Jean-François Bouchard

Archéologue retraité de l'UMR 8096

 

 

 

Monticule artificiel précolombien éventré à Tierra en bordure du rio Santiago près de la Tolita. © J.-F. Bouchard

 

 

 

 

Nerete, la marée basse laisse apparaître le sol vaseux. Maisons sur pilotis au second plan. © J.-F. Bouchard


Un homme et sa pirogue en terre cuite. © J.-F. Bouchard


Homme jaguar, coll.privée. Hauteur : 35cm. © J.-F. Bouchard


Maison sur pilotis. © J.-F. Bouchard


Figurine anthropomorphe. © J.-F. Bouchard


Personnage assis devant un temple. © CGB

 

 

 

 

Autel. © Coll. SC.© CGB

Les richesses de la culture Tumaco La Tolita

 

Commençons par situer géographiquement la culture Tumaco La Tolita...

Cette culture précolombienne sud-américaine s'est développée sur la côte équatoriale, dans les Andes du Nord, au sud de la Colombie et au nord de l'Équateur. Pour comprendre le pourquoi de son nom composé, il faut savoir que Tumaco est en Colombie et l'île de La Tolita en Équateur.

 

Il a longtemps été considéré que cette culture n'était pas originaire d'Amérique, mais d'Asie ou d'Afrique, voire d'Égypte. Qu'en est-il exactement ?

Ces supputations sont à la hauteur de l'engouement suscité par la culture Tumaco La Tolita et, tout spécialement, la qualité de ses céramiques et de son orfèvrerie. Votre question n'y fait pas référence, mais dans les années 1960-1970, prévalait la théorie selon laquelle sa population venait des côtes mésoaméricaines. C'était aberrant, en termes de faisabilité du voyage, mais bon... En réalité, nous savons aujourd'hui que la culture Tumaco La Tolita provient de la côte centrale de l'Équateur. Il revient à Stirling d'avoir été le premier chercheur à mettre en évidence des objets qu'il a attribué — selon sa propre dénomination — à la phase Tachina, une phase chorreroïde de la côte nord de l'Équateur.

 

Chorreroïde ?

C'est-à-dire issue de la culture chorrera* qui apparaît antérieurement sous différents faciès dont un dans la région proche d'Esmeraldas. C'est sur cette base que se produit en fin de période formative, entre 1000 et 300 avant notre ère, une sorte de mutation, vraisemblablement artistique et sociale, qui va entraîner l'apparition de ce qu'on appelle la culture Tumaco La Tolita.

 

Elle se développe à partir de 300 avant J.-C. Quand s'achève-t-elle ?

Vers 300 - 400 après J.-C.

 

Dans quel environnement ?

Sur des basses terres côtières qui ne nous semblent pas propices aujourd'hui au déplacement terrestre. Non seulement le climat est éprouvant, chaud et humide, mais la côte est très découpée et  marécageuse. Si bien que la voie maritime est plus rapide pour aller d'un point à un autre. Mais il faut compter avec un fort courant de surface qui entraîne tout ce qui flotte vers le nord et des vents dominants ouest-sud-ouest qui viennent de l'océan. C'est la raison pour laquelle les pagayeurs représentés en céramique ont chacun une joue boursouflée. Ils puisaient leur force dans la boule de coca qu'ils mastiquaient lors de leur progression à contre-courant.

 

Quand ils descendaient vers le sud...

Exactement. Lorsqu'ils transportaient, notamment, le corps d'un défunt vers l'île nécropole de La Tolita, dans l'estuaire du rio Santiago. C'est le seul endroit où ont été retrouvées des sépultures, avec des richesses importantes directement associées aux défunts.

 

C'est là qu'ils enterraient leurs morts ?

En tout cas les personnages les plus importants. Peut-être pour les rassembler, car il était ainsi plus facile de disposer d'un clergé dédié qui accomplissait les rites funéraires et faisait des offrandes quotidiennes. On pense que nombre de ces défunts avaient rang de caciques, mais peut-être également de chamanes. Or l'on sait que ces derniers n'ont pas tous le même statut. Certains sont « bons » c’est à dire bienveillants et bénéfiques , mais  d'autres peuvent être  « maléfiques ». En les enterrant sur une île, bien circonscrite et coupée du monde des vivants par le fleuve, il y avait là peut-être le moyen de neutraliser leur esprit, leur puissance. En leur donnant tout ce qu'ils étaient sensés réclamer d'attention et de prières, sans doute attendait-on, en contrepartie, qu'ils laissent les gens vivre autour tranquillement. On doit d’ailleurs noter que c’est sans doute la première fois où une civilisation de cette aire équatoriale choisit de créer une véritable nécropole pour y réunir  ses principaux personnages .

 

Que faisait-on des autres corps ?

C'est une question encore sans réponse précise. À titre d'hypothèse, les hommes du commun, c'est-à-dire les paysans, les artisans et les pêcheurs, étaient peut-être enterrés directement à des endroits variés et épars , sans qu'il y ait un vrai  cimetière, un lieu où l'on rassemble des sépultures. Or, pour l'instant, nous n'avons rien trouvé. Il est vrai que vu l'ancienneté et le milieu — extrêmement humide — il y a peu de chance pour que les restes se conservent. Par ailleurs, il y a d'autres façon de faire disparaître les cadavres. On peut les incinérer ou bien – nous sommes au bord de l'océan - les mettre dans une pirogue qu'on laisse emporter par le courant.

 

Hormis l'île de La Tolita, il n'y avait donc aucun autre lieu d'inhumation...

On a trouvé des ossements ou des fragments qui peuvent correspondre à l'enterrement d'un individu. Mais je ne connais pas d'archéologue contemporain qui ait trouvé un lieu d'inhumation dans cette région. Il se dit qu'un archéologue, aujourd'hui décédé, en a peut-être découvert un. Mais ce n'est pas une certitude. Même Gerardo Reichel Dolmatof qui a fouillé dans  la partie colombienne n'a rien trouvé. Il est vrai que les sépultures ne sont pas la préoccupation fondamentale des archéologues modernes, qui s’intéressent  splutôt aux sites d’habitat, qui sont une source d’informations sur la vie quotidienne des populations.

 

L'île de La Tolita a été largement pillée. Malgré tout, a-t-on idée du nombre de tombes qu'elle rassemblait. Quelques centaines ? 

Cela me paraît beaucoup, mais c'est difficile à évaluer : chaque trou de pillage ne correspond pas à une tombe et certains furent sûrement stériles.

 

Alors qu'est-ce qui explique l'extraordinaire concentration de richesse qui a été retrouvée là ? 

Les dignitaires enterrés là détenaient de leur vivant divers insignes de pouvoir [ pour les pilleurs, autant de bijoux en or ou en tumbaga ] Vraisemblablement, ces magnifiques ornements corporels ― couronnes, masques, boucles d’oreille, narigueras, labrets, colliers, pendentifs, pectoraux, bracelets, etc  ― témoignaient directement de leur puissance. Ils en étaient propriétaires et les emportaient dans l'autre monde. Ce qui est assez fréquent dans l'histoire de l'humanité comme en témoigne en Égypte le « trésor » de Toutankamon pour ne donner qu’un seul exemple concret... En Amérique du sud, si l'on prend l'exemple de l'Inca, on sait qu'il était aussi enterré avec de riches offrandes et ses insignes de pouvoir (mais ses principales richesses passaient en possession de don lignage, la panaqa) . Son successeur, lui,  n'héritait que du pouvoir. Celui de commander les armées, la politique, etc. Il lui revenait, en qualité de successeur, de mettre sa puissance à l'épreuve en créant sa richesse. Il en était sans doute de même dans la culture Tumaco-La Tolita. Cela expliquerait pourquoi les tombes regorgeaient de figurines et de bijoux en or. L'hypothèse est rendue probable par ce qu'on observe un peu partout. Mais on ne peut pas l'affirmer.

 

Des bijoux en or, mais il faut aussi compter, et les conquistadores s'en sont vite aperçus,  avec le tumbaga. Quel est son intérêt, hormis qu'il demande moins de métal jaune ? 

À nos yeux, le tumbaga est une technique qui permet de faire illusion. Le fait est que sur le plan de l'apparence, on croit voir un bijou en or alors qu'il est constitué d'un alliage or-cuivre. Cet alliage offre l'avantage d'abaisser le point de fusion et donc de faciliter la fabrication par coulage. Par ailleurs, avec ce procédé de « mise en couleur » qui consiste à tremper l'objet dans un bain d'acide oxalique (en l'occurrence, le suc d'une plante de la famille du trèfle, oxalis ), cet acide élimine de la surface le cuivre mais il  laisse l’or intact. Donc, l'oxydation qui se produirait normalement avec le cuivre n'a pas lieu. L'objet reste brillant, et quasiment inaltérable même si le cuivre qu'il contient lui donne un petit reflet rosé, une couleur plus chaude. Mais il semble bien que, pour les Indigènes, le tumbaga possédait une autre vertu. Gerardo Reichel Dormatoff, qui a beaucoup écrit sur l'orfèvrerie et le chamanisme, rapporte que lorsqu'on chauffe un objet en tumbaga son odeur serait proche de celle du sperme. Il faudrait donc y voir une connotation plus profonde, liée, par exemple, à la virilité ou à la fertilité...

 

Revenons à la navigation. Quel type de bateau utilisait-on ?

La pirogue monoxyle. Les céramiques nous enseignent qu'elle est très particulière, puisqu'elle dispose parfois d'un petit abri. Peut-être pour protéger le corps du défunt pendant la traversée ? En revanche, et même si l'on trouve l’arbre  nommé  « balsa » en forêt littorale , nous ne pouvons pas affirmer qu'ils construisaient alors des radeaux avec  ses  troncs , Ces derniers semblent avoir été  plus tardifs**. Cela dit, on remarque que ces peuples créent toujours des choses qui flottent et qui s'enfoncent peu dans l'eau, comme les coques des bateaux européens à la même époque. Nous constatons aussi qu'ils n'ont pas eu, a priori, l'idée de relier deux ou trois pirogues entre elles pour construire des catamarans ou des trimarans. En tout cas, nous n'avons pas du tout d'évidence de telles embarcations, pourtant bien présentes  dans le reste du Pacifique.

 

La côte touchée par cette diffusion culturelle s'étend sur quelle distance ?

Environ 500 km. Elle va d'Esmeraldas, au sud, jusqu'à Buenaventura au nord. Le territoire, lui, est une plaine alluviale large d'environ 50 km jusqu'à la cordillère des Andes. En partant de l'océan vers l'intérieur, il y a d'abord ce qu'on nomme les Basses Terres qui commencent par des cordons sableux, mouvants à l'occasion de tempêtes ou de changements de courant. Avec immédiatement derrière la mangrove. Ce sont des zones d’eaux saumâtres où pousse seulement une végétation supportant le sel, dont les palétuviers  bien connus. En fonction de la force de la marée et du relief, cette mangrove remonte dans l'embouchure des fleuves et le long des berges sur une dizaine de kilomètres, voire davantage en l'absence de relief. Ensuite, c'est la forêt humide...

 

L'ensemble du milieu est pour le moins hostile

Effectivement. Ce ne sont que marécages et forêts denses. Des zones dites de haute vigilance où se déplacer n'est pas une partie de plaisir. Dans les marécages, le risque est grand de rencontrer un caïman (il y en avait à l'époque) ou un anaconda. Si l'on entre dans la forêt, il faut se méfier des animaux sauvages dangereux...

 

Qu'ils ont érigé en divinités à juger des figurines et des bijoux...

Disons plutôt qu'ils placent ces animaux en haut de l'échelle animale en tant que super-prédateurs. Dès lors, quand  le monde chamanique veut entrer en contact avec les puissances de l'inframonde et du supra-monde, il le fait par leur intermédiaire. D'où ces céramiques qui représentent des chimères dont divers traits sont empruntés à l'animal, comme dans nombre de civilisations. Des monstres anthropozoomorphes, comme on les appelait hier, parmi lesquelles dans la culture Tumaco La Tolita on repère l'homme jaguar et l'être hybride.

 

Que vous associez à la chauve-souris...

Oui. Mais après avoir pensé qu'il s'agissait du jaguar ou du kinkajou, en raison des crocs, du mufle et des oreilles... Le fait est que parmi les chauve-souris, le « vampire »( variété spécifique au continent américain)  rassemble aussi ces traits caractéristiques. L’animal a une énorme importance dans le monde précolombien des Andes du Nord et de la forêt. Depuis la côte caraïbe jusqu'à la zone des aires qui séparent l'Équateur du Pérou. Pourquoi ? Parce que plusieurs facultés de la chauve-souris sont extrêmement proches de celles que souhaite obtenir le chamane. C'est-à-dire voir le monde autrement. Comme la chauve-souris qui est pendue par les pattes et tête en bas. Tout aussi prodigieux : elle se dirige la nuit. Et puis, ses crocs ont un lien direct avec le côté mortel, à cause de la rage. À l'époque précolombienne, quand vous étiez mordu par une chauve-souris, souvent  infectée de la rage, il n'y avait pas de vaccin antirabique et votre compte était bon. Donc, à l'égal des autres super-prédateurs, ce petit animal était très redouté pour sa morsure.

 

Pourquoi toutes ces statuettes anthropomorphes ou animales ?

Il en existait effectivement de deux sortes. Certaines avaient sans doute un rôle curatif. Elles étaient utilisées lors des pratiques chamaniques pour y concentrer les forces maléfiques. Pour chasser le mal. On les jetait ensuite. Par ailleurs, pour avoir beaucoup travaillé avec un ethnologue, je pense que les figurines animales bien identifiées servaient d'objets éducatifs, de support à l'enseignement donné au plus jeunes pour qu'ils apprennent à reconnaître les animaux du monde réel.

 

Malgré les risques qu'elle encourt, la population est pourtant sédentaire et cultive, entre autres, du maïs. Sans doute à l'intérieur des terres...


Pas très  profondément. Car lorsqu'on se rapproche du piémont, toujours dans la partie basse de la plaine, il y a énormément de précipitations. Plus de 2000 mm d'eau par an. Ces pluies, qui abondent pratiquement toute l'année provoquent une érosion des sols et font disparaître les éléments nutritifs des terres cultivées. En réalité, la partie la plus propice au développement de l'agriculture se situe dans  la zone la plus proche du littoral. Dans  la région de Buenaventura ou à proximité de Tumaco ou de La Tolita. Ce sont les zones les moins humides, entre 1000 et 2000 mm par an. Nettement moins que dans le Choco, au nord de Buenaventura, partie côtière où l'on atteint le record du monde des précipitations avec 11 000 mm. Reste le problème de la pénétration des eaux et celui des fleuves qui collectent de plus en plus de cours d'eau au fur et à mesure qu'ils se rapprochent de l'océan...

 

Alors, comment faisaient-ils pour cultiver ?

La solution imaginée par les populations précolombiennes pour installer et implanter une agriculture efficace et productive a été de drainer des systèmes marécageux. Elles ont creusé de grands canaux et mis la terre boueuse, extraite du creusement, sur les bords. Et c'est sur ces talus surélevés — qu'on appelle des billons — qu'il devient possible de faire une culture. Avec une terre exondée, on a la possibilité de cultiver du maïs et toutes les plantes à racines et bulbes qui pourriraient en terre humide. Mais dans l’ensemble la chaleur et l’humidité sont propices  à l’existence d’une très riche biodiversité, donc,  aussi, à la croissance de la plupart des végétaux.

 

Et donc aussi du manioc...

Vraisemblablement du manioc doux, plutôt que du manioc amer. On a beaucoup parlé de ce dernier, surtout utilisé par les populations d'Amazonie. On a jamais trouvé d'évidence réelle d'objets qui permettent de raper le manioc amer pour en extraire le principe toxique.

 

Ils ne manquaient de rien...

Non, l'agriculture permettait de nourrir toute la population, y compris ceux qui se consacraient à d'autres tâches, comme les artisans, les potiers et les orfèvres. Par ailleurs, il complètaient leur alimentation, toujours sur le plan végétal, par des fruits exotiques dont ils rejetaient les graines au fur et à mesure de leur consommation. Si bien que les arbres fruitiers devaient se concentrer à proximité des habitations. Parmi les différents palmiers, le chonta avait sans doute leur préférence, car il produit une sorte de régime (comme celui des dattes) qui donne un fruit de la taille d'une petite prune  — le chontaduro — très farineux et extrêmement nourrissant. On pourrait encore parler de la canna. En revanche, on ne trouve pas traces de tubercules, comme la pomme de terre, ou de légumineuses, tel le haricot. Et l'on s'interroge sur la consommation de canavalia qui pousse partout, mais demande à être traitée si l'on veut éviter les troubles digestifs. Par ailleurs, s'y ajoutaient sans doute toutes les cueillettes dans la forêt avoisinante.

 

Et la pêche...

Les poissons étaient très abondants. Les crustacés aussi. Ils consommaient  crevettes — de la petite à la très grosse — , crabes et langoustes. N'oublions pas la chasse en forêt et notamment celle à la « danta », une sorte de tapir...En résumé,contrairement à la situation actuelle, qui reflète plutôt une  grande pauvreté  et  une mauvaise balance  nutritive des populations , la situation à l’époque préhispanique  semble avoir été assez bonne pour permettre le développement de groupes socio culturels brillants et florissants.  C’est aussi un point  positif de notre recherche  puisqu’il fait la preuve que ces  terres   trop souvent considérées comme improductives  et  vouées à la misère sont au contraire  capables d’être le cadre de développements importants pour des populations traditionnelles .

 

 

Parlons de la destruction des sites. Il semble y avoir partout des monticules qui intéressent les huaqueros...

Vous parlez des « tolas », ces monticules de terre. Il y a en a effectivement beaucoup. Mais même à La Tolita où ils ont donné le nom à l'île, ces tertres ne sont pas au sens propre des structures funéraires. Car les sépultures sont situées tout autour. En réalité, ces tolas servaient de plates-formes. À La Tolita, ils accueillaient certainement des édifices dédiés à des pratiques magico-religieuses, voire des espaces cérémoniels à ciel ouvert. Ailleurs, ces tolas étaient des tertres d'habitation. Les tertres funéraires, comme je l'ai déjà souligné, sont extrêmement rares.

 

Vous avez dirigé des missions françaises en Colombie et en Équateur de 1976 à 2000. Alors, que trouve-t-on dans les tolas ?

Sur le site Inguapi, un groupe de monticules artificiels, que nous avions retenu comme fouille de référence en 1979 [ndlr. c'est à environ 16 km de Tumaco], nous avons trouvé de nombreux fragments de céramiques anthropomorphes, un peu d'industrie lithique, des poids de filet, quelques éclats de pierre polie et d'obsidienne et trois fils d'or fabriqués par martelage. C'est à souligner parce qu'il s'agissait à l'époque des plus anciens vestiges d'orfèvrerie découverts en fouille et datés (325 b.C) pour l'ensemble des Andes du Nord, c'est-à-dire Équateur, Colombie et Venezuela. Pour en revenir aux restes humains et aux tolas, il faut aussi compter avec les tombes intrusives, plus tardives. Quant à la destruction des sites, il convient de faire la part de l'érosion et de la fouille clandestine. Il est clair que la première facilite la seconde.

 

Expliquez-nous...

Beaucoup de sites archéologiques côtiers ont disparu du fait de l'érosion marine et des raz de marée qui suivent les tremblements de terre. Au fil du temps, ces phénomènes ont modifié radicalement les lignes de rivage. Les monticules artificiels ont aussi  beaucoup pâti de ces agressions naturelles et des « ramassages » qui ont suivi. Déjà, du temps des conquistadores, les Indiens récoltaient les bijoux et céramiques sur le reste des tombes ravinées après le passage des eaux. Cela ne s'est pas arrangé depuis, car  les pillards ont pris le relais, Quand ce n'est pas un propriétaire — on l'a vu à La Tolita —  qui, aidé par de puissants engins mécaniques, exploite le site comme s'il s'agissait d'un gisement d'or. Ailleurs, sur la côte, la construction de grands bassins d'aquaculture n'a pas amélioré la situation.

 

Où sont tous ces trésors, dans les collections privées ?

Il y en a beaucoup quand même dans les musées publics. Mais d'autres sont malheureusement éparpillés et trop rarement regroupés, comme ces deux ou trois mille objets acquis par le musée de l'Université de Pennsylvanie. Certes, on y dénombre quantité de fragments, mais cette remarquable collection réunit des pièces extraordinaires. Je pense, entre autres, à un grand pectoral en or dont j'ai étudié l'iconographie.

 

Manifestement, cette culture était brillante à plus d'un titre...

C'est l'une des plus ancienne ayant fabriqué une orfèvrerie. Certes, ils profitaient d'alluvions aurifères à portée de la main, mais ils ont su être inventifs sur le plan technique et artistique. La mise en place d'un système agricole performant  — la culture sur billions — est également à mettre à leur actif, même s'ils n'étaient pas les seuls précolombiens à la pratiquer en zone marécageuse. Par ailleurs, la poterie est de très belle qualité. Enfin, certains individus savaient utiliser un très grand nombre de plantes à usage  médicinal ou hallucinogène. Ils maîtrisaient la pratique de la botanique et de la phytothérapie. Des médicaments du corps et de l'âme. Autant de richesses dans une région où on ne les attend pas. Le fait est qu'entre 1524 et 1527 — plus de mille ans après la disparition de la culture Tumaco La Tolita —, Francisco Pizarre découragé par les obstacles à la progression de ses hommes est passé à côté. Alors même qu'en partance pour le Pérou, ses navires mouillaient à l'île du Coq, tout près de Tumaco.

Propos recueillis en 2009