Marcela Sepulveda

 

Enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences Sociales et Juridiques de l’Université de Tarapacá (Chili). Docteur en préhistoire, anthropologie et ethnologie de l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1

 

 

Extrême nord du Chili

© M. Sepulveda

© M. Sepulveda

Fresque de Vilacuarani, détail. © M. Sepulveda

Le site de Chapicollo. © M. Sepulveda

© M. Sepulveda

Fouilles sur le site d'Alero Pampa El Muerto 3. © M. Sepulveda

Représentation de camélidés sur le site de Pampa El Muerto 8, détail. © M. Sepulveda

Abri sous roche PM3 gnal 4. © M. Sepulveda

Abri sous roche Alero pampa El Muerto. © M. Sepulveda

Fresque de Vilacuarani, détail. © M. Sepulveda

Vos travaux portent sur les peintures et gravures rupestres du désert d’Atacama. Où se situent exactement les sites que vous étudiez ?

Je travaille sur divers projets en lien avec les peintures, gravures et géoglyphes présents dans ce grand désert, commun au nord du Chili, au sud du Pérou, à une partie des hauts plateaux boliviens et des hautes terres du nord-ouest argentin. En l’occurrence, ces travaux ne se situent pas dans la zone la plus aride, mais dans la région d’Arica, une zone située à l’extrême nord du Chili, à la frontière péruvienne. Mes propres recherches portent tout particulièrement sur les peintures des hautes terres, entre 2 500 et 4 000 m d’altitude ; là où naissent dans les piémonts andins plusieurs vallées et rios qui rejoignent la côte du Pacifique.

 

Les sites se situent à combien de kilomètres de la mer ?

Entre 100 et 200 km. Le Chili est large au maximum de 350 km et en partant de la mer, en direction des hautes terres, on atteint vite une altitude élevée, de l’ordre de 4 000 mètres. On y arrive après une heure et demie de route et ensuite quelques minutes ou heures de marche.

 

Pourquoi vous intéressez-vous aux peintures rupestres ?

En 2000, étudiante en archéologie à l’Université de Santiago du Chili, je travaillais « en collaboration » sur les peintures de la région d’Antofagasta, à 800 km au sud d’Arica. A la même époque je débutais comme co-directrice d’un projet de recherche sur les gravures de la région d’Arica. Deux ans plus tard, dans le cadre de mes études à l’Université Panthéon-Sorbonne de Paris I, je choisissais d’en faire le sujet de ma thèse, en l’élargissant aux peintures des hautes terres de cette région, sous la direction de Denis Vialou et avec le tutorat de Patrice Lecoq. Aussi, lorsque de retour au pays en 2006 il m’a été possible d’obtenir un poste à Arica, à l’Université de Tarapacá, j’ai cherché tout naturellement à poursuivre l’étude des sites entrepris dans les années 60  par Hans Niemeyer et du style « sierra de Arica » ainsi qu’il l’a dénommé. Cette fois, en qualité de jeune chercheur, j’ai présenté un projet « initiation » (ainsi qu’on l’appelle chez nous, au Chili) et j’ai eu la chance d’obtenir un financement sur trois ans pour reprendre l’étude des peintures rupestres situées à l’extrême nord du pays.

 

Que ressortait-il à ce moment des précédents travaux ?

Hans Niemeyer avait publié une douzaine de sites et Calogero Santoro, son successeur, de l’ordre de cinq ou six dans les années 90. C’était insuffisant pour expliquer les peintures, savoir à quoi elles étaient liées et comprendre l’occupation des sites. Nous disposions cependant de quelques datations liées aux contextes associés aux peintures et d’approximations stylistiques, même si les recherches menées jusque là ne cherchaient pas à faire une synthèse des images peintes ou gravées au sein des abris sous roches. A ce propos, il importe de souligner que dans les hautes terres, la formation géologique ne permet pas la création de grands abris. L’érosion éolienne et l’eau, sur des millions d’années, ont juste un peu creusé la roche.

 

Que voit-on sur les peintures ?

Pour plus de 90 % des figures il s’agit de camélidés, dans différents styles. Et ce, alors que nous avons trouvé depuis 2006 plus de 60 sites. Nous disposons maintenant de 1500 représentations de camélidés, auxquels s’ajoutent en nombre moindre des anthropomorphes porteurs d’arcs et de lances, quelques félins et oiseaux, de rares poissons et des signes géométriques. Nous avons essayé de caractériser les peintures par leur aspect physico-chimique, afin de connaître les pigments et les recettes utilisées. Il est facile de dire que c’est à base d’oxyde de fer, d’oxyde de manganèse ou d’argiles. Mais il est vrai que les études n’avaient jamais été réalisées jusqu’à présent.

 

Quelle est l’histoire de ces peintures ?

Nous considérons que l’occupation des sites commence réellement à l’archaïque (à partir de 4000 avant J.-C) et se prolonge au moins jusqu’au formatif,  soit environ 500 après J.-C. Ensuite, nous constatons comme un « silence » qu’on ne parvient pas à expliquer, mais qui est surement lié à ce qui se passe dans d’autres régions, sur la côte ou les hauts plateaux de Bolivie. Nous observons alors, pour l’instant, une absence d’occupation. Celle-ci reprend en l’an 1200 ou 1300,aux périodes que l’on qualifie successivement d’intermédiaire récent et inca quand se développent de grands villages, des grandes structures. Jusque là, seules les peintures sont présentes. Les gravures  - qui sont très rares dans les hautes terres - arrivent à ce moment seulement. Et l’on voit, par exemple, des scènes de camélidés en ligne tenus par des humains. L’aspect  stylistique est intéressant, car nous essayons de retrouver dans cette énorme variété de représentations, des types de styles ou de scènes particulières.

 

Les gravures se substituent-elles aux peintures ?

Pratiquement oui, mais l’on peint toujours un peu.

 

Que représentent ces gravures ?

Elles ressemblent à celles que l’on trouve sur la côte, à l’exemple de la croix andine, des spirales, des grecques scalaires, des zigzags et autres tracés géométriques sous forme de hachures qui semblent évoquer des champs ou des terrasses. Autant de motifs que l’on retrouve, par rapprochement iconographique, sur d’autres supports tels les tissus ou les céramiques. A ces gravures purement géométriques s’en ajoutent de plus explicites. Des motifs figuratifs qui représentent des félins, des oiseaux, voire des personnages, tel le « Sacrificador » qui tient un couteau cérémoniel (tumi) dans une main et une tête trophée dans l’autre. Les camélidés sont aussi présents parmi ces pétroglyphes...

 

Comment expliquez-vous leur importance ?

Les camélidés ont constitué, pendant des millénaires, l’unique moyen de transport des marchandises. Ils formaient des caravanes au sein desquelles chaque animal pouvait porter, sur une longue distance, une trentaine de kilos. On sait aussi que peaux et poils de camélidés étaient utilisés dès la période archaïque. En revanche, les os sont peu nombreux dans les contextes archéologiques. Cela signifie que l’animal n’était pas lié, comme on le pensait, à l’alimentation, à la subsistance des individus.

 

Des camélidés, mais de quelles espèces ?

Différents travaux ont été menés pour savoir si l’on pouvait différencier les quatre espèces : le lama, l’alpaga, le guanaco ou la vigogne. Il apparaît que c’est très difficile. Est-ce que les peintures représentent des adultes ou des jeunes ? Nous ne le savons pas. Le fait est que les proportions des animaux ne nous sont pas d’un grand secours pour l’instant. Certes, quand  les poils sont particulièrement touffus, on peut reconnaître un alpaga, mais cela ne va pas plus loin.

 

Peut-on savoir s’il s’agit de camélidés sauvages ou domestiques ?

Cela reste un gros point d’interrogation. En tout cas l’on sait maintenant qu’une représentation naturaliste ne signifie pas que l’animal représenté est sauvage. C’est ce qui ressort d’une étude menée sur le site deTaira, dans la région d’Antofagasta où l’on voit des camélidés peints de grande taille de façon réaliste, en attitude posée, avec des pattes bien dessinées et d’autres peints mais de taille plus petite et attitude dynamique. Nous pensions voir des animaux à l’état sauvage. Un examen plus attentif a montré qu’il s’agissait de camélidés domestiques dans le cas des grands camélidés (style Taira-Tulán) et sans doute sauvages dans le cas des petits (style Confluencia).

 

Comment date-t-on une peinture ?

Grâce au carbone que contiennent certaines d’entre elles. On part aussi des mélanges où des éléments organiques, des résines, des graisses ou autres que l’on retrouve et que l’on peut dater par la méthode du carbone 14. D’autres techniques permettent de partir des concrétions, de calcite par exemple, présentes sous ou sur les peintures. Les approximations obtenues sont plus relatives. Nous menons actuellement l’expérience au Chili sur différents sites et sommes dans l’attente des résultats.

 

A qui attribuez-vous ces représentations ? 

Les plus anciennes sont liées aux occupations archaïques dans l’environnement des chasseurs-cueilleurs. Mais ce ne serait pas des sites de chasse ou d’observation des animaux. Le fait est que la visibilité depuis les sites est souvent minime. Il s’agirait plutôt d’abris temporaires et saisonniers. Les chasseurs y passaient la nuit à certaines périodes de l’année. Ils y mangeaient et préparaient leurs instruments. Et, à partir de là, ils se déplaçaient vers d’autres régions ou dans la même, entre 2 500 et 4 000 mètres.

 

Comment le savez-vous ?

Les artefacts que nous découvrons (lithiques, végétaux et osseux)montrent une mobilité des occupants des sites en direction des hauteurs et sur la longueur du piémont, dans l’espace que forme la pré-cordillière, un espace partagé avec le sud du Pérou où l’on retrouve les mêmes peintures. D’autres indices, tels que des tessons céramiques, montrent des liens avec les basses terres. Plus tard, les abris seront réutilisés par les bergers, avec des animaux domestiques, et liés à des routes ou à des sentiers d’échanges entre différentes régions qui se situent entre les hautes et basses terres. Apparemment, l’occupation demeure temporaire avant de disparaitre à l’époque tardive.

 

C’est-à-dire à quelle période ?

Au cours des décennies qui suivent l’arrivée des Espagnols. Les populations vont être déplacées, regroupées dans les villages principaux, là où sont érigées les églises. Beaucoup d’Indiens sont envoyés dans les mines des hauts plateaux, à Potosi, par exemple, qui se trouve à environ 600 km à vol d’oiseau. Cette ré-articulation économique, propre à l’époque espagnole, va conduire à un réaménagement du territoire et, en particulier, à l’abandon de l’agriculture en terrasse et des échanges au profit d’activités nouvelles imposées aux populations.

 

Quelle signification donnez-vous aux représentations peintes ou gravées ?

J’évite d’aborder la question de l’interprétation, car ce n’est pas mon orientation. Hans Niemeyer tente une explication lorsqu’il écrit  que ces représentations ont pour but de « Servir la vie quotidienne de la communauté dans sa lutte contre les formes de la nature afin d’assurer sa survie ». Aujourd’hui, je ne dispose d’aucun élément pour conforter cette affirmation. Ce qu’on constate, c’est plutôt une activité de la vie quotidienne qui, en aucun cas, ne semble lié à un rite ou à une cérémonie quelconque. Je pense plutôt à des lieux de regroupements de chasseurs qui, peut-être, par rapport à des activités collectives, se retrouvaient pour faire des échanges, mais pas dans un esprit rituel...

 

Quel site présente le plus de peintures ?

Pour l’instant, c’est Vilacaurani. En aymara « vila » signifie rouge et « caurani » veut dire camélidé. Le site est énorme, avec un panneau peint qui mesure plus de 30 mètres de long où sont représentées environ 200 figures. Un relevé détaillé est en cours, notamment pour approfondir la question que vous souleviez précédemment sur l’origine sauvage ou domestique des camélidés. Pour cela, il nous faut parvenir à différencier les animaux, si c’est possible, par certains critères. Le relevé de Vilacaurani est en cours de réalisation, par une étudiante française de Toulouse, Carole Dudognon, qui est venue me rejoindre au Chili pour préparer sa thèse.

 

Ce site n’était pas encore fouillé...

Hans Niemeyer l’a fouillé, mais les collections sont malheureusement perdues. C’est la raison pour laquelle c’est l’un des sites où nous avons effectué des prélèvements de concrétions en vue d’obtenir une datation.

 

En général, les peintures sont-elles polychromes ou monochromes ?

Les panneaux sont toujours polychromes, mais chacune des représentations est monochrome. On ne voit jamais de camélidés peints en deux ou trois couleurs.

 

Quelles couleurs utilise-t-on ?

Le rouge, le blanc, le noir, le  jaune, le marron et différentes tonalités d’orange. Le fait marquant est qu’on n’attribue pas de couleur particulière à un type de représentation.  Les humains, pour ne citer qu’eux, peuvent être aussi bien être peints en noir qu’en blanc, en rouge qu’en jaune.

 

Les pétroglyphes se superposent aux peintures.  Est-ce à dire qu’on ne les respecte pas ?

Peut-être est-ce, au contraire, une façon de s’approprier ces pratiques précédentes ?

 

Vous dénombrez plus de 60 sites aujourd’hui. Comptez-vous en trouver de nouveaux ?

Nous en découvrons de nouveau chaque fois que nous partons en prospection. Il y en a tellement que nous n’entrevoyons pas la quantité de sites qui restent à découvrir. La région est très peu explorée et surtout très vaste. Nous venons de déposer un nouveau projet de prospection qui repose sur 400 km2. Ce n’est même pas le 1/10ème de l’aire à inventorier.

 

Comment l’expliquez-vous ?

Les explorations faites jusqu’à présent portent sur les sites les plus récents, de l’époque pré-inca ou inca. Mais surtout, il n’y a pas eu de prospections systématiques dans les régions inexplorées. Tout ce qu’on connaît reste peu éloigné des principales routes d’accès, au plus à une heure et demie de marche. Nous sommes entrain d’explorer des zones plus difficiles d’accès, à trois ou quatre heures de marche. Et là, nous retrouvons des sites impressionnants, car intacts. Au point que pour des sites tardifs, de l’époque pré-inca, on a l’impression que les occupants sont partis hier ! Les céramiques, en particulier, sont en parfait état.

 

D’ordinaire, les sites intacts sont plutôt rares...

Nous avons effectivement beaucoup  de chance. Nombre d’abris ont été réutilisés comme enclos. Pour cela, ils ont monté une espèce de gros mur en pierres sèches sans aucun ciment. Aussi, au fil du temps les excréments des camélidés ou des chèvres ont fini par sceller l’occupation des abris et assuré une assez bonne conservation.

 

A propos des couleurs, des matières premières, sait-on où les peintres s’approvisionnaient ?

Pour cela, il faut aller plus loin que la simple approche visuelle. Il nous faut analyser les pigments et, justement, c’est ce que nous avons fait. Pour constater qu’ils utilisent des matières différentes provenant de zones d’approvisionnement également différentes. On abouti à la conclusion que réaliser une peinture était planifié. Il fallait disposer des matières premières, savoir faire les mélanges, obtenir une certaine consistance pour que ça tienne. Le fait est que les peintures sont bien conservées. Cela tient en bonne partie à une espèce de verni du désert qui se forme sur les peintures et les protège. Pour en revenir à votre question, nous voyons que les artistes connaissaient bien les matériaux et qu’ils savaient où les obtenir. Les oxydes de manganèse, par exemple, provenaient d’endroits  bien  spécifiques, au-dessus de 4 500 m. Manifestement, dans les hautes terres, les artistes du nord ne s’approvisionnaient pas aux mêmes sources que ceux du sud. On imagine qu’ils devaient y avoir des réseaux d’échanges et que les artistes se déplaçaient avec, dans leurs sacs, différents pigments et matières tels que des oxydes de manganèse, des oxydes de fer, des ocres, des argiles. Les oxydes sont très spécifiques. On voit aussi des goethites pour les jaunes, des hématites pour les rouges. Au-delà de l’aspect technique, il y avait tout l’aspect stylistique. A l’évidence, n’importe qui ne pouvait pas peindre un camélidé...

 

De profil...

Toujours de profil. L’animal présente deux ou quatre pattes. Il y a indéniablement des conventions.

 

Les sites sont-ils à proximité d’une rivière ?

Toujours, à quelques mètres. C’est un des aspects que l’on commence à explorer. Il y a les rivières qu’on ne voit plus aujourd’hui parce qu’elles sont asséchées. Mais il y a aussi les sources d’eau douce et le problème des cours d’eau naturels...

 

Que voulez-vous dire ?

Au Chili, les rivières sont souvent polluées de façon naturelle, en raison de la formation minéralogique des Andes. Il y a beaucoup d’arsenic et de titane dans l’eau entre autres , ce qui la rend impropre à la consommation. Heureusement, il y a des sources d’eau douce. C’étais sans doute un aspect important pour les anciens habitants de la région, parce que sur la côte aussi, on voit que les sites sont très liés à la présence de ces points d’eau douce.

 

En déduisez-vous que ces peuples avaient perçu que l’eau des rivières était toxique ?

Oui, la consommation de cette eau a dû les rendre malades au bout d’un moment. Des études sont actuellement menées sur la consommation de l’eau par les populations modernes. Sur le long terme, on constate des effets néfastes pour la santé. L’eau se révèle toxique quand elle est trop chargée en minéraux...

 

D’où l’importance des sources d’eau douce...

Les Anciens auraient perçu leur importance. Il apparaît que certaines maladies seraient liées à la consommation de l’eau des rivières. Notamment des déformations osseuses et un nombre important d’avortements. C’est un vrai souci.

 

Ces abris sont-ils orientés ou ont-ils à voir avec l’astronomie ?

La question a été posée. Mais la plupart des sites sont dans des zones renfermées, à visibilité minime, et très protégés. On n’y voit ni les sommets des montagnes, ni les sommets enneigés. Nous ne pouvons donc pas les relier à des orientations ou à l’astronomie. Reste qu’on a du mal à comprendre pourquoi les sites sont à ces endroits spécifiques.

 

Retrouvez-vous du matériel lithique au sein des sites ?

Plein... Beaucoup de déchets de fabrication en pierre, des restes de racloirs pour le travail des peaux ou des couteaux pour le découpage d’animaux dont nous retrouvons les ossements en état très fragmentaires, et aussi quelques restes végétaux. A propos de ces derniers, nous venons de publier un article où l’on précise que parmi les espèces figurent la quinoa sauvage, des fruits de cactus et quelques restes de paille qui viennent des hauteurs. Nous avons le sentiment que les occupants des sites se déplaçaient quotidiennement et que dans leur mobilité ils emportaient quelques espèces végétales pour réaliser des espèces de couchettes afin de passer la nuit. Ils étaient prévoyants... C’est pourquoi je pense que ce ne sont pas des gens qui passaient là par hasard. Ils savaient exactement où ils allaient. Ils connaissaient très bien leur espace, leur territoire.

 

Ce ne sont jamais des sites funéraires...

Non. Pour l’instant, nous n’avons retrouvé des restes funéraires que dans deux abris seulement. Est-ce à dire que nous sommes passés à côté des sites funéraires ? C’est très possible. Le fait est que je travaille principalement dans des abris qui sont peints. Or il existe des milliers d’abris sous roches qui ne le sont pas et où, j’imagine, il y avait aussi des occupations. C’est pourquoi j’ai prévu d’aborder notamment, lors d’un prochain projet, les sites à ciel ouvert. Mark Aldenderfer  a fouillé le site d’Asana dans le département de Moquegua, au Pérou, a découvert un site avec architecture, occupé de façon temporaire pendant toute la période archaïque. Ses structures ressemblent beaucoup à ce que l’on trouve sur la côte à la même époque, mais les matériaux lithiques proviennent autant des hautes terres que des basses terres, ce qui prouve que les gens se déplaçaient déjà sur de longues distances et qu’il existe des sites ouverts avec architecture depuis l’archaïque ancien.

 

L’étude des populations reste à faire...

Ce sont des travaux auxquels je participe. Ils sont plus interdisciplinaires qu’hier. Des chimistes interviennent, ainsi que des anthropologues, et nous sommes une dizaine d’archéologues à nous y intéresser. Ce qui ne m’empêche pas de poursuivre l’étude des peintures et des couleurs, et de mener diverses analyses à travers les petits projets lancés avec mes étudiants. Les peintures sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. Je continuerai mes travaux tant que je n’en saurai pas davantage sur les populations qui les ont réalisées.

 

Retrouve-t-on des coquillages dans les abris ?

Quasiment tout le temps, mais en petite quantité. La question est de savoir si ce sont les populations de la côte qui les ont transportés jusqu’aux sites ou si ces coquillages ont été obtenus via des échanges ? Personnellement, je préfère explorer la seconde hypothèse, car  à l’époque archaïque, sur la côte, on trouve des groupes de chasseurs- pêcheurs- cueilleurs qui ont une industrie de pêche impressionnante. Leurs vestiges n’ont rien à voir avec ceux que l’on retrouve dans les hautes terres. Maintenant, est-ce que ces peuples sont capables de changer de mode de vie de façon saisonnière ? Cela semble compliqué. J’ai tendance à croire qu’il y avait deux populations distinctes.

 

Surtout, il apparaît que le désert d’Atacama a un passé étonnamment riche sur le plan humain.

Effectivement, et il est extraordinaire d’explorer une région où il reste autant de choses à découvrir.

Propos recueillis en 2012