Grégory Pereira

Archéologue spécialiste de l’ostéologie et de l’anatomie humaine.
Archéologie des Amériques, UMR 8096 CNRS – Paris I (Panthéon-Sorbonne)

 

 

 

 

 

Accès au tunnel sous le Temple du Serpent à Plumes.
https://www.youtube.com/watch,v=7CeUI1RWDk

 

 

 

“La divinité majeure de Teotihuacan était Tlaloc, le dieu de la pluie et de la végétation”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un certain regard sur l'exposition "Teotihuacan, Cité des Dieux"

 

 

 

 

 

 

La citadelle et le Temple du Serpent à Plumes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

" Chez les Mésoaméricains, la mort est génératrice de vie. Il faut donc qu’il y ait mort pour que commence un nouveau cycle "

 

 

 

La salle Teotihuacan, Musée National d'Anthropologie, Mexico

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

" La majorité des squelettes retrouvés dans les pyramides de Teotihuacan sont originaires d'autres régions que la vallée de Mexico "

 

Le patio du temple du Serpent à Plumes. © Claude Joulin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

" Pour l'archéologue une incinération se retrouve aussi bien qu'une inhumation "

 

 

Offrandes et sacrifices au cœur des pyramides de Teotihuacan

 

 

L’actualité de Teotihuacan, c’est pour l’heure le dégagement d’un tunnel d’environ 100 m de long  repéré à 13 m de profondeur sous le Temple du Serpent à Plumes. Les offrandes retrouvées jusqu’ici font penser que des tombes de hauts personnages restent à découvrir. Ce serait une grande première. Expliquez-nous…

On rejoint là le grand débat qui anime Teotihuacan depuis longtemps. Parce que jusqu’à présent l’on n’y a jamais trouvé de tombes royales ou princières. Les ossements humains découverts à l’intérieur des grands monuments – avec des méthodes appropriées et non pas celles du début du XXe siècle – montrent clairement qu’il s’agit d’offrandes sacrificielles. Ces ossements ne correspondant pas à des dépouilles de hauts dignitaires que l’on aurait honorés en les enterrant dans la pyramide. Il s’agit, au contraire, de personnages immolés qui font partie d’une offrande. Ils sont présentés assez systématiquement les mains liées dans le dos, dans une posture typique des prisonniers dans tout le monde mésoaméricain. Certains chercheurs, comme Saburo Sugiyama, pensent qu’il y a probablement des tombes royales à Teotihuacan. Ils  se réfèrent pour cela au tunnel découvert dans les années 70 par l’archéologue mexicain Jorge Acosta. Tunnel qui se trouve sous la pyramide du Soleil.  Pour l’heure, il n’a jamais été démontré qu’il s’agissait d’une tombe. Pour la simple et bonne raison que déjà, à l’époque de Teotihuacan (la cité a été abandonnée entre 550 et 600 de notre ère), l’intérieur a été pillé, vidangé, et vidé…

 

Vous parlez de la « grotte » ?

Précisément. De ce tunnel artificiel, de plus de 100 m de long, qui a été creusé sous quatre ou cinq mètres de basalte avant la construction de la pyramide, au début de notre ère, et qui aboutit à une grotte en forme de fleur à quatre pétales. Sur un plan, vu de dessus, l’ensemble a la forme d’une fleur. L’image est renforcée par deux cavités en vis-à-vis, semblables à des feuilles, sur la « tige » que forme le tunnel.

 

Vous l’avez visité ?

J’ai eu cette chance. Un collègue qui y fait actuellement des recherches m’a invité. On y accède par un puits carré, d’environ quatre mètres de large et sept mètres de profondeur, qui se situe au pied du grand escalier de la pyramide. On descend d’abord à l’intérieur du puits, puis on circule pratiquement à l’horizontal sous la pyramide…

 

Le tunnel est étroit…

Il mesure environ 2 m de large sur 2 m de hauteur. On y marche debout sans problème. Les parois sont très irrégulières et truffées de roches en inclusion. Le tunnel a été creusé au niveau du contact entre une couche volcanique friable et une couche volcanique compacte. Ce qui est frappant, au début du parcours, ce sont ces murs qui barrent l’accès avec des petites portes, entre 1,20 à 1,50 m de haut, qui vous obligent à plusieurs reprises à vous baisser. Comme s’il s’agissait de passages qui participent d’un rituel d’initiation. Ensuite, vous devez franchir des murets transversaux.  Ce qui reste des murs qui cloisonnaient le tunnel et qui ont été abattus à un moment donné. Lors d’un pillage ou d’une réouverture ?

 

Que voit-on à l’intérieur des cavités en forme de pétale ou de feuille ?

Nous disposons de peu d’informations sur les vestiges qui ont été retrouvés, et où précisément ils ont été découverts. On sait qu’il y avait de la céramique sous forme de tessons et des fragments de grands miroirs : des plaques en ardoise recouvertes de mosaïques de pyrite. Leur étude se poursuit et peu de choses ont été publiées à ce sujet. Pour m’intéresser à ces miroirs, il s’agit d’objets rituels parmi les plus importants de Teotihuacan car on les retrouve dans tous les grands dépôts d’offrandes au sein de pyramide de la Lune et du Temple du Serpent à Plumes.

 

La taille de ces miroirs…

Jusqu’à 20 ou 25 cm de diamètre pour les plus grands semble-t-il.

 

Revenons aux pétales…

La cavité se situe pratiquement à l’aplomb du sommet de la pyramide. On y voit encore des éléments sculptés, des pierres en forme de U ou de canaux. Sans doute y avait-il là une source.  C’est une hypothèse. Une référence à l’eau ou à un culte qui lui était rendu. Il faut savoir que la divinité majeure de Teotihuacan était Tlaloc, le dieu de la pluie et de la végétation. Maintenant, le monument que les Aztèques ont appelé le « Temple du Soleil » était-il lié à la fertilité ou à Tlaloc ? Nous ne le savons pas.

 

Justement, d’où vient cette appellation Temple ou pyramide du Soleil ?

A l’orientation du monument : Est-Ouest. Le grand escalier fait face au soleil levant. A ce propos, les archéologues préfèrent parler de temple-pyramide. Cette formulation correspond mieux à la réalité, car en Mésoamérique les pyramides n’étaient pas pointues, comme celles d’Egypte, mais coiffées d’un temple.

 

A ce premier tunnel précolombien, s’ajoutent ceux percés par les archéologues à l’intérieur de la Pyramide du Soleil...

Effectivement, un grand tunnel a été percé un peu au-dessus de la base de la pyramide, lui-même formé de deux tunnels. L’un creusé en 1920, l’autre en 1933, et qui ont été joints. Un troisième tunnel, à mi-hauteur du monument, a été percé en 1960. S’y ajoutent les extensions récentes du collègue japonais Saburo Sugiyama qui s’intéresse à l’existence d’un bâtiment antérieur. Lequel, manifestement, ne serait pas une pyramide. Pour l’heure, en tout cas, tout porte à croire que la pyramide du Soleil a été construite en une fois.

 

Qu’a-t-on trouvé lors des fouilles ?

Leopoldo Batres, qui le premier à dégagé le monument en 1905, a trouvé sur les corps de la pyramide, au sommet des plans qui séparent les différents talus, les squelettes de quatre enfants. Un à chaque angle. Par ailleurs, différents artefacts ont été trouvés dont des tessons de céramique, mais rien d’extraordinaire. Pour l’instant… On sait désormais, depuis les fouilles de la pyramide de la Lune et du Temple du Serpent à Plumes, qu’il faut creuser à la base de la pyramide, sur les points cardinaux, pour trouver les dépôts d’offrandes…

 

Cette connaissance est le fruit de votre expérience au sein de la pyramide de la Lune. Racontez-nous…

La pyramide de la Lune est située à l’extrême nord de l’allée des Morts, sur l’axe principal - Sud-Nord - de Teotihuacan. C’est la raison pour laquelle mes collègues Rubèn Cabrera et Saburo Sugiyama se sont intéressés à ce monument entre 1998 et 2004. Partant de l’idée qu’en regard de son orientation et de son emplacement - sur ce grand axe qui structure l’ensemble de la cité -, la pyramide de la Lune avait dû probablement être érigée très tôt, voire tenir un rôle fondateur. Donc, ils ont commencé à creuser différents tunnels pour savoir si la pyramide avait été érigée en une fois ou si, au contraire, comme cela semblait probable, elle avait fait l’objet d’élévations successives. Ils ont ainsi découvert qu’il y avait eu sept étapes de construction. La dernière n’était qu’un réaménagement de l’apparence extérieure du monument, sans augmentation sensible de son volume. De fait, c’est surtout à partir de la quatrième étape et jusqu’à la sixième qu’on enregistre un agrandissement important de la pyramide. Ce qui n’est pas vrai pour les trois premiers édifices situés sous ce qu’on appelle à tort la « plate-forme adossée ». En réalité, cette « plate-forme » est constituée de la première pyramide et des deux aménagements postérieurs. Les architectes ont ensuite empilé les édifices à l’arrière de celle-ci.

 

Pour quelle raison ?

Probablement parce que la Place de la Lune était déjà bien délimitée et qu’elle avait son importance. En conséquence, il n’y avait pas d’autre choix pour augmenter le volume du monument que de l’étendre vers l’arrière.

 

Revenons-en à votre contribution au sein de la Pyramide de la Lune… 

Leonardo López Luján, responsable des fouilles du Templo Mayor à Mexico, m’a écrit, en 1999, après les premières découvertes réalisées au sein de la pyramide de la Lune. Afin d’aider mes collègues Rubèn Cabrera et Saburo Sugiyama. Ils avaient trouvé, l’année précédente, un squelette humain dans un dépôt d’offrandes et venaient de dégager un nouveau dépôt contenant des ossements. Bref, il manquait un spécialiste de l’ostéologie et de l’anatomie humaine pour faire, sur le terrain, tous les enregistrements nécessaires.

 

En même temps vous êtes archéologue…

Je suis archéologue, mais ma spécialité porte sur les vestiges osseux humains dans leur dimension culturelle. On peut étudier ces mêmes vestiges dans leur dimension biologique (les maladies, les variations de la croissance, etc), mais, au-delà de ces études auxquelles j’ai bien sûr recours, mon travail est de comprendre les rituels auxquels ont été soumis les humains à travers l’étude des restes, en l’occurrence des os. Et donc j’ai travaillé sur les dépôts associés aux édifices 4, 5 et 6 de la pyramide de la Lune, le 7ème et dernier étant superficiel et très abîmé. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’il y ait eu des dépôts, car c’est apparemment un recouvrement mineur.

 

Et vous, qu’avez-vous découvert ? 

Quatre squelettes ont été déposés sur l’édifice 3 juste avant la construction du 4ème niveau. Ceux de trois adultes en position allongés et celui d’un adolescent dont le corps était fléchi. Tous avaient les mains liés dans le dos. Certains étaient porteurs d’ornements en pierre verte et coquillages. On a retrouvé aussi, un peu partout, des restes de fibres éparses. Ces squelettes étaient recouverts par des ossements d’animaux, principalement des crânes et divers objets (strombes, pointes de projectiles…). Les os humains étaient en très mauvais état, comme la plupart de ceux retrouvés au sein des pyramides de Teotihuacan.  Nous n’avons pas retrouvé de traces de coups. Il n’a donc pas été possible de déterminer comment ces individus ont été tués à l’extérieur avant d’être déposés dans la pyramide…

 

A moins qu’ils aient été enterrés vivants ?

Certains l’avancent, mais je n’y crois pas puisque, par excellence, le but de l’offrande était de faire couler le sang lors de la mise à mort. De fait, il est très difficile de savoir ce qui s’est passé précisément.  Même s’il a été procédé à l’extraction du cœur, par exemple, les côtes sont dans un tel état que cela ne permet plus de le constater.

 

Comment explique-ton cette mauvaise conservation des ossements ?

Tous ces ossements ont été soumis à une pression très forte. Les fosses dans lesquelles étaient placés les corps ont été remblayées avec du sédiment ou de lourds blocs de pierre qui les ont écrasés. Par ailleurs, la conservation n’est pas très bonne à Teotihuacan en raison des propriétés du sol.

 

Où se situent les dépôts d’offrandes au cœur de la pyramide ?

Tous les dépôts sont sur l’axe central Nord-Sud en passant par le centre du monument. Ils ont été découverts en creusant un tunnel qui allait dans ce sens.

 

Sait-on à quel moment ils ont été déposés ?

Bien sûr. Par exemple, nous savons que le dépôt 3 a été mis en place quand ils ont construit l’extension vers le nord. Et tous les autres dépôts offrandes précédaient une nouvelle étape de modification ou de rehaussement du monument…

 

Parlez-nous du dépôt 4 sur lequel vous avez travaillé.

17 crânes humains ont été retrouvés…

Il a été mis en place entre deux couches de remblais. Nous avons découvert 17 crânes déposés à l’horizontal, avec mandibules et vertèbres cervicales, plus la première vertèbre d’une 18ème victime dont le crâne était absent. On ne sait pas si cette victime a été décapitée, car l’os est trop mal conservé. Ce qui n’est pas le cas des autres où l’on voit clairement des traces de décapitation. Donc, très clairement, ils n’ont déposé là que des têtes dont certaines étaient d’ailleurs déformées de façon hétérogène, ce qui indique des pratiques différentes et des victimes ayant une origine culturelle différente. Par ailleurs, et c’est rare à Teotihuacan, six avaient les dents limées ou incrustées de pierres vertes ou de pyrite. Une technique réservée à une catégorie sociale d’un rang élevé.

 

Et les 18 corps ?

Ils ne faisaient pas partie du dépôt et nous ne savons pas où ils sont. Mais il faut bien comprendre que tout cela n’est pas dû au hasard, car le nombre 18 est important dans la symbolique mésoaméricaine.

 

Expliquez-nous… 

Tous ces dépôts sont clairement liés à la numérologie. Le nombre d’individus, le nombre de dépôts ou de tels ou tels artefacts correspond à des chiffres ou à des nombres qui ont une valeur symbolique sur le plan des calendriers ou de la représentation de l’univers. Ils expriment deux notions, l’une spatiale, l’autre temporelle.

 

Des siècles plus tard, les Aztèques pratiquaient les mêmes rituels…

L’inauguration d’un espace sacré chez les Aztèques se traduisait par un sacrifice et un dépôt rituel. Lequel était une représentation du monde en miniature. C’était, de fait, un acte fondateur. La marque d’un changement de cycle. A l’occasion de l’arrivée d’un nouveau souverain, de l’élévation d’un monument voire d’une sculpture importante  on plaçait à l’intérieur ou dessous un dépôt d’offrandes et l’on faisait un sacrifice. Chez les Mésoaméricains, la mort est génératrice de vie. Il faut donc qu’il y ait mort pour que commence un nouveau cycle…

 

Revenons à Teotihuacan. A-t-on une idée de ce que signifie chacun de ces dépôts ?

Nous ne connaîtrons sans doute jamais leur signification. En revanche, nous parviendrons à définir comment était exécuté le rituel, qu’est-ce qu’il impliquait sur le plan des symboles, des artefacts présents, etc.  Ce qui est assez clair, dans le cas de la pyramide de la Lune comme dans celle du Serpents à Plumes, c’est que la connotation guerrière est très importante. Les symboles sont liés à la guerre.

 

Par exemple…

Au-delà des parures et ornements divers, on retrouve un nombre important de pointes de projectiles et de fines lames d’obsidienne mêlées aux restes des prisonniers et des animaux (félins, canidés, serpents, oiseaux de proie) qui ont tous en commun d’être des prédateurs. Alors on peut se poser la question : était-ce pour célébrer une grande victoire ? Peut-être…. Ils agrandissaient le temple à cette occasion pour honorer le dieu qui avait rendu favorable l’issue du combat. On peut imaginer beaucoup de choses...

 

Le dépôt de l’offrande 5 a réservé des surprises avec ces trois squelettes, ceux de trois hommes de 40 à 70 ans assis en tailleur. Apparemment des hauts dignitaires mayas…

Là aussi les corps étaient affaissés sous le poids des pierres. Mais la position des os et l’état des articulations a permis de reconstituer le processus de dislocation pour conclure que ces hommes étaient assis en tailleur. Alors, effectivement, ils portaient de riches ornements qui sont nettement maya. En particulier, deux parures de jadéite assez imposantes avec de grandes perles en provenance du Guatemala et deux pectoraux typiquement maya, dont un était gravé curieusement d’un motif teotihuacain. Quant à la position des squelettes, elle n’est pas courante sur le site, mais c’est une façon d’inhumer qui se retrouve largement dans les tombes des Hautes Terres mayas, au Chiapas et au Guatemala.

 

Toujours dans la pyramide de la Lune, l’offrande 6 comprenait 12 squelettes dont dix individus sans têtes…

Oui, ce sont des corps de décapités. Ils pouvaient correspondre aux crânes découverts dans le dépôt 4 mais, à l’analyse, les os ne sont pas contemporains. On peut penser que les têtes manquantes restent à découvrir au sein de la pyramide.

 

Que donnent les analyses ADN ?

Pour l’instant, nous n’avons pas de résultats très concluants en raison des problèmes de conservation évoqués précédemment.

L’ADN est fragile et se trouve dans la partie organique de l’os. Pour rendre ces études instructives, il nous faudrait disposer des éléments de comparaison, idéalement sur toute la Mésoamérique, pour raccorder les résultats obtenus à telle ou telle population. En revanche, des analyses ont été réalisées en considérant deux isotopes, l’oxygène 14 et le strontium, qui sont des marqueurs environnementaux. Le premier est sensible aux variations d’altitude et d’humidité et nous indique si l’individu habitait plutôt les basses terres ou la montagne. Le second reflète le substrat géologique du lieu. C’est une sorte de signature qui nous permet de savoir, par l’enrichissement de certains minéraux absorbés avec l’eau et plus généralement les aliments, où habitaient les individus étudiés. Cela nous a permis, par croisement, de montrer que la majorité des squelettes retrouvés dans les pyramides de Teotihuacan sont originaires d’autres régions que la vallée de Mexico. C’est pourquoi le plus vraisemblable est d’imaginer qu’il s’agissait de prisonniers. Majoritairement des hommes.

 

Jamais de femmes…

Pas dans la pyramide de la Lune. En revanche, les dépôts 16 et 17 du Temple du Serpent à Plumes ont livré, dans les années 90, les squelettes de huit femmes en position assise.

 

Terminons justement par le Temple du Serpent à Plumes

Les découvertes s’y sont enchaînées depuis les années 80. Jusqu’à la découverte  de fosses et de sacrifiés dont les corps sont déposés sur différents axes. Avec, au centre de la pyramide, le dépôt de 20 individus et une série de dépôts mis en place dans des fosses creusées en fonction des axes cardinaux et comprenant tantôt un seul individu, tantôt 4, 8, 9, 18 ou 20. Des chiffres et nombres qui font référence aux systèmes des calendriers rituel et solaire. Il faut souligner que c’est la fouille de la pyramide du Serpent à Plumes qui a révélé l’amplitude du sacrifice humain à Teotihuacan. Il y avait des indices de sacrifices via des représentations peintes de cœurs et de couteaux. Certains chercheurs affirmaient que c’était purement allégorique. Il est clair maintenant que cela correspond à un rituel pratiqué au niveau de l’Etat, puisqu’on en trouve les traces dans les grands monuments. Plus rarement dans les zones d’habitat. Bref, ce n’était pas, comme on l’imaginait, une société pacifique où ne faisaient que prospérer des artisans, des commerçants et des prêtres. C’était, au contraire, une société guerrière qui mettait l’emphase sur la guerre et le sacrifice humain. Comme chez les Aztèques. Avec, là aussi, une politique probablement expansionniste. La guerre était, manifestement, valorisée par l’idéologie de cette cité.

 

Pour que le temple du Serpent à Plumes ait à ce point infirmé la thèse d’une société pacifique, combien y a-t-on retrouvé de victimes sacrificielles ?

A ce jour, et à ma connaissance, autour de 120, mais certains auteurs vont jusqu’à évoquer le nombre de 200.

 

Pour conclure sur les découvertes à venir au sein du Temple du Serpent à plumes, rien n’empêche de penser qu’à l’égal des dignitaires aztèques ceux de Teotihuacan étaient incinérés. Auquel cas, on ne retrouvera pas de squelettes, mais des cendres…

C’est une idée fausse. Quand on brûle un corps, cela donne bien sûr des cendres, mais surtout des os brûlés. Ils sont cassés et se conservent souvent mieux en petits morceaux. Pour l’archéologue, une incinération se retrouve aussi bien qu’une inhumation. La différence, c’est que le corps tient dans un espace plus petit, dans une jarre par exemple, et c’est donc plus difficile à localiser qu’un corps entier. Ce qui produit des cendres, en fait, ce sont les résidus organiques et le combustible utilisé. Mais le squelette, lui, demeure. A faible température, il reste entier. A forte température, les os se déforment. Voyez les rites de crémation au Japon. Il revient aux proches du défunt de transférer eux-mêmes les os brûlés dans l’urne. Chez nous, ils sont discrètement broyés pour donner ce que nous appelons pudiquement « les cendres ». Plus rien d’exploitable pour l’archéologue, alors que des os brûlés peuvent livrer des informations, pas sur la taille de l’individu – en raison de la déformation des os - mais sur sa robustesse, à partir de la tête du fémur, par exemple…

 

Teotihuacan en chiffres

La cité de Teotihucan naît au début de notre ère à une altitude qui se situe entre 2250 et 2280 m. A son apogée, entre 200 et 600 apr. J.-C. sa population dépasse 100 000 habitants pour une surface voisine de 20 km². L’axe principal de la cité, orienté Nord-Sud, et sur lequel s’ouvrent les monuments principaux, mesure  environ 4 km sur 90 m de large. Trois grands ensembles architecturaux sont particulièrement remarquables : la pyramide du Soleil, la pyramide de la Lune et le Temple du Serpent à Plumes (ou Quetzalcoatl) au sein de la « Citadelle ». La pyramide du Soleil qui repose sur une base de 222 m x 225 m  s’élève à 63 mètres de hauteur et sa masse est équivalente à celle de la Grande Pyramide (Kéops) en Egypte. La pyramide de la Lune, haute de 46 m, repose sur une base de 140 m x 150 m. La construction des deux pyramides datent de la phase Tzacualli (1 – 150 de notre ère). Le Temple du Serpent à Plumes est postérieur. Sa construction appartient à la phase Miccaotli (150 – 250 de notre ère). C’est lors de cette phase que la cité a été divisée en quatre quartiers, séparés par l’axe Nord-Sud de l’Allée des morts et la voie Est-Ouest. Le Temple du Serpent à plumes (au sein de la « Citadelle »), et le Grand Ensemble sacré qui lui fait face se situent précisément au cœur de la cité.

 

Propos recueillis en 2011/2012

Photo d'accueil : La pyramide du Soleil repose sur une base de 222 m x 225 m. Elle  s’élève à 63 mètres de hauteur et sa masse est équivalente à celle de la Grande Pyramide (Kéops) en Egypte.  © Claude Joulin