superposés face à l‘individu principal ou sur les côtés. Le corps était plié et placé dans un fardo (un ballot) composé de plusieurs couches de tissus. Parfois, les fardos portaient des têtes postiches fabriquées en tissu comme celles trouvées à Ancón ou possédaient des masques funéraires élaborés en bois ou en terre cuite comme ceux mis au jour par Max Uhle à Pachacamac. Les masques en bois portaient des applications en coquille et en résine noire à la place des yeux. Vers la fin de l’Horizon moyen (juste avant l’an 900), on trouve à Pachacamac et à Ancón (ce sont celles les plus connues), des chambres carrées, trapézoïdales ou rectangulaires creusées directement dans le sol. Les jeunes enfants étaient étendus en décubitus dorsal et généralement placés sur de petits civières élaborées au moyen de roseaux verticaux unis entre eux par des joncs, donnant ainsi de la stabilité au petit fardo qui était attaché à la civière au moment d’être déposé dans la tombe. Il est possible de trouver des tombes plus ou moins rectangulaires, même si elles sont les moins fréquentes  On y trouve des nouveaux-nés ou de jeunes enfants, de trois ans pour les plus âgés.

 

Parlez-nous des têtes postiches, du mobilier funéraire…

Les masques étaient toujours peints en rouge, avec des visages étroits. Les yeux ressortaient, le nez partait de la partie supérieure du visage et la bouche était à peine marquée. Le mobilier funéraire contenait de la poterie placée devant le corps ou sur les côtés. Les récipients étaient souvent disposés en paires. On a trouvé quelques objets lithiques et en or. Dans quelques cas, à Ancón notamment, on a découvert une natte posée obliquement dans la tombe, couvrant l’individu et une partie de la poterie. Cette coutume funéraire s’y prolonge pendant les premières phases de l’Intermédiaire récent.

 

Existe-t-il un modèle funéraire Ychsma ?

Certaines récurrences dans les us et coutumes funéraires témoignent à mon sens d’une identité ethnique Ychsma qui s’exprime tout au long de la séquence culturelle de la zone.  Avec quelques spécificités.

 

Des exemples…

Les  tombes associées à la céramique du Ychsma ancien conservent  des  ca- ractéristiques   de   la   période    antérieure Wari.  Les tombes renferment des ballots à tête postiche. On retrouve à l’intérieur une structure en roseaux, mais   avaient-elles des toitures ? Ce  n’est  pas encore très clair.  Pour ce qui concerne la poterie du mobilier funéraire, on a identifié la coutume de les perforer, même si ce n’était pas une pratique très fréquente. Nous l’interprétons comme un acte symbolique correspondant au « sacrifice du récipient ». La perforation avait des diamètres variables, mais jamais plus de deux centimètres et elle était presque toujours de forme circulaire.  En revanche, les tombes associées à la céramique de l’Ychsma moyen perdent leur toiture. Le mobilier funéraire, dans quelques cas, atteint jusqu’à 30 récipients. Parfois, on retrouve aussi une gourde ou une bouteille. Dans cette phase, l’utilisation de calebasses, au lieu des assiettes ou des écuelles de céramique, devient caractéristique. Hommes et femmes ont les cheveux coupés sur le front. Le fardo des hommes contient des pinces à épiler en argent, bien élaborées. Le visage du défunt est recouvert d’une matière rouge, sans doute du cinabre. La hiérarchie et le statut sont soulignés par le nombre de poteries en céramique constituant le mobilier funéraire.

 

Et dans les tombes plus récentes ?

Elles sont très similaires à celles de l’Ychsma moyen dans leur forme, mais la céramique est différente. Et dans cette période-là nous trouvons aussi plus de tombes multiples et collectives.

 

Des tombes multiples. Précisez…

Dans ce cas, plusieurs individus ont été déposés pendant un seul événement funéraire. Alors que les enterrements collectifs présentent un espace funéraire destiné à recevoir une succession de sépultures, ce qui suppose la réouverture de la tombe chaque fois qu’on y dépose un nouvel individu. Lors des fouilles, nous avons identifié des contextes avec deux, trois individus ou davantage qui peuvent être classifiés comme: 1) un individu adulte et un jeune enfant; 2) un jeune enfant près d’un autre jeune enfant; 3) deux individus adultes, ou un enfant accompagné par de jeunes enfants.  Pour en revenir aux enterrements multiples, apparemment il s’agit d’une pratique funéraire singulière qui, selon le modèle funéraire Ychsma, se présente fréquemment avec l’association d’un adulte et d’un jeune enfant.

 

Une mère et son enfant…

C’est une possibilité, bien qu’il ne soit pas toujours facile de supposer que les deux individus soient morts en même temps.  Mais il se peut aussi qu’après le décès de la mère, le jeune enfant soit mort, peut-être, à cause de l’impossibilité pour le reste du noyau familial d’assumer son éducation. Et puis, c’est peut-être lié à la mortalité infantile élevée de l’époque, ce qui provoqua l’entreposage des petits corps pour les utiliser dans les fréquents rites funéraires. Il reste à faire les analyses physiques et d’ADN pour établir la filiation biologique et déterminer ainsi les causes de la mort. Une autre forme d’enterrements multiples est à considérer. Celle où nous retrouvons deux adultes ensemble ou de jeunes enfants accompagnant un enfant. Dans ces cas, nous pourrions nous trouver en présence de “morts d’accompagnement” dont les implications d’ordre social feraient preuve de différences du statut dans la société.

 

Expliquez-nous…

Les “morts d’accompagnement” sont des individus qui  sont dépendants ou souffrent d’une subordination envers quelqu’un de hiérarchie supérieure. L’existence de ces contextes est un indicateur de différentiation du niveau de vie puisqu’elle met en évidence la condition des individus.

 

Ces personnes ont-elles été sacrifiées ou se sont-elles suicidées ?

Les sources ethnohistoriques connues dans les Andes n’ont jamais rapporté la pratique du suicide, raison pour laquelle il serait aventureux d’affirmer son existence dans la société Ychsma. Mais il y a des vestiges archéologiques de sacrifices humains. À la différence de ces sacrifices, les "morts d’accompagnement" sont des personnes ou des animaux qui, en vie, appartenaient à quelqu’un de rang ou de pouvoir supérieur. En d’autres mots, ces êtres   étaient considérés de leur vivant comme un bien de leur seigneur et cette relation de dépendance pouvait commencer dès le plus jeune âge. La présence des “accompagnants” cherche à maintenir la même relation de subordination à perpétuité. C’est le contraire d’une offrande ou d’un sacrifice où la victime est livrée aux dieux. Il s’agit d’une pratique funéraire qui reflète l’ordre social dans la vie quotidienne. Un autre type de contexte funéraire témoigne d’un ritualisme complexe majeur. Nous l’avons enregistré à Armatambo. Il s’agit d’un cénotaphe où se manifestent symboliquement le pouvoir et la hiérarchie. Deux bâtons en bois ont été enterrés dans une chambre rectangulaire construite avec des adobes minces. En direction du nord, mais en dehors de la chambre, le corps étendu d’un adulte a été déposé parallèlement. L’individu avait les cuisses et les chevilles attachées à l’aide d’une fibre végétale tressée. Il portait un vêtement très simple en coton. Á l’intérieur et à l’est de la chambre, les deux bâtons étaient couverts de plusieurs textiles, d’une figurine et de huit pièces de poterie de l’Ychsma moyen. A  l’ouest, on a trouvé une pierre et de la cendre. Jusqu’à maintenant, il n’existe pas de registres archéologiques comparables, sauf à considérer les objets en bois, de facture similaire,  exposés au Musée de Pachacamac.  Ce contexte représente une pratique funéraire de charge symbolique, car enterrer ces bâtons de commandement pourrait représenter un moment de rénovation dans le leadership Ychsma.

 

Et les tombes collectives ?

Les  contextes  collectifs ne sont pas fréquents chez les Ychsma.  Cependant, à   Armatambo, dans  la nécropole  du « 22 Octobre »,  nous avons trouvé dix sept   individus, dont   deux   peuvent être  considérés  comme  les “principaux ». Parmi les autres, dix étaient des enfants et jeunes enfants. Dans le secteur de la Huaca San Pedro, nous avons découvert une chambre funéraire regroupant plusieurs quipucamayocs.

 

 

Pour conclure, dîtes-nous vers quel aspect de la culture Ychsma vous comptez maintenant orienter vos travaux ?

Nous    allons  poursuivre  les  recherches sur les individus de  la nécropole d’Armatambo  et  de  La  Rinconada Alta.  Il  nous intéresse de savoir quelle mobilité avait ces deux populations et de déterminer s’il existait  éventuellement des individus d’autres origines. Pour cela, il faudra faire des analyses d’isotopes de strontium, tant dans la tombe collective d’Armatambo que chez d’autres individus des deux sites. En plus, il est vital de connaître le lien de parenté entre les individus des tombes collectives et ceux des tombes multiples des deux lieux. Les analyses d’ADN mitochondrial pourront confirmer si les enfants et nouveau-nés, présents dans certaines tombes, ont un lien de parenté avec les adultes déposés dans celles-ci. Dans d’autres cas, elles permettront d’établir les relations hiérarchiques entre les individus déposés ensemble. Finalement, il est aussi important de connaître la chronologie absolue de certaines tombes que le régime alimentaire prédominant des individus. Est-ce que les individus des deux populations avaient des régimes différenciés ? Il faut s’attendre à ce que la population d’Armatambo ait eu un régime comptant davantage de ressources marines tandis qu’à La Rinconada Alta, les produits agricoles devaient prévaloir. Les analyses d’isotopes stables de nitrogène et de carbone sur les cheveux de certains individus pourront élucider cela.

Propos recueillis en 2012

 

 

 

 

Fardo avec structure latérale en roseau fouillé dans une nécropole à Armatambo © Luisa Diaz Arriola"
Coupe schématique de tombes fouillées à La Salina. Site situé dans la vallée moyenne du Rio Rimac © Machacuay y Aramburú 1998"
Fardo funéraire avec tête postiche provenant de la nécropole “Quebrada Huaquerones” où les contextes funéraires étaient associés à la céramique Ychsma récente B et Inca. L’image montre les diverses couches du fardo © Cock et Goycochea 2004"
Objets en argent provenant de contextes funéraires de Armatambo. 1) Pinces en argent de l’intermédiaire récent. 2) Pinces de l’horizon récent. Les pinces suivantes disposent de perles élaborées en coquille de spondyle © Luisa Diaz Arriola"
Tombes tardives à Armatambo a) Tombe de forme quadrangulaire contenant des restes humains de quipucamacoyocs © Vallejo"
Tombes tardives à Armatambo b) tombe multiple qui réutilise une chambre quadrangulaire à la PAR SP-1 d’Armatambo où ont été retrouvés également des restes de quipus  © Vallejo"
Vue aérienne d’Armatambo en 1943. Le site est aujourd’hui recouvert en partie par la ville de Lima © Servicio Aerfotográfico Nacional. SAN (Pérou)"
Vue aérienne de Pachacamac © Servicio Aerfotográfico Nacional. SAN (Pérou)"
Temple du Soleil de Pachacamac. Vue du nord vers le sud en 1943 © Servicio Aerfotográfico Nacional. SAN (Pérou)"
Vue d’Armatambo en 1956. Le site de Pachacamac et ses îles apparaissent au fond. © Servicio Aerfotográfico Nacional. SAN (Pérou)"