Éric Taladoire

Docteur en archéologie précolombienne.

Membre de l'UMR 8096 Archéologie des Amériques

Professeur  émérite de l'Université de Paris 1 (Panthéon Sorbonne)

 

Le codex de Paris (ou Peresianus) C’est Léon de Rosny qui redécouvrit ce fragment de codex dans une corbeille de vieux papiers de la Bibliothèque Nationale de Paris, en 1859. Il avait, précédemment, été documenté par un certain José Pérez. En très mauvais état, le fragment se compose de 11 feuilles recto-verso, soit 22 pages, pour une longueur totale de 1,45 m. Le manuscrit se caractérise par ses nombreuses couleurs, ses images et contours de glyphes soulignés d’un trait noir et certaines pages inhabituellement écrites de droite à gauche. Le codex contient rituels religieux et prophéties. Outre un calendrier zodiacal de 364 jours, on y distingue un dragon céleste accompagné de signes planétaires.

Le codex de Madrid (ou manuscrit Troano) Il revient à l’abbé Brasseur de Bourbourg d’avoir découvert l’un des deux fragments de ce codex parmi les papiers du professeur Juan Tro y Ortalano. Lequel lui confia le manuscrit et l’autorisa à le publier. La seconde partie, dont l’arrivée en Espagne est attribuée à Cortès, fut proposée au Musée archéologique de Madrid par un collectionneur madrilène, José Ignacio Miro. Les deux sections forment un manuscrit unique, long de 6,7 m et composé de 56 feuilles de 23 x 9 cm. Le codex contient horoscopes et almanachs, mais aussi des scènes de chasse et de tissage. L’abeille est un motif récurrent du codex de Madrid conservé par le Musée des Amériques.

Le codex de Dresde Conservé à la bibliothèque universitaire de Dresde (Allemagne), ce codex d’une longueur totale de 3,56 mètres est formé de trente neuf feuillets de 20,4 x 9 cm chacune, soit soixante dix huit pages, dont quatre vierges. Acheté à un collectionneur privé de Vienne en 1739, publié en partie par Alexandre Von Humboldt, le manuscrit a été endommagé suite aux inondations causées par les bombardements du 13 au 15 février 1945. Traité de divination et d’astronomie, le codex de Dresde a permis de déterminer la date d’origine du Compte long maya, à savoir le 11 août 3114 av. J.-C.

Les trois codex mayas qui ont échappé aux destructions sont aujourd’hui conservés dans les bibliothèques de trois villes européennes : Madrid, Paris et Dresde

LES TROIS CODEX MAYAS “Les manuscrits sacrés d’une civilisation disparue” Par Eric Taladoire. Chez Balland

Les trois codex mayas

 

Dans votre ouvrage – Les trois codex mayas – vous évoquez les destructions de l’évêque du Yucatan, Diego de Landa. Destructions qui font qu’il ne subsiste aujourd’hui dans le monde que trois manuscrits pictographiques antérieurs à la Conquête espagnole. Vous contestez que Landa en aurait détruit des centaines. Expliquez-nous pourquoi, en nous rappelant d’abord comment se présente un codex maya ?

C’est un livre de format rectangulaire sur papier d’écorce ou sur peau de cerf. Il est peint, polychrome en général, plié en accordéon pour le protéger, et peut donc avoir une longueur qui varie de quelques pages à plus d’une centaine. Pour que les couleurs accrochent, le papier est recouvert d’un enduit de chaux. C’est donc un livre, au sens traditionnel du terme, tel qu’on peut en trouver dans d’autres civilisations et sur d’autres continents.

 

Les codex maya ressemblent-ils à ceux du haut plateau mexicain…

Les codex mexicains ne sont pas tous en papier d’écorce. Il en existe sur des supports variés, par exemple des tissus de coton ou des peaux, comme chez les Mixtèques.

 

Venons-en à Landa. Comment expliquez-vous son intervention destructrice ?

La question est très débattue, mais elle est simple. Landa a été confronté à la suite d’une évangélisation rapide et souvent superficielle – on baptisait les gens avant de les convertir – à la reprise ou la perpétuation d’un certain nombre de traditions antérieures à la conquête, notamment à des cultes d’idoles. Le fait est que Landa a effectué une répression violente pour laquelle il a, d’ailleurs, été jugé en Espagne, dans la mesure où il s’est attribué, sans en avoir l’autorisation officielle, des fonctions d’inquisiteur afin d’éradiquer les traces de paganisme. Cela ne doit pas nous surprendre. Après tout, nous conservons quelques vieilles superstitions qui remontent avant l’époque romaine. Dans le cas présent, cette répression s’est accompagnée d’exécutions, de peines diverses infligées aux Indiens, d’une campagne d’éradication, de destructions d’objets, de figurines et d’idoles. C’est dans ce contexte que Landa a, comme cela s’est passé à la même époque dans la vallée de Mexico, détruit un certain nombre de manuscrits.

 

Combien ? 

C’est toute la question, nous n’en connaissons pas le nombre exact. Le fait est qu’au fil du temps, et sans toujours vérifier les sources, des auteurs ont multiplié et repris des estimations approximatives pour finalement installer l’idée que Landa a détruit des centaines de codex mayas. Alors que Cogolludo avance le chiffre déjà énorme de 27.

 

Ce que vous contestez…

Oui, car rien ne permet de quantifier cette destruction. A mon avis, les auteurs qui s’en sont fait l'écho commettent une erreur, à moins qu'ils cherchent ainsi à souligner la virulence de l’Église.

 

Les manuscrits détruits par Landa étaient peut-être contemporains et non antérieurs à la Conquête…

C’est tout à fait envisageable. Comme il n’est pas précisé ce que sont précisément ces manuscrits, il est effectivement possible que nous ayons, parmi les codex détruits, des manuscrits pictographiques antérieurs à l’arrivée des Espagnols et d’autres à caractère mixte, c’est-à-dire avec des dessins et des caractères latins.

 

Il est question d’autodafés…

Certains manuscrits ont sans doute été tout simplement déchirés par les Espagnols, mais Landa voulait frapper les esprits. Il a ordonné l’autodafé de Mani en 1561 qui, selon ses écrits, a donné « beaucoup de chagrin » aux Indiens.  Peut-être y a-t-il eu d’autres destructions publiques par le feu ? Il faudrait une analyse précise des textes, dont ceux des auteurs contemporains qui évoquent ces destructions, pour savoir ce qui s’est réellement passé. Là aussi, il conviendrait, comme toujours, de retourner aux sources.

 

Que représentaient ces codex pour l’évêque Landa ?

Un obstacle à l’évangélisation… Ces manuscrits étaient pour lui démoniaques. Même si Landa était certainement conscient qu’ils contenaient autre chose que des allusions au panthéon préhispanique. La meilleure preuve - mais là, c’est une déduction -, c’est qu’il présente dans sa Relation des choses du Yucatan, tout le système d’enregistrement des dates. Ce qui va permettre, quand on redécouvre ses écrits au XIXe siècle, de déchiffrer assez vite le calendrier maya et, après quelques années, d’entamer une première percée du système d’écriture.

 

Car son ouvrage précise la signification de quelques glyphes…

Effectivement. S’il donne ces indications, c’est qu’il a retenu de tous ses échanges avec les Indiens que les codex ne sont pas que religieux.

 

Certains auteurs font de Landa un repenti…

C’est l’interprétation de ceux qui défendent Landa. De fait, vous avez d’un côté ses accusateurs qui exagèrent ses destructions et, de l’autre, ses défenseurs qui les minimisent. Ces derniers appartiennent, en général, à la hiérarchie catholique et au pouvoir. En réalité, la Relation des choses du Yucatan est une plaidoirie à destination du procès dont Landa est l’objet. Il a usurpé les fonctions d’inquisiteur et s’il ne plaide pas correctement, il peut être condamné, non pas à mort, mais à rester en Espagne, à terminer sa carrière dans un couvent. Son ouvrage justifie son action. Il faudrait une analyse stylistique du vocabulaire de l’époque, mais il est tout à fait possible qu’il ait pris conscience, au cours de la rédaction, de n’avoir pas faire preuve d’assez de discernement dans ses destructions.

 

Les trois manuscrits mayas reproduits dans votre ouvrage, à savoir les codex de Madrid, de Dresde et de Paris sont les seuls à avoir échappé à la destruction. Que sait-on de leur provenance ?

Il y a deux niveaux de réponse. Le premier s’appuie sur leur analyse stylistique. Ce qu’a fait, notamment, Thompson en attribuant une provenance à chacun. Le plus ancien, celui de Dresde, serait originaire de Chichen Itza, les deux autres de la côte orientale du Yucatan. Je ne suis pas épigraphiste et donc je ne suis pas en mesure de dire si l’hypothèse de Thompson est bonne ou pas. Le second niveau revient à s’interroger sur le trajet de ces codex à partir de la Conquête. Comment sont-ils passés du Yucatan en Europe ? Il faudrait reprendre les textes des chroniqueurs. Il doit en exister à Séville. Nous savons qu’à trois reprises, Cortès - comme il l’écrit lui-même - a envoyé en cadeau des « livres » à Charles Quint. Deux envois, dont celui qu’il a accompagné, sont parvenus en Espagne. Mais nous ne connaissons ni le nombre de manuscrits, ni leur provenance. Le troisième envoi a connu un sort différent. Il était réparti à bord de deux bateaux dans lesquels il y avait des Indiens de Tlaxcala, deux jaguars, des livres et toutes sortes d’objets. L’un des bateaux, dans lequel voyageait le secrétaire de Cortès et les Indiens, est arrivé à bon port en Espagne. L’autre a été arraisonné par des pirates français et nous en avons le récit. Un des jaguars, je crois, était mort. L’autre a sauté à l’eau après avoir mordu des marins et il s’est enfui à la nage. Nous savons aussi que les pirates se sont séparés des manuscrits. A qui les ont-ils remis ? Cela reste à élucider. Même si les retrouver suppose des recherches considérables, j’émets l’hypothèse de la découverte potentielle de ces manuscrits, un jour peut-être. Michael D. Coe a écrit un article sur la provenance du codex de Dresde. Selon lui, il serait parvenu en Espagne avec Cortès. C’est la théorie qu’il défend. Quant aux codex qui sont à la Bibliothèque Nationale de France ou au fragment de manuscrit tarasque présent à Troyes, nous ignorons parfois tout de leur itinéraire jusqu’à nous.

 

Revenons aux trois codex qui sont intégralement reproduits – c’est une première - dans votre ouvrage. Que racontent-ils ?

D’abord, une précision. J’ai écrit, effectivement, que c’était la première fois que ces codex étaient reproduits en totalité, mais ce n’est pas exact. Quelqu’un m’a rappelé depuis qu’une première publication avait eu lieu au Guatemala dans les années cinquante. Il s’agissait alors de reproductions de plus pauvre qualité et pas toutes en couleurs. Comme c’est une publication introuvable aujourd’hui, elle ne m’a pas été signalée. C’est une petite erreur. Quant au contenu des codex, là aussi il me faut être clair et honnête, l’épigraphie, comme je l’ai dit, n’est pas ma discipline. Pour répondre malgré tout à votre question, il s’agit en gros d’almanachs. C’est-à-dire que vous y trouvez la divinité du jour, les divinités protectrices d’une période, des calculs de temps, des calculs de cycles, etc. Par ailleurs, chaque codex a son originalité propre et demande une étude très approfondie. Le codex de Madrid est celui qui apporte le plus d’informations sur des activités quotidiennes dont l’agriculture et l’élevage des abeilles. Le codex de Dresde est plus ésotérique. En revanche, le codex de Paris n’est pas suffisamment bien conservé pour nous renseigner et puis ce n’est qu’un fragment. Indépendamment du volume considérable que représente la traduction de ces codex, il faut savoir que les analyses progressent. Il y en a déjà des centaines. Certaines, à l’exemple des travaux de Thompson ou de Michel Davoust portent sur l’intégralité d’un codex (celui de Dresde en l’occurrence), tandis que d’autres chercheurs se limitent à l’étude d’une divinité, voire d’une page ou d’un thème en particulier. Au fur et à mesure des lectures et des déchiffrements, des controverses naissent sur l’interprétation de tel motif, de tel ou tel glyphe ou dessin.  C’est la raison pour laquelle, avec l’éditeur, nous n’avons souhaité assortir les reproductions que de simples commentaires.

 

Quelle est la divinité la plus représentée ?

C’est très variable selon les codex.  L’on peut, bien sûr, noter le nombre d’occurrences de telle ou telle divinité, mais cela ne donne pas forcément son importance. La divinité centrale peut n’être représentée qu’une fois. De la même façon qu’en allant dans une église, vous ne voyez théoriquement qu’un seul Christ alors qu’y sont présents un grand nombre de saints.

 

Sait-on par qui ces codex étaient réalisés ?

Vous aviez des scribes professionnels qui, bien entendu, étaient liés au monde religieux et chargés de la réalisation de ces livres et de leur interprétation. On peut supposer, en effet, que ce sont les mêmes qui les peignaient et qui les interprétaient. C’est logique. La réalisation technique impliquait des connaissances. On peut s’inquiéter sur le sort du scribe « non professionnel » qui aurait fait une erreur de copie et attribué à un dieu les pouvoirs d’un autre.

 

Les scribes appartenaient-ils à l’élite ?

La notion d’élite est vaste. Les commerçants et les guerriers appartenaient aussi à l’élite. Chez ces derniers, vous comptiez des chefs guerriers, des guerriers professionnels et la piétaille. De même, ce n’était sans doute pas le grand prêtre qui rédigeait lui-même. Il avait des subordonnés sous ses ordres, spécialisés dans tel ou tel rituel. Dans quelle mesure est-ce que la caste ou le groupe des scribes incluait des gens qui n’appartenaient pas tous à l’élite ? La question se pose à propos des récipients en céramique sur lesquels des glyphes sont représentés. C’est à leur sujet que l’hypothèse a été émise car il n’y avait certainement qu’un petit nombre d’artistes qui, n’appartenant pas forcément à l’élite, était en mesure de réaliser ces vases. Il n’y a pas de réponse apportée pour l’instant.

 

De quand date l’invention du papier en Mésoamérique ?

Nous ne disposons malheureusement d’aucune étude avant l’époque classique. Certes, les archéologues trouvent en fouilles des battoirs à écorce - l’un des plus anciens remonte, je crois, au début de notre ère - mais rien ne dit qu’ils servaient à fabriquer du papier pour écrire.

 

Les trois codex sont datés entre 1250 et 1450 de notre ère…

C’est la fin du postclassique, une période de crise, de changements profonds et peut-être de décadence, avec cependant des sites très importants comme Mayapan et Tulum. C’est un moment de l’histoire des Mayas où l’on assiste à la montée de nouveaux pouvoirs. Le pouvoir royal qui existait avant est devenu un pouvoir aristocratique, de plus en plus aux mains d’une classe de marchands-guerriers. Aurait-il eu la possibilité d’évoluer vers un gouvernement, certainement pas démocratique, mais plus collégial, c’est possible. Comme chez les Aztèques, nous sommes dans une période de transition où se multiplient les innovations technologiques et culturelles. C’est particulièrement visible au Mexique central où les manuscrits antérieurs sont des almanachs et où l’on voit apparaître de plus en plus des registres d’impôts, des cartes, des documents historiques. Nous sommes face à un changement de l’écrit. C’est manifeste au Mexique, mais par contraste. Parce que nous ne disposons que de trois codex mayas, alors qu’il en existe des dizaines sur le plateau central où la diversité est plus marquée. Il est très difficile de savoir comment les choses auraient pu évoluer…

 

On a le sentiment que ces populations étaient obsédées par le futur…

Ne le sommes-nous pas nous-mêmes ? Nous vivons dans un état laïc où, tous les soirs, les gens regardent la météo pour connaître le temps qu’il va faire. Avec un bulletin météo qui, au passage, se termine par l’éphéméride et le saint du jour. Regardons autour de nous. La plupart de nos édifices publics sont dotés d’une pendule. Et que dire de la part que prennent dans nos magazines et nos conversations les signes astraux et l’horoscope. Aux yeux d’un archéologue des temps futurs, nous sommes aussi obsédés par le temps que les Mayas qui ont réussi à comprendre un fonctionnement du temps à partir de leur système mathématique. Ce qui est largement supérieur à ce que faisaient les Romains à la même époque. Cette découverte leur ouvre de nouvelles perspectives. De leur pensée cyclique découle que le passé permet de connaître le futur.  C’est essentiel pour eux qui vivent dans un monde assez hostile, avec des typhons, des sécheresses, des saisons des pluies qui durent trop, et des guerres permanentes. Cela peut faire sourire, mais n’oublions pas qu’à la cour de France, à la même époque, il y avait des astrologues. Nostradamus et autres…

 

Peut-on espérer faire de nouvelles découvertes au sein des codex ?

Je n’en doute pas. Dans un domaine voisin, celui des stèles mayas, je vous renvoie à la thèse de Laura Filloy* qui vient d’être publiée. Elle démontre, très bien, que le sens de lecture de la dalle du sarcophage de Pakal n’est pas celui qui prévalait jusque là. Le roi défunt ne descend pas dans l’inframonde. Laura Filloy, par son approche structurale du temple et de la tombe, prouve au contraire qu’il rejoint le monde supérieur, celui des Ancêtres.                                                                        

Propos recueillis en 2014

*   Le codex de Paris (ou Peresianus) C’est Léon de Rosny qui redécouvrit ce fragment de codex dans une corbeille de vieux papiers de la Bibliothèque Nationale de Paris, en 1859. Il avait, précédemment, été documenté par un certain José Pérez. En très mauvais état, le fragment se compose de 11 feuilles recto-verso, soit 22 pages, pour une longueur totale de 1,45 m. Le manuscrit se caractérise par ses nombreuses couleurs, ses images et contours de glyphes soulignés d’un trait noir et certaines pages inhabituellement écrites de droite à gauche. Le codex contient rituels religieux et prophéties. Outre un calendrier zodiacal de 364 jours, on y distingue un dragon céleste accompagné de signes planétaires. Costumes et insignes d’un roi maya de Palenque : K’inich Janaab Pakal. Vie et mort d’un souverain maya du classique récent. 2013.