Claude-François Baudez

Directeur honoraire au CNRS
Archéologue et iconologue

 

 

 

Maya


Olmèque


Glyphe


Peinture Murale


Popol Vuh


Aztèque


Sacrifice humain


Excentrique

 

 

 

 

 

 

 

Stèle de Quirigua (Guatemala) © Claude Joulin


Tikal (Guatémala). Le temple I et la place principale. © Claude Joulin

 

Le jaguar, image emblématique du pouvoir © CGB


Excentrique en silex. © Justin Kerr - K2953 http://www.mayavase.com/

 

Les Mayas ont inventé l’Histoire

 

Dans vous ouvrages* vous soutenez qu’il n’y avait pas - avant l’an mil - de dieux dans la religion maya. Est-ce un point de vue partagé par les autres chercheurs ?

Non, à ce propos mes collègues sont en désaccord et même furieux contre moi. Car ils croient déchiffrer dans des inscriptions antérieures à l’an mil quelques noms, comme Chac ou Itzamná qui prouvent, selon eux, l’existence de divinités. Alors qu’il peut fort bien s’agir de noms nés dans la nuit des temps et qui font référence à des choses différentes. Personnellement, je pense que les Mayas de la période classique

[ 250 – 950 apr. J-C ] vivaient dans un extraordinaire univers surnaturel, constitué de forces, d’esprits, de lutins et de fées. De mon point de vue, avant l’an mil, il est possible de parler de puissances, mais ce ne sont pas encore des divinités clairement identifiées, comme celles qui apparaissent à la période postclassique  [1000 -1500 apr. J.-C ]  avec des représentations et des personnalités marquées qui jouent un rôle dans le calendrier.

 

Êtes-vous de ceux qui pensent que les Olmèques possédaient l’écriture et qu’ils ont transmis  cette connaissance aux Mayas ?

 J’ai défendu depuis longtemps que les Mayas étaient les héritiers des Olmèques.

Les derniers olmèques  étaient en communication avec les premiers mayas et partageaient beaucoup de choses avec eux, comme l’organisation politique et sociale, ainsi que la religion. Leur représentation du monde, du sacrifice et de la guerre était très semblable. Je suis beaucoup plus réservé à l’égard de l’écriture. Car nous ne savons pas. Beaucoup de mes collègues croient voir des signes d’écriture sur des jades gravés, des poteries ou sur des monuments olmèques. Personnellement, je trouve que la preuve manque toujours. Il est possible que les Olmèques aient commencé à écrire. Ils disposaient certainement d’un calendrier, mais pas du « compte long »* ? À mon avis, c’est peu probable. Ils ne devaient posséder qu’un « compte court »**. Les premiers balbutiements de calendrier et d’écriture en Méso-Amérique ont été mis en évidence et démontrés en Oaxaca vers 500 avant J.-C. Nous constatons aussi une certaine précocité de l’écriture dans les Hautes Terres du Guatemala. Avant que celle-ci passe ensuite aux populations des Basses Terres dans les derniers siècles avant notre ère. C’est pourquoi j’ai des raisons de penser que l’écriture est une invention postérieure aux Olmèques. Parce qu’on peut très bien utiliser, de façon courante, des signes conventionnels comme la pluie ou même un masque de monstre terrestre, sans qu’il s’agisse effectivement d’une écriture. Pour qu’elle existe, il faut qu’il y ait articulation…

 

Là aussi, les chercheurs semblent loin d’être tous d’accord sur la transcription des glyphes…

Effectivement. Il y a une majorité d’entre eux, de l’École américaine, qui suit les mêmes principes, les mêmes méthodes de déchiffrement et qui arrive, plus ou moins, aux mêmes résultats. Par ailleurs, il y a nombre de chercheurs - dont je suis -  qui, souvent, contestent leurs transcriptions. Quel est le problème ? Il vient du fait qu’il existe deux sortes de glyphes. Des idéogrammes, autrement dit des glyphes qui représentent un concept ou un mot. Et puis des phonogrammes, des signes qui expriment un son. L’écriture maya étant syllabique, il vous faut déchiffrer ces sons, à partir de glyphes disposés soit l’un à côté de l’autre, soit sous forme de blocs glyphiques composés d’un signe principal et d’affixes. Source de difficulté : les langues mayas comprennent beaucoup de monosyllabes. Des mots très courts qui ont beaucoup de sens différents. Dès lors, en fonction des images ou des personnages situés à proximité des glyphes, la  traduction peut être « tirée » dans un sens ou un autre. Au lieu de reconnaître qu’il y a plusieurs traductions possibles, les épigraphistes vous livrent un texte tout cru, comme s’ils venaient de le lire dans le journal. Alors qu’il vaudrait mieux laisser la porte ouverte à d’autres interprétations…

 

Une question (très) ouverte maintenant. Selon vous, qu’ignore-t-on encore sur les Mayas ?

Il est difficile de répondre. Car nous en savons beaucoup, mais il y a beaucoup d’hypothèses qui sont loin d’être vérifiées. Par exemple l’interprétation des peintures murales de San Bartolo. Elles sont uniques et datent des derniers siècles avant notre ère. Toutes les interprétations sont possibles et d’égale valeur. Car il est très difficile de se prononcer  sur une peinture dont on ne connaît qu’un exemplaire à cette date.

 

Certains avancent que la fresque de San Bartolo pourrait évoquer l’histoire des Jumeaux divins,  tel que le rapporte le « livre sacré » des Mayas, le Popol Vuh…

Faire un bond de deux millénaires et trouver des correspondances entre ces peintures, découvertes dans les Basses Terres, et le Popol Vuh qui est né dans les Hautes Terres du Guatemala au XVIIe siècle, me paraît extrêmement hasardeux. Maintenant qu’il y ait un fond méso-américain valable pour différentes cultures et qui s’échelonne sur un certain nombre de siècles, il est possible de l’entendre. Mais enfin, c’est comme relier les thèmes du Popol Vuh aux scènes représentées sur les vases classiques mayas…

 

Rejetez-vous ces correspondances ?

Je l’écris à plusieurs reprises dans mes livres. Je ne suis absolument pas convaincu par ces raisonnements. Michael Coe a été l’un des premiers à le suggérer. L’idée était intéressante, mais les exemples fournis, à mon avis, ne sont pas du tout probants. Certes, il y a des images qui se retrouvent depuis longtemps dans toutes les cultures méso-américaines, comme celle du maïs. Ou bien des symboles qui, tels le nœud et la corde, font référence au sacrifice. Mais de là à utiliser le Popol Vuh à tout propos - comme on le fait aujourd’hui de façon assez commune - me paraît tout à fait abusif.

 

Il est souvent souligné que les  Mayas étaient de grands astronomes.  Les trouvez-vous à la hauteur de cette réputation ?

À mon avis, on a un peu exagéré leurs prouesses astronomiques. Il ne faut pas en faire des Newton. En réalité, ils se sont contentés de noter très exactement les positions des corps célestes, puis d’en tirer certaines conclusions. Ce n’est pas tellement génial. En revanche, ce qui est véritablement original dans les découvertes intellectuelles des Mayas, c’est le « compte long ». C’est unique dans l’histoire de la pensée universelle.

 

Expliquez-nous pourquoi…

Quand vous considérez les grandes civilisations anciennes, y compris celles des Grecs et des Égyptiens, vous constatez que leurs savants calculaient toujours le temps à l’intérieur de cycles restreints. Alors que les Mayas ont conçu un grand cycle d’une durée de plus de 5000 ans. Quelle arme politique ! Tout souverain maya pouvait situer son règne à l’intérieur de ce grand cycle. Ce qui lui donnait une perspective historique considérable. Il pouvait situer ses prédécesseurs dans le temps et espérer faire de même, dans l’avenir, avec ses successeurs. De ce point de vue, les Mayas ont inventé l’Histoire. Une Histoire à long terme. Pas une histoire courte et répétitive, avec des petits cycles…

 

Grâce à l’invention du zéro ?

Le zéro est important, mais ce qui l’est plus encore c’est la numérotation de position. Les Mayas se référaient - précisément - à tout événement survenu dans le passé, aussi lointain fût-il. Exactement comme nous le faisons quand nous citons une date. Sauf que pour nous, 1950, par exemple,  c’est 1 de mille ans. 9 de 100 ans et cinq dizaines. Les Mayas, eux, calculaient en système vicésimal. En base 20. Avec d’abord les unités, puis les vingtaines, les multiples de 400, de 8000, etc. C’est ainsi qu’avec le zéro, ils ont pu concevoir et représenter des nombres très importants. Il leur suffisait de monter à une position supérieure, pour qu’il n’y ait plus aucune limite.

 

Est-ce la même lignée de souverains qui régnait à travers les siècles ?

Le pouvoir était, en principe, héréditaire. C’est ce que nous supposons. Mais comme dans l’histoire de tous les peuples, parfois le roi n’avait pas de fils ou, s’il en avait plusieurs, ces derniers se disputaient entre eux. Ou encore, le père mourrait prématurément. À ce moment là, comme nous le constatons d’après l’iconographie et l’épigraphie, les femmes pouvaient très bien accéder au pouvoir.

 

À l’instant, vous relativisiez les capacités astronomiques des Mayas. Cependant, ils disposaient d’un calendrier solaire de 365 jours…

C’est vrai, mais leur calendrier solaire n’est pas bon. Il y manque des décimales ou, plutôt, des vicésimales… Les Mayas ne disposaient pas d’années bissextiles pour compenser les écarts. Avec les années, ces derniers devenaient considérables. Après des siècles, la date des semailles pouvait coïncider avec celle des moissons…

 

Leur calendrier lunaire était-il plus précis ?

Beaucoup plus. Mais les Mayas accordaient également de l’importance à d’autres cycles. Ils disposaient en particulier d’un calendrier cérémoniel de 260 jours, correspondant certainement à la durée de la gestation chez la femme. Les Mayas avaient calculé que sur les deux calendriers, solaire et cérémoniel, un même jour revenait tous les 52 ans. C’était un jour extrêmement important pour eux. Même si, curieusement, celui-ci n’était l’occasion d’aucune fête particulière. Au contraire des Aztèques qui le célébraient avec la cérémonie du Feu Nouveau… Mais les Mayas prenaient aussi en compte les cycles d’autres planètes. Tel celui de Vénus. Et ce, avec des erreurs considérables, non pas dans la durée du cycle total, mais dans le calcul des périodes où la planète était « étoile du matin » ou « étoile du soir » avec des périodes d'invisibilité entre ses apparitions.

 

Les stèles mayas sont couvertes d’inscriptions en grande partie déchiffrées.  Chacune d’elles fait référence à un souverain. Quelles informations y trouve-t-on ?

C’est très variable. Parfois les monuments d’un site vous donnent un certain nombre d’informations. Par exemple, la parenté du roi, le nom de son épouse, voire ceux de ses enfants, ainsi que la liste de ses conquêtes militaires.  Et puis, dans d’autres cas, tous ces précieux renseignements sont absents. C’est d’ailleurs un fait déroutant dans l’écriture officielle et politique maya. On pourrait s’attendre, comme chez les Égyptiens, à trouver les mêmes informations toujours au même endroit. Or, rien n’est systématique. De temps en temps, figure un détail biographique intéressant, mais c’est la première fois que tel détail est donné pour tel roi, dans tel site. Et puis, rien n’est écrit sur les prédécesseurs. Donc, nous pouvons écrire beaucoup de choses sur la politique maya, mais il y a tellement de trous, dus aux Mayas eux-mêmes.

 

Revenons aux cycles, aux efforts faits pour prédire l’avenir. Était-ce lié en particulier aux récoltes ?

Absolument pas. Le paysan n’a pas besoin d’un calendrier sophistiqué pour savoir quand il doit planter. Il regarde les nuages, à quelle heure le soleil se lève, les mouvements des oiseaux… Il sait instinctivement que le calendrier ne l’aide en rien.

 

Alors quel but poursuivaient-ils à travers la maîtrise de ces cycles ?

Ils cherchaient à harmoniser les cycles entre eux, à les faire correspondre. Toute la numérologie méso-américaine est fondée là-dessus. C’est pour cette raison qu’il faut parler d’astrologie maya et non pas d’astronomie. Les Mayas ne s’intéressaient qu’à la prédiction du futur à partir de la connaissance du passé. Et ce, à partir du savoir qu’ils avaient de ces cycles et de leurs correspondances. Cela n’a rien à voir avec le point de vue scientifique qui est de décrire et expliquer ce qui se passe réellement…

 

Est-ce à dire que les Mayas se référaient sans cesse au passé en croyant que parce que telle chose néfaste s’était produite à tel moment, cela risquait de se reproduire s’ils ne faisaient rien pour l’éviter ?

Exactement. Comme les Aztèques ou d’autres peuples mésoaméricains, ils disposaient de livres de prédiction, les fameux Codex, avec des listes de jours… Ces almanachs, utilisés par les prêtres, révélaient que tel ou tel jour était faste ou néfaste, car sous le patronage de telle ou telle divinité. Quand un enfant naissait, le prêtre consultait le livre de prédiction. Imaginons qu’il soit né il y a trois jours, sous le signe « 5 pluie ». Le devin ouvrait son almanach et disait, par exemple : « mon pauvre ami, c’est un chiffre absolument épouvantable. Ceux qui sont nés ce jour sont des menteurs, des bons à rien, ou bien ils vont mourir très tôt, ou se faire tuer à la guerre ».

 

La cause était alors désespérée…

Pas du tout. Car, guidé par le prêtre, on faisait telle offrande ou tel sacrifice pour gagner la bienveillance de la divinité. Jusqu’à célébrer des rites de naissance pour faire croire à cette dernière que l’enfant était né un jour avant ou un jour après, dès lors qu’il s’agissait d’un jour faste ! Autrement dit, on pouvait négocier. Il y avait toujours le moyen de s’en sortir, des accommodements avec le ciel. Il n’en reste pas moins que ces almanachs conditionnaient toute la vie. Certains indiquaient les jours fastes ou non, d’autres étaient consultés lorsqu’on partait en voyage ou pour l’éducation des enfants… Les Mayas se référaient à tout propos aux calendriers - si importants dans ces civilisations - et aux cycles. C’est la raison pour laquelle le devin avait tellement besoin de consulter plusieurs sources. Comme le font chez nous les astrologues quand ils se réfèrent aux signes, aux maisons, à l’heure… Cela permet diverses interprétations possibles. Chez les Mayas aussi, il fallait arranger le client pour en trouver une qui lui soit favorable.

 

Le couvercle gravé du sarcophage du roi Pacal est-il représentatif de l’univers tel que se le figuraient les Mayas ?

Effectivement. Cette image se retrouve partout en Méso-Amérique jusqu’à la Conquête espagnole. On y représente toujours la Terre en bas et le ciel en haut. La Terre est symbolisée par un monstre mi-terrestre, mi-aquatique. Un mélange de crocodile et de serpent, surmonté d’un pilier central, cruciforme, qui soutient le ciel. La voûte céleste est représentée par le corps arqué d’un  serpent bicéphale qui coiffe le pilier. Et, au-dessus, figure le soleil au zénith, sous la forme d’un oiseau. Et pas n’importe lequel  : un quetzal… Dans la symbolique maya, cet oiseau aux couleurs magnifiques se réfère au soleil diurne. Tout comme l’ara, le perroquet…

 

Le soleil couchant figure-t-il sur ces représentations ?

Ce n’est pas systématique. Quand il est indiqué, c’est souvent pour le représenter à l’intérieur de la Terre. Parce que les Mayas redoutent l’absence de l’astre solaire. Dans leur conception, l’inframonde est toujours plus important que le ciel. Le monde souterrain est tout à la fois le royaume des morts et le royaume de la vie. C’est le laboratoire. Le lieu où la mort se transforme en vie. Parce qu’évidemment la terre mange les cadavres, mais, en même temps, les plantes poussent de la terre. L’eau sort de la terre. La Terre fait tout. C’est pourquoi je souligne qu’il y a deux inframondes. L’un humide et l’autre sec. Pour prendre l’exemple du Temple des Inscriptions à Palenque, au Mexique, le soubassement pyramidal représente l’inframonde sec. C’est lui qui contient les restes du roi Pacal. Le temple qui surmonte la pyramide forme le niveau terrestre et, tout au-dessus, la crête faîtière représente le niveau céleste.

 

Revenons à la course du soleil. Vous écrivez qu’il se couche vieux, voire moribond…

Tous les peuples méso-américains ont remarqué que le soleil du matin est tout en espoir et en force. Alors qu’on le voit décliner l’après-midi. Non seulement baisser, mais avoir de moins en moins de puissance. Il est donc perçu alors comme un être privé de force et qui a besoin du sang des hommes pour pouvoir renaître…

 

Est-ce à dire que les Mayas procédaient à des sacrifices humains tous les jours de l’année ?

Le sacrifice humain existait chez les Mayas. Mais nous n’avons aucune donnée, ni chiffres, ni fréquences. Les Mayas ont très bien pu décider qu’un sacrifice pouvait suffire pour tant de temps. Comment le calculer ? À mon avis, nous ne le saurons jamais. C’est déjà très difficile à appréhender chez les Aztèques, alors que les chroniqueurs nous livrent nombre de témoignages, y compris assortis de chiffres. Mais ces derniers sont souvent fantaisistes, selon les raisons de la propagande et le point de vue adopté. Leurs chiffres sont exagérés, dans un sens ou dans l’autre, selon qu’ils cherchaient à démontrer que les Aztèques étaient des êtres gentils et qu’ils sacrifiaient rarement ou bien, au contraire, que ce peuple était composé de brutes sanguinaires qui méritaient d’être réduites en esclavage. Dès lors, on augmentait les chiffres. Même à propos des Aztèques, il y a des discussions, alors qu’on sait qu’ils sacrifiaient manifestement beaucoup. Chez les Mayas, nous manquons d’informations.

 

Cet étrange couteau de silex qu’on nomme « excentrique » avait-il pour finalité d’être un instrument de torture ?

Est-ce qu’il servait à torturer ou n’était-ce pas plutôt un symbole, à cause du matériau, de teinte claire, associé au soleil diurne, et de son côté coupant ? Il est difficile de se prononcer. Mais il n’y a pas de doute qu’il est relié au sacrifice.

 

Est-ce toujours la même divinité qui figure de profil sur le tranchant des « excentriques » ?

Je ne pense pas qu’il s’agisse de créatures surnaturelles. On y voit de temps en temps des crocodiles. En général, ce sont des humains et il semble que les Mayas font plutôt allusion au pouvoir et au roi qu’à des divinités.

 

Quel est le rôle du jaguar ?

Le jaguar est l’image emblématique du pouvoir. C’est le plus grand prédateur d’Amérique tropicale. De ce fait, on lui donne un rôle important. Le roi s’identifie au jaguar. Son vêtement est fait en partie de sa peau, de sa fourrure. Comme le jaguar est un animal nocturne et qu’il porte des taches noires, il représente de façon emblématique le soleil nocturne. En revanche, sa place n’est pas dans le ciel. Comme le quetzal et le perroquet qui sont la thématique du soleil de jour, en raison de leurs couleurs extrêmement vives.

 

Avez-vous vu le film Apocalypto de Mel Gibson ?

Oui, je me suis fait un devoir d’aller le voir au cinéma (rire)…

 

Le film montre des Mayas qui font prisonniers des hommes et des femmes, en épargnant les enfants. Était-ce dans leur tradition ?

Tout dépendait du sacrifice. Certaines fêtes demandaient exceptionnellement que les victimes soient des enfants. La règle était plutôt de sacrifier les prisonniers de guerre. Par contre, le fait qu’on voit dans le film des captifs enchaînés, attachés à de longs bambous, est une pure invention de Mel Gibson. Une telle représentation des prisonniers ne figure sur aucun vase.

 

Deuxième question sur le film. Alors qu’il vient d’échapper au sacrifice, le héros traverse un charnier. Y en avait-il effectivement ?

Non, c’est complètement ridicule. Les archéologues n’ont jamais trouvé de charniers. Il n’y avait pas de tueries. Rien ne sous-tend que les Mayas laissaient les corps à l’air, entassés comme on les voit dans le film. Ces derniers étaient soit enterrés, soit mangés dans des rites anthropophages.

 

Les futurs sacrifiés étaient-ils peints en bleu ?

Ils étaient peints en bleu ou en noir. Il y a toujours des peintures pour les victimes sacrificielles. On leur retirait aussi leur coiffe et leurs ornements. Les Mayas faisaient une boucle avec les cheveux du prisonnier, comme une queue de cheval. C’est la coiffure traditionnelle de la victime. Mais vous auriez pu rajouter une quatrième question à propos de l’éclipse qui survient au moment des sacrifices humains. Cela rappelle Tintin. Mais les Mayas savaient très bien à quelle date  allait se produire une éclipse. Dans le film, les prêtres mayas ont l’air surpris, alors qu’ils pouvaient l’anticiper et l’annoncer, car  ils observaient et notaient les mouvements des corps célestes.

 

Le ciel était pour eux le royaume des Ancêtres. L’inframonde celui des morts. N’y a-t-il pas là comme une contradiction ?

Non si l’on considère qu’il y a deux sortes de morts. Comme chez les Aztèques. Pour ces derniers, à propos de la course du Soleil, il était considéré que l’esprit des guerriers morts au combat accompagnait l’astre depuis son lever jusqu'au zénith. Puis, le relais était passé aux âmes des femmes mortes en couche. Ainsi, tout dépendait du statut des défunts. Il en était de même chez les Mayas où seule une élite accédait au ciel, au rang d’Ancêtre. Tous les autres disparaissaient à jamais dans l’inframonde…

 

Propos recueillis en 2008

* BAUDEZ Claude-François. Les Mayas. Guide Belles Lettres des Civilisations. 2004 - Une histoire de la religion des Mayas. Bibliothèque Albin Michel. Histoire. 2002.

* Les Mayas inscrivaient le temps dans de grands cycles. Transcrit dans notre calendrier, celui auquel ils se référaient avait débuté le 13 janvier de l’an 3114 av. J.-C . Il était prévu qu’il s’achève le 31 décembre 2012.

**  Cycle de 256,23 années.