Claude Chauchat

Directeur de recherche au CNRS - Retraité

 

“ Nous avons d’abord constaté que les Mochicas avaient des comportements étranges à l’égard de leurs morts ”

© Claude Chauchat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plan du site de Moche. Les fouilles de la mission française se concentrent sur la plate-forme de Uhle qui jouxte le côté ouest de la Huaca de la Luna

 

 

 

 

 

 

 

 

Tombe 22. Le défunt repose entouré de 48 vases, d'objets en métal, des restes d'un camélidé (crâne et extrémités de pattes) et d'une mandibule de chien. © Claude Chauchat

 

 

 

 

 

 

Un épandage d'ossements. Ce corps désarticulé témoigne d'un sacrifice humain. © Claude Chauchat

 

 

 

 

 

Dessin d'un ulluchu. Ce petit fruit représenté sur certaines poteries mochicas n'existe plus aujourd'hui. Provenant de l’Équateur, il avait - selon de récents travaux - des vertus anticoagulantes et psychotropes

 

 

 

 

 

La Huaca del Solvue de la Huaca de la Luna. Au centres : les vestiges de la " zone urbaine ". © Nicolas Goepfert

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Divers vases découverts sur la plate-forme Uhle. © Claude Chauchat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les tombes de l’élite mochica au pied de la Huaca de la Luna

 

Avec la Mission française, associée au « Proyecto Huacas del  Sol  y de la Luna » dirigée par Santagio Uceda et Ricardo Morales*, vous fouillez depuis 1999 la « plate-forme de Uhle » sur le site de Moche. Qu’avez-vous découvert dans cette zone intermédiaire, au pied de la Huaca de la Luna qui servait aussi de cimetière aux Mochicas  ?

Effectivement, nous travaillons sur une plate-forme constituée de briques crues, à l’endroit où le célèbre archéologue allemand Max Uhle – le découvreur de l’archéologie andine – a fouillé de novembre 1899 à février 1900. Entre autres sites, car il n’a pas fouillé que Moche, mais pratiquement tous les grands sites des Andes, y compris jusqu’en Argentine…  La plate-forme mesure plus de cinquante mètres de long dans la direction est-ouest et une vingtaine de mètres de large, axés nord-sud. Mais il est réducteur d’affirmer qu’elle servait de cimetière. C’est ce que nous pensions en 2000, mais nous avons bien progressé depuis. En réalité, cette plate-forme a connu deux périodes d’utilisation. L’une où les vivants se livraient à des activités qu’il est difficile de déterminer mais que nous pouvons imaginer de type chamanique : guérisons, divination, oracle. Lors des cérémonies, les intervenants entraient par la partie nord dans une grande cour en façade— le site a un axe de pénétration nord-sud –, avant de monter sur la plate-forme où se trouvait, au centre, un petit édifice de forme allongée. Selon nos observations, ces activités prennent fin au quatrième siècle de notre ère. Sans doute ont-elles perduré dans un autre lieu. Mais le fait est qu’à partir de cette période, le site est investi d’une seconde fonction. Des membres de l’élite mochica – je suppose qu’il s’agit de ceux appartenant au même groupe de fonction – sont enterrés autour du petit édifice central. Parallèlement, depuis la première période, des inhumations avaient déjà lieu dans une zone voisine que j’ai appelée « le pied de la Huaca », à défaut de lui trouver une autre appellation, qui constitue une sorte de terrain vague d’une petite dizaine de mètres de large, auquel on accède depuis une petite entrée largement en dehors de la plate-forme. Et là, les inhumations vont se poursuivre pendant la seconde période.

 

Qu’est-ce qui vous fait affirmer qu’il s’agit de membres de l’élite ?

Nous découvrons dans les tombes un mobilier tout à fait caractéristique, des céramiques peintes de très bonne qualité et très abondantes, et un certain nombre d’objets en or ou en cuivre…

 

Qu’avez-vous trouvé d’étonnant dans les tombes ?

Nous avons d’abord constaté que les Mochicas avaient des comportements étranges à l’égard de leurs morts. Après un certain temps, nous ne pouvons pas le préciser, ils faisaient un trou dans la tombe et enlevaient des os. Dans la plupart des cas, ils retiraient le crâne et la partie supérieure du squelette, par exemple, le haut de la colonne vertébrale et un bras… Curieusement, ce cérémoniel ne s’appliquait pas à toutes les tombes.  Ceci n’a absolument rien à voir avec le pillage, parce que les céramiques sont toujours là, les objets métalliques aussi. Ils ont été chahutés, certes, mais pas enlevés, alors que tout disparaît dans les pillages modernes. J’ajoute que nous trouvons, parfois, des os surnuméraires. Ceux d’un petit enfant dans une niche latérale ou bien un crâne prélevé dans une autre tombe. On le sait parce qu’on retrouve un morceau de cuivre dans la mâchoire, qu’il provient donc d’une tombe et n’a pas été retiré lors du transfert…

 

Sur le plan du mobilier retrouvé à proximité de la plate-forme, dans la Huaca de la Luna, l’objet le plus extraordinaire reste à ce jour cette cape-trophée en or, à tête de puma, découverte en 1999. En sait-on plus sur elle ? Pense-t-on toujours découvrir une tombe majeure sur le site de Moche, comparable à celle du Seigneur de Sipán  ?

Cette pièce est figurée, de manière très reconnaissable, sur des vases en céramique peinte où elle est associée à un rituel d'adoration comprenant une prise de coca, sous une sorte d'arc bicéphale, dans lequel on a cru voir, soit un arc-en-ciel, soit la Voie lactée. Certains ont proposé qu'il fallait y voir une sorte de triomphe des guerriers vainqueurs des combats rituels. L'interprétation est de toute façon très difficile. Quoiqu'on ne puisse rien exclure, il apparaît peu probable qu'une tombe de l'importance de celle de Sipan ait échappé aux nombreux pillages qui ont eu lieu sur le site de Moche depuis le XVIe siècle, pillages qui ont été favorisés par la proximité d'une ville coloniale espagnole importante et dont certaines opérations sont consignées dans les archives locales.

 

Votre dernière découverte, sur la plate-forme de Uhle, a fait sensation.  Il s’agit d’un masque de cuivre assez particulier qui était déposé au niveau des genoux du défunt. En quoi est-il surprenant ?

Les masques funéraires n'étaient pas rares dans les tombes de l'élite mochica. Cependant, ils sont en tôle de cuivre repoussée ou martelée, très mince et souvent tellement oxydée qu'il ne reste plus de métal sain. Dans nos fouilles — quand la tombe a été revisitée par les mochicas —, le masque est réduit à des centaines de petits morceaux et toute reconstitution est impossible. Les conditions de brutalité des opérations de pillage des tombes ont certainement empêché beaucoup de ces masques d'être récoltés. Néanmoins, celui-ci a plusieurs caractères intéressants : d’abord, il est très élaboré puisque le nez a été appliqué et soudé, au lieu d'être simplement repoussé, les yeux ont été également fabriqués à part et collés, et les sourcils soudés individuellement à partir de fils de cuivre ; ensuite  il  n’est  pas  posé  sur  le  visage  du  défunt  mais,  comme  vous l’indiquez, sur ses genoux et lui faisant face, ce qui est exceptionnel. Pour en revenir à votre question sur les membres de l’élite, nous disposons aussi, grâce aux études anthropologiques, de certaines données qui nous permettent de caractériser la fonction des défunts à partir de leurs ossements. En l’occurrence, ces derniers témoignent de malformations, identiques à celles que l’on constate aujourd’hui chez les chamanes dans le sud Pérou. Chamanes qui sont choisis en fonction de certaines particularités physiques. Ils sont, par exemple, boiteux ou bossus. Ou bien encore ils ont un pied-bot. Cela en fait, aujourd’hui comme hier, des êtres à part. Grâce aux écrits de Garcilaso de la Vega nous savons, en effet, que tout ce qui sortait de l’ordinaire était sacré, considéré comme « huaca » par les Incas et leurs prédécesseurs. Or, nous trouvons là, dans nos fouilles, des personnages qui souffraient de malformations, voire de maladies comme une variété de syphilis. En 2007, nous avons exhumé un homme dont le pied gauche avait été amputé, très probablement pendant son enfance. L’amputation n’est pas absente des représentations qui figurent sur les céramiques. L’une d’elles montre un personnage qui se maintient debout, grâce à deux bâtons, et qui porte une sorte de prothèse. Tous ces défunts ont un statut social élevé. Celui que nous appelons « L’amputé » était enterré avec des disques d’oreilles décorés d’un motif de mosaïque en turquoise. Il portait un grand collier composé de triangles allongés, taillés dans des coquillages, en l’occurrence des conus. Il y avait aussi, près de lui, une spatule en cuivre terminée par une tête sculptée. Le défunt était également entouré de bols dans lesquels ont été répartis les différents morceaux d’un lama sacrifié au moment de l’enterrement

 

De quelles phases mochicas datez-vous ces différentes tombes ?

Ce n’est pas aussi simple. Nous reconsidérons aujourd’hui l’évolution de la culture mochica et sa répartition géographique. Selon les hypothèses actuelles, il existait sans doute deux sous-ethnies : les Mochicas du Nord et les Mochicas du Sud. Ils se répartissaient de part et d’autre d’une zone que l’on situe entre la vallée de Chicama et celle de Jequetepeque. Ainsi, la Huaca Rajada – autrement dit le site de Sipan – se trouvait sur l’aire des Mochicas du Nord qui s’étendait jusqu’à Piura, un peu en dessous de la frontière actuelle de l’Équateur. Maintenant, cette vision est sans doute trop simpliste. Il y avait probablement dans chaque vallée du nord des ethnies assez particularistes, alors que les Mochicas du Sud, eux, constituaient dans la vallée de Chicama, celle de Moche et peut-être celle de Virú, une sorte de confédération. Pour ces trois vallées, en tout cas, la céramique est assez homogène, ce qui n’est pas le cas au nord où nous ne retrouvons pas les cinq phases – de Mochica I à Mochica V***  – de la séquence établie par Rafael Larco Hoyle dans les années 1940. La phase IV, par exemple, n’existe pas dans le Nord. Quant à la phase I, elle y dure très longtemps. Si bien qu’on se réfère maintenant à la division en trois termes définis par Luis Jaime Castillo à la suite de ses fouilles à San José de Moro, dans la vallée de Jequetepeque. À savoir : mochica ancien, mochica moyen et mochica récent, dont les critères de descriptions sont différents de ceux de Rafael Larco Hoyle. De ce fait,  la correspondance chronologique entre ces deux séquences régionales est difficile à faire.

 

L’iconographie mochica semble fidèle à la réalité des rites. Qu’en pensez-vous ?

À Sipan comme à San José de Moro, les dignitaires féminins ou masculins que l’on a découvert donnent corps à cette affirmation. Personnellement, sur les cinquante-sept tombes que j’ai fouillées, je n’ai pas de notations aussi nettes. J’affirme cependant que les femmes que nous retrouvons avaient – en regard de la qualité du mobilier funéraire enterré avec elles –  un très haut statut social.

 

Avez-vous trouvé des ulluchus ?

Pas encore ! On en signale effectivement, mais à condition que les tombes soient bien conservées. À ce propos, savez-vous que le Musée d’Aquitaine à Bordeaux en a peut-être possédé avant qu’ils ne tombent en poussière. Ils faisaient partie d’une trouvaille effectuée dans les années 1870 dans les îles à guano****, au large de Chicama. Selon une description faite par Desgranges Dulignon, on y a trouvé un vase en bois représentant un prisonnier, une massue cérémonielle et deux petits objets qui ressemblaient à des figues. Or les figues n’existaient pas au Pérou et il pourrait s'agir de cet énigmatique ulluchu. Les objets en bois sont toujours au Musée d'Aquitaine. La détermination botanique de l’Ulluchu (un nom inventé par R. Larco Hoyle) est cependant acquise : il s’agit d’une meliacae, genre Guarea, dont il existe plusieurs espèces.

 

Comment explique-t-on la présence, à quelques centaines de mètres de distance, de la Huaca del Sol et de la Huaca de la Luna ?

Personnellement, je crois de plus en plus qu’à l’image des Incas et de leur capitale, Cuzco , qui était divisée en deux moitiés (Hanan et Hurin), les Mochicas se partageaient également les espaces. Leurs cités, comme ces Huacas, étaient le fait de deux groupes, de deux clans ou de deux lignages différents. Chacun vivait sur une aire donnée et y construisait ses propres monuments.

 

Pensez-vous que la présence du Cerro Blanco (le Mont Blanc), en forme de pyramide, à proximité des Huacas explique à elle seule le choix du site ?

Dans la vallée de Moche la présence de cette montagne a certainement attiré les constructeurs mochicas. Mais, la présence d'une montagne n'est pas obligatoire. La Huaca Cao Viejo ou El brujo, dans la vallée de Chicama se trouve en plaine, sans aucun relief à proximité.

 

La  Huaca del sol, qui mesure encore une quarantaine de mètres de haut – environ deux fois la hauteur de la Huaca de la Luna  - fait-elle l’objet de fouilles aujourd’hui ?

Non, personne ne travaille sur la Huaca del sol. En comparaison de ce qu’elle était avant sa destruction par les colons espagnols et l’acharnement des pillards, il n’en reste qu’une pellicule. Il est possible qu’il y ait eu, comme sur la Huaca de la Luna, une série d’étages, de sols ou de pièces fermées, car on y aperçoit des sections, des structures, mais le monument n’est plus que l’ombre de lui-même. Les archives de Trujillo sont explicites sur son saccage. On peut y lire qu’une compagnie, formée par des colons et des Indiens, a creusé un canal à partir de la rivière toute proche. L’eau est venue lécher les bords du monument, jusqu’à en dissoudre une bonne partie. Apparemment, ces hommes auraient trouvé pas mal de choses… On le sait, parce qu’un membre de la compagnie s’est plaint, lors d’un procès, qu’un intervenant avait détourné à son profit quantité d’objets précieux. La cour espagnole s’en est mêlée. Elle s’est intéressée de près à l’affaire, car la couronne était flouée dans l’histoire, puisqu’elle percevait le cinquième de tout ce qui était découvert…

 

Un canal d’irrigation traverse la zone que vous fouillez, comment l’expliquez-vous ?

Ce  ne  sont  pas les  Mochicas qui  l’ont creusé. C’est postérieur. À la fin de la période mochica IV, pour rester sur le référentiel de Larco, les Mochicas ont abandonné le site.

 

Confirmez-vous que c’est un événement climatique, de type El Niño, qui les a fait fuir ?

Aujourd’hui, nous croyons plutôt qu’ils se sont transportés à Galindo, une ville plus en amont dans la vallée du Rio Moche. Il y avait à cela un avantage stratégique. C’est l’endroit d’où partent les canaux d’irrigation et à partir duquel ils pouvaient en assurer l’entretien.  On situe l’abandon du site de Moche vers l’an 800. On retrouve, vers l’an mille, l’apparition de foyers, de traces superficielles.  Des gens qui commandaient alors la vallée et qui appartenaient à la culture chimu ont décidé de mettre en culture ce grand espace abandonné. On le sait, car on a retrouvé près du Cerro Negro, qui se trouve au nord du site, une construction carrée — avec des soubassements de pierre — qui est bâtie sur le plan des palais de Chan Chan.  Or, cette bâtisse servait typiquement de bâtiment administratif aux Chimus, lorsqu’ils voulaient fixer une population – qui devenait importante – à un endroit donné et faire reculer la frontière agricole.

 

Encore fallait-il que les Chimús rasent la ville qui se trouvait alors entre les deux Huacas ?

Exactement. Avant d’entreprendre la construction de canaux et de mettre en culture toute la plaine où se trouvait l’agglomération urbaine, il a fallu employer toute une armée d’esclaves qui, à la main, a abattu tous les murs de la cité, jusqu’à parvenir à araser la zone, à obtenir cette plaine totalement plate que l’on voit actuellement entre les deux Huacas. Le travail a sans doute été considérable parce les constructions devaient abriter une population de plusieurs milliers d'habitants. C’est à ce prix qu’ils ont tout mis en culture, grâce à l’irrigation. Cela donne les traces que nous voyons dans la terre superficielle. Elles ont fait penser, dans un premier temps, à une inondation ou un événement El Niño. C’est aussi la raison pour laquelle nous trouvons des canaux intrusifs qui traversent les soubassements de la zone urbaine – actuellement fouillée par Santiago Uceda et les étudiants de l’Université de Trujillo – et, entre autres, la plate-forme Uhle sur laquelle nous travaillons.

 

Santiago Uceda a été votre élève à Bordeaux…

C’est exact. Lorsque j’ai commencé mes travaux, en 1975, je m’occupais de préhistoire ancienne au Pérou. Santiago Uceda comptait parmi les étudiants péruviens de l’Université locale qui m’ont été présentés. J’ai pu lui obtenir une bourse en France où il a soutenu sa thèse. Il est docteur de l’Université de Bordeaux et aujourd’hui responsable du site de Moche avec Ricardo Morales.

 

Dans un numéro d’Archéologia, daté de 2000, vous faisiez remarquer que la population se joint au pillage au moment de la Semaine sainte. Pensez-vous vraiment que c’est pour se faire bien voir des ecclésiastiques ?

C’est mon interprétation. Mais le fait est bien réel. Pendant la Semaine Sainte, et c’est encore vrai aujourd’hui, vous voyez des gens partir en famille en direction du désert pour y creuser des trous ici et là… Cela m’a interpellé et je me demande si ce n’est pas pour montrer aux autorités ecclésiastiques que l'on ne fait aucun cas de ces  « gentiles », ces païens qui vivaient là, et donc qu’on peut aller fouiller impunément leurs tombes. Il ne faut pas sous-estimer la violence des opérations d’« extirpation de l’idolatrie » menées par les espagnols.

 

Je croyais que depuis la découverte de la tombe du Seigneur de Sipán,  les Mochicas bénéficiaient d’une belle image dans la population ?

C’est indéniable. Il y a désormais une reconnaissance du passé autochtone au Pérou. Dans le même temps, il faut toujours compter avec le poids de la colonisation et de « l’extirpation de l’idolâtrie ». Ou avec une image idéalisée du passé. En même temps, il est difficile de faire accepter que ces populations pratiquaient des sacrifices humains, alors que les restes que nous rencontrons montrent des pratiques assez atroces. Ils découpaient les crânes, retiraient les yeux, décharnaient les corps pour les transformer en squelettes. On trouve des choses horribles.

 

Que sait-on du lieu où s’effectuaient les sacrifices humains ?

On a d’abord pensé qu’ils étaient pratiqués uniquement au sommet de la Huaca et dans un espace situé à l'arrière, non visible du reste de la population. En fait, nous en trouvons aussi des témoins à l'arrière de la plate-forme Uhle. Il ne serait pas étonnant qu'on en trouve également dans la zone urbaine. Cependant, il semble que la quantité de personnes sacrifiées ne soit pas très importante, au regard de la durée d'occupation du site qui a été de plusieurs siècles. Il faut aussi savoir que la coutume consistant à faire accompagner un personnage important dans sa sépulture par des jeunes femmes ou des enfants existe également, quoiqu'elle ne soit pas constante. Enfin, nous avons des traces de sacrifices de tout jeunes enfants déposés dans des niches, en offrande à la Huaca, c'est-à-dire probablement aux ancêtres qui y étaient enterrés.

 

Ces sacrifices constituaient des offrandes. Ne permettaient-ils pas, aussi, aux élites théocratiques mochicas de régner par la terreur ?

Bien sûr, les sacrifices et les supplices élaborés qui sont attestés dans l'archéologie sont un moyen de gouvernement. Mais d'une part, pour l'Homme des Andes, la nature est terrifiante : tremblements de terre, pluies torrentielles sont des indices des accès de colère de la Pachamama (la terre mère) ou du Pachacuti  (le  grand  mélange  du  ciel  et  de la terre). D’autre part, la société mochica présente de nombreux indices de violence interpersonnelle (maltraitance des femmes et des enfants) et sans doute intercommunautaire avec des combats, rituels ou non, et des guerres de conquête, dont les indices sont présents, quoique difficiles à évaluer. La société mochica est une société violente. L’est-elle plus que d’autres ? Comment le savoir ?

 

Lors du sacrifice, si l’on en croit l’iconographie, une prêtresse tendait une coupe - peut-être remplie du sang des victimes - au plus haut dignitaire. Avez-vous retrouvé de telles coupes, comme à San Jose de Moro, dans les tombes des femmes dont vous reconnaissez le haut statut ?

Non, nous n’avons pas retrouvé la trace de ce rite, mais le groupe dont nous avons fouillé les tombes ne participait peut-être pas à ce type de sacrifice. On voit bien, par les restes humains, que différentes modalités de sacrifice étaient pratiquées suivant les lieux, les circonstances et les officiants, quoique nous ne puissions entrer plus avant dans les détails.

 

Une dernière question. Le site de Moche est ouvert au public, mais où peut-on voir tous les trésors qui y ont été retrouvés, et notamment la cape en or ?

Pour le moment, seul le musée d’archéologie de l’Université de Trujillo situé dans le centre historique, présente deux salles consacrées aux premières découvertes à Moche. Un projet de Musée de site est actuellement en cours de réalisation et sera sans doute visitable dans peu de temps.

Propos recueillis en 2008
Note en date de février 2011 : Le musée de site est désormais ouvert à quelques centaines de mètres des Huacas, dans la zone archéologique.
En savoir plus
CHAUCHAT Claude  Moche (Pérou). Bib. CEPAM. 1997
CHAUCHAT Claude  Programme International Moche (Perou).  Bib. CEPAM. 2004. CHAUCHAT Claude  Prehistoria de la costa norte del Peru. Instituto Francés de etudios andinos. Bib.d’archeologie et des Sciences de l’Antiquité (MRG) Nanterre.    2006