Stéphen Rostain

 

Directeur de recherche. Archéologue spécialiste de l’Amazonie.
UMR 8096 « Archéologie des Amériques »CNRS/Université de Paris

 

 

Inauguration du 3e congrès International d’Archéologie Amazonienne (de gauche à droite) : Jean-Baptiste de Boisière (Ambassadeur de France en Équateur), Juan Ponce (Directeur de la Facultad Latino- americana de Ciencas Sociales), Guillaume Long (Ministre Coordinateur de la Connaissance et du Talent Humain), Stéphen Rostain (Président du 3e Congrès International d’Archéologie précolombienne), Gérard Borras (Directeur de l’Institut Français d’Études Andines)

Participants au 3e Congrès International d’Archéologie Amazonienne visitant le site archéologique de Cochasqui, au nord de Quito.

Première carte de l’Amazone, de Quito à l’Océan Atlantique, réalisée par le Jésuite Cristóbal de Acuña pour le Roi, en 1642, suite à l’expédition sur l’Amazone

Participants au 3e Congrès International d’Archéologie Amazonienne et lamas sur le site archéologique de Cochasqui, au nord de Quito.

Stéphen Rostain avec le gérant de “República del Cacao”, un des sponsors du Congrès

Artisanes Waorani vendant leurs productions lors du 3e Congrès International d’Archéologie Amazonienne

Pause « choclo de maíz y chicha » sur le site de Cochasqui

Es gloria de Quito el descubrimiento del río Amazonas), mention extraite du livre de 1642 de Gaspar de Carvajal, gravée sur la cathédrale de Quito.

Urne funéraire anthropomorphe polychrome de culture Napo (musée de la Casa del Alabado).

Timbre de céramique de la province du Morona-Santiago (collection privée)

Il vous revient d’avoir été le premier à découvrir en Guyane des milliers de monticules qui datent de l’époque précolombienne. Expliquez-nous…

Cette découverte remonte à 1989. On m’opposait à l’époque qu’il n’y avait pas de buttes construites par les hommes sur la basse plaine côtière des Guyanes, comme il en existe dans plusieurs régions d’Amazonie. On me traitait de fou. Dès lors j’ai décidé d’aller voir par moi-même, à bord d’un ULM. En multipliant les vols, j’ai trouvé et photographié des milliers de buttes disposées en damier. On sait aujourd’hui qu’elles recouvrent plus de 3000 hectares. J’ai le souvenir d’un pédologue qui, en voyant mes images, m’a dit n’avoir jamais vu pareilles buttes lors de ses marches à travers les savanes où il venait de passer 20 ans…

 

L’idée qu’il s’agissait de champs surélevés s’est-elle imposée tout de suite ?

Pas du tout. J’ai dû travailler avec des géomorphologues et des pédologues pour démontrer qu’il ne s’agissait aucunement d’un phénomène d’argile gonflante et que ces buttes ne pouvaient pas être d’origine naturelle. Leur forme est trop régulière et puis coexistent des buttes rondes et allongées. L’hypothèse d’une origine humaine s’imposait donc, sauf qu’on me répondait souvent que ces monticules étaient l’œuvre de bagnards ou d’esclaves. Pour en avoir le cœur net, je me suis approché des historiens qui ont d’emblée rejeté cette possibilité, car un tel travail n’a jamais été mentionné. Par ailleurs, des buttes identiques existent au Surinam. Cela aurait signifié que les bagnards ou les esclaves qui s’étaient échappés avaient continué à construire – de leur propre chef - des buttes par milliers. Impensable.

 

Avant de vous interroger plus avant sur ces monticules qu’entendez-vous par « il en existe dans plusieurs régions d’Amazonie » ?

Je viens de parler du Surinam, mais l’on trouve des buttes comparables au Venezuela, en Bolivie, en Colombie, en Équateur et au Pérou. Elles sont localisées tant dans les Hautes Terres andines que les Basses Terres amazoniennes et du littoral pacifique.

 

C’est une Amazonie élargie…

Il y a autant d’Amazonie que de chercheurs. Selon les auteurs, sa surface varie entre 6 et 8 millions de km². Tout dépend de ce que chacun y met. Les Brésiliens ont tendance à limiter l’Amazonie au seul bassin de l’Amazone, avec ses quelque 500 affluents dont vingt qui dépassent 1500 km de long. C’est-à-dire l’Amazonie Légale ou Amazonie brésilienne. Or, l’Amazonie déborde dans huit autres pays : la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, la Colombie, le Venezuela, le Guyana, le Surinam et la Guyane française.

 

Les Guyanes côtières font-elles partie de cette Amazonie légale ?

Elles sont souvent mises en dehors. Cela se comprend car les Guyanes de ce territoire compris entre l’Amazone et l’Orénoque appartiennent à un autre bassin versant. En effet, les fleuves se jettent dans l’Atlantique et pas dans l’Amazone. Mais, en réalité, les Guyanes font bien partie de l’Amazonie.

 

C’est à s’y perdre…

A dire vrai, toutes ces divisions n’ont pas beaucoup de sens. C’est comme tenter d’étudier, séparément du reste, le passé de la Guyane française. Les fleuves marquent des frontières géopolitiques récentes. La réalité, c’est que les Amérindiens vivent et ont toujours vécu de part et d’autre des fleuves. Personnellement, je ne prends pas en compte les frontières. Lorsque je dessine des cartes, je n’y mets pas les frontières actuelles, parce qu’elles troublent la lecture plus qu’autre chose.

 

Tout de même, considérer que l’Amazonie mesure entre 6 et 8 millions de km², cela laisse entendre qu’il y a une Amazonie minimale et une Amazonie maximale…

Effectivement. L’Amazonie minimale, c’est le Bassin de l’Amazone. L’Amazonie maximale, ce serait toutes les savanes alentour, la côte pacifique (pas la désertique), mais la moitié de la côte équatorienne en remontant sur la Colombie et une partie des petites et grandes Antilles. Parce que les populations amérindiennes qui ont peuplées ces dernières viennent de l’Amazonie, du Bassin de l’Orénoque plus exactement.

 

Cette Amazonie maximale intègre des savanes…

Bien sûr. Le paradoxe de l’Amazonie, c’est que tout le monde la voit assez homogène. Comme une immense forêt avec des peuples qui se ressemblent. Alors que les paysages y sont très variés. Ce n’est pas qu’un brocoli de forêts. Il y a aussi des hauts plateaux – les Tepuyes (les « Tépouilles ») - qui culminent à près de 3000 mètres au Venezuela, la várzea (les plaines alluviales), les grandes savanes herbeuses et les savanes inondables, etc. En réalité, c’est la plus grande biodiversité du monde. Quant aux populations locales, il y a 20 ans, elles parlaient 400 langues. Il y avait alors plus de 80 familles linguistiques. L’exploitation à grande échelle de l’Amazonie a fait depuis beaucoup de ravages. Tellement que le nombre de langues parlées est tombé à 130*.

 

Que sait-on du peuplement de l’Amazonie précolombienne ?

Les premiers chasseurs-cueilleurs sont arrivés il y a environ 10 000 ans, en passant probablement par les savanes intérieures, au centre des Guyanes. Progressivement se sont installés des populations de pêcheurs-collecteurs, des horticulteurs, et des agriculteurs. Ces derniers ont plutôt colonisé les plaines alluviales et la côte des Guyanes. Tandis que les chasseurs-cueilleurs vivaient dans les savanes et sur l’Amazone.

 

Comment sont-ils parvenus jusque là ?

Par le Détroit de Béring lorsque la Béringie était encore une terre. Arrivé en Amérique du Sud, il y a deux voies : la voie andine et la voie amazonienne. Cette dernière serait plus ancienne. Les dates sont plus vieilles en Amazonie, dans les Basses Terres. Ce qui est logique. A Panama, ils traversent la forêt et débouchent en Colombie. A l’ouest, ils trouvent devant eux des montagnes hautes de 6000 mètres et à l’est la forêt qu’ils connaissent bien. Il y a sûrement aussi des routes littorales qui ont disparu sous l’eau puisque le niveau de l’océan a changé. Et donc ils découvrent la terre des Guyanes, avec ses grandes savanes où l’on retrouve aujourd’hui les vestiges de ces premières populations qui ont chassé le mégathérium, le glyptodon et le smilodon (il existait bien en Amazonie avec ses dents de sabre).

 

Et les nomades ne deviennent pas sédentaires…

Si, probablement dans certains cas, mais les deux modes de vie ont aussi cohabité pendant très longtemps. Il y avait des populations nomades de chasseurs-cueilleurs dans l’intérieur de la forêt, pendant que des agriculteurs se tenaient au bord des grands fleuves. Ils ont toujours coexisté et inter-changé. Il faut voir l’Amazonie précolombienne comme un immense réseau d’échanges, entrecoupé de milliers de routes. Je dis bien routes et non sentiers…

 

Francisco de Orellana avait donc raison quand il écrivait avoir vu, en 1542, une foule et une succession de grands villages le long de l’Amazone…

Il n’avait sans doute pas totalement tort. Les fouilles archéologiques qui ont été faites depuis les années 1980 tendent à corroborer, et pas seulement le long de l’Amazone, l’existence de grandes sociétés. D’importantes chefferies avec des villages de plusieurs milliers d’habitants. A l’image de ceux décrits par Mike Heckenberger qui a découvert des villages précolombiens formant, dans le Haut Xingu, de grands ensembles annulaires avec des routes qui mesurent jusqu’à 40 mètres de large ! Cela suppose toute une organisation pour éviter que la végétation ne reprenne ses droits rapidement.

 

Pourquoi Orellana n’a-t-il pas été entendu ?

Il avait tout de même abandonné le chef de l’expédition dans le haut fleuve et était donc frappé d’infamie. Et surtout parce que cinquante ans plus tard, lorsque de nouvelles expéditions sur l’Amazone ont été entreprises, il n’y avait plus âme qui vive le long des berges.

 

A cause des maladies…

Précisément. Les maladies, principalement respiratoires - bien plus que les exactions commises par les conquérants - ont été fatales aux Amérindiens. Ils n’avaient pas d’anticorps contre les maladies nouvelles venues d’Europe.

 

On a pris Orellana pour un mythomane et personne ne l’a cru…

C’est vrai jusqu’à la fin du XXe siècle, car l’homme avait tendance à exagérer. Il écrivait qu’il y avait tellement de monde sur les berges de l’Amazone que celui qui tirait une flèche en l’air en leur direction la verrait forcément retomber sur quelqu’un. Il déclarait aussi avoir été attaqué par 200 pirogues contenant chacune 60 guerriers. Il a sans doute un peu magnifié la vérité. Reste qu’il a certainement vu beaucoup de gens. L’Amazonie était considérablement plus peuplée à l’époque précolombienne.

 

Pourquoi exagère-t-il ?

Orellana était sous le commandement du frère de Pizarre et missionné par ce dernier pour aller chercher de la nourriture et du secours suite au fiasco de la première expédition menée à l’intérieur des terres. Or, si lui et ses hommes, pour la plupart blessés, ont pu profiter du courant - jusqu’à découvrir, les premiers, l’embouchure de l’Amazone ! - ils n’ont jamais pu remonter le fleuve. On se demande si Orellana n’a pas enjolivé la réalité pour éviter certaines condamnations. A l’époque, cela ne se faisait pas d’abandonner son chef… Il n’empêche : grâce à Orellana, l’Amazone est le seul fleuve au monde qui n’a pas été découvert de son embouchure à ses sources, mais de ses sources** à son embouchure !

 

Existe-t-il d’autres écrits sur une forte présence humaine en Amazonie ?

De Chabrillan, qui était explorateur, écrit avoir vu en 1743 à l’intérieur des Guyanes, en territoire Wayana (un groupe Karib), une route qui courait en ligne droite sur 100 km. Il précise que quatre chevaux pouvaient y passer de front et que des fortins étaient bâtis tous les kilomètres afin de pouvoir, en cas de besoin, rassembler rapidement des armées.

 

Cela conforte l’idée qu’il existait de grandes concentrations de population.

On a trouvé des sites agricoles de 300 hectares sur le Moyen Amazone. Ils ont pu nourrir de grands villages… Au Surinam, en terrain inondé, on connaît aussi des tertres résidentiels gigantesques, tels ceux d’Hertenrits où trois monticules artificiels sont alignés et séparés d’environ trois à quatre kilomètres. Le plus grand mesure 200-300 mètres de diamètre et s’élève à 2,50 m du sol. Ce qui le met toute l’année à l’abri des crues. On imagine ce qu’il a fallu de main d’œuvre pour l’élever avant d’y construire les maisons. Depuis ces tertres, de larges sillons partent en toile d’araignée. Ils servaient de canaux en saison humide et de chemin en saison sèche. Des tertres et des territoires organisés similaires sont également connus dans l’île de Marajó de l’embouchure de l’Amazone, au Venezuela, en Colombie, en Équateur et en Bolivie.

 

Cela nous fait revenir aux monticules. Ce qu’on découvre aujourd’hui, c’est que ces populations regroupaient des agriculteurs au talent certain…

La découverte n’est pas si récente. Cela fait 20 ans que l’on sait que la domestication de nombreuses plantes est née en Amazonie. Précédemment, il se disait que les Incas avaient exporté leurs inventions et que cela avait échoué car le milieu amazonien ne s’y prêtait pas. C’est le contraire qui s’est produit. Le pas qui précède l’agriculture a été franchi dans le bas Amazone avant de se développer ensuite dans les Andes***. De même, on a inventé la céramique en Amazonie, avant de la voir naître sur la côte du Pacifique ou en Colombie.

 

Quel type d’agriculture pratiquait-on en Amazonie à part la culture sur brûlis ?

Vous avez raison de mettre à part la culture sur brûlis, car il n’est pas du tout certain qu’elle était aussi dominante à l’époque précolombienne comme aujourd’hui. J’ai coupé des arbres à la hache de pierre, je peux vous affirmer que c’est tuant. Les arbres sont bourrés de silice, de quartz. Ils sont très durs. Il était donc très difficile d’ouvrir de larges parcelles pour les abandonner au bout de six à dix ans. La culture sur brûlis s’est peut-être largement répandue plus tard, avec la conquête lorsque les Indiens ont disposé de haches de métal. En revanche, et pour répondre à votre question, on sait qu’ils pratiquaient différentes agricultures. Par exemple, il y avait ce que nous appelons l’agriculture de várzea qui se pratiquait dans la plaine alluviale de l’Amazone et de l’Orénoque. C’est une agriculture, elle aussi temporaire, qui profite du dépôt, en basses eaux, des sédiments des fleuves. Cela permet d’utiliser pendant six mois des sols très fertiles. Mais c’est une agriculture à risque, très dépendante des crues. On peut tout perdre en une nuit si l’eau, comme cela arrive, monte d’un coup de deux mètres…

 

La terra preta…

Effectivement. Les Amérindiens ont largement profité de cette terre quasi magique… Mais contrairement à ce qui se dit, elle n’était pas « fabriquée » par eux. La terra preta est le fruit, on devrait dire le vestige, d’une très longue occupation humaine. Elle contient tout à la fois des petits morceaux de céramique et d’os et du charbon de bois qui a l’avantage de retenir les minéraux. On la trouve dans d’anciens villages au sein de sites qui vont de 1 à 300 hectares. Notamment, le long de l’Amazone. Il y en a sûrement ailleurs, mais c’est là qu’on fouille le plus pour l’instant. Je suis certain qu’on en trouvera aussi le long de l’Orénoque.

 

Elle est vendue actuellement comme une sorte terreau…

 Oui, il semblerait que si on la laisse en place, quelques années plus tard le sol sous-jacent se retrouve paré des mêmes vertus, dit-on. Elle se régénèrerait toute seule. Cela reste à vérifier.

 

…et, nous en venons aux champs surélevés.

Que l’on trouve uniquement dans les zones inondables ou inondées. Le fait est qu’il n’y a pas 36 techniques pour exploiter les terres noyées. Ou bien, à la manière des Hollandais, on poldérise – on draine l’eau en laissant des parcelles qui s’assèchent – ou l’on pratique l’inverse. On crée des buttes au dessus de l’eau. L’avantage de ces dernières, c’est qu’on y concentre les matériaux les plus fertiles. Souvent de l’argile mêlée à des végétaux. J’ai coupé un certain nombre de buttes et constaté à chaque fois que la terre y est très noire. Très riche en micro-organismes.

 

Parler de champ est un peu exagéré…

Il faut prendre le mot dans son sens étymologique. Un champ, c’est une surface de terre cultivée, quelle que soit la surface, immense ou toute petite. En l’occurrence, le diamètre de ces buttes fait de l’ordre du mètre. Les plus grandes ne dépassent pas quatre mètres. Mais il existe des buttes allongées qui mesurent jusqu’à 50 mètres de long. En Guyane, en tout cas, elles sont soit rondes, soit carrées ou allongées. Seulement, elles forment tout un réseau en damier.

 


Leur hauteur ?

Elles se sont un peu érodées avec le temps. Leur hauteur originelle devait varier entre 80 cm et 1 mètre. Aujourd’hui, elles mesurent entre 20 et 80 cm. Il faut savoir qu’en Guyane les plus anciennes buttes datent probablement du Xe siècle et les plus récentes de 1400. Pas après. Il s’est manifestement produit à cette époque un grand bouleversement, sans doute climatique qui aurait généré davantage de pluies, et conduit à d’importants mouvements de population. Ce phénomène se retrouve dans d’autres régions d’Amazonie. Cela fait donc environ 600 ans que ces monticules ne sont plus cultivés et cependant ils semblent quasi intacts.

 

Comment l’explique-t-on ?

D’autres sociétés que celle des hommes ont pris le relais. Je parle des insectes sociaux - fourmis et termites -, auxquels s’ajoutent les vers de terre. Les écologues de l’Université de Montpellier ont constaté que chaque monticule est occupé aujourd’hui par une fourmilière. A l’intérieur, le ballet est incessant. Des fourmis champignonnistes, par dizaines de milliers, y creusent des puits et remontent en permanence des grains de sable pour maintenir les buttes hors d’eau. Les plantes qui les recouvrent pour partie participent aussi à les garder en l’état.

 

Que cultivait-on sur ces champs surélevés ?

L’étude des pollens nous a fait découvrir, en plus des plantes indigènes, comme le maïs ou le manioc, des plantes importées telles que la canne à sucre et la banane. Comme chacun sait, le pollen est volant, et donc j’ai eu des doutes sur la validité de nos observations. Dès lors, des archéobotanistes d’Exeter en Angleterre se sont attachés à chercher dans les buttes ce que nous appelons les « squelettes des plantes », les phytolithes. Des grains de silice symptomatiques de presque toutes les plantes. Et là ils ont trouvé des phytolithes de maïs et de courges.

 

Pas de manioc ?

Non, parce que les phytolithes de manioc ne se différencient pas des herbacées. C’est pourquoi les archéobotanistes ont mené une autre étude portant cette fois sur les outils de pierre et les céramiques qui servent à cuire la nourriture. L’analyse des grains d’amidon a ainsi permis de conclure qu’ils cultivaient et consommaient principalement du maïs, du manioc et du piment. Et probablement de la patate douce. Il apparaît que le maïs était la plante vivrière prédominante à l’époque précolombienne dans certaines parties d’Amazonie. Avant d’être supplantée plus tard par le manioc.

 

Comment l’expliquez-vous ?

S’il y avait effectivement de grosses populations en Amazonie - comme cela semble se vérifier partout -, les Précolombiens avaient besoin de protéines et ils les trouvaient plutôt dans le maïs que dans le manioc. Car en dépit de ses qualités – c’est le bouturage idéal – ce dernier ne permet pas de subvenir aux besoins de collectivités importantes.

 

Sait-on comment ils réalisaient ces buttes ?

Les Précolombiens n’étaient pas les seuls à réaliser ces buttes en terrains inondables. On en retrouve un peu partout dans le monde, y compris en France avec les billons ou l’hortillonnage à Amiens… Pour répondre à votre question, on a découvert au Surinam une espèce de bêche – un louchet en terme technique – qui par sa forme allongée ressemble à celle d’un aviron. Il permettait de découper l’argile des marais en briques. Même si le travail était dur, c’était moins pénible que de creuser des canaux. Très curieusement, il y a le même type d’instrument en Afrique, chez les Floup du Sénégal qui, eux aussi, réalisent des champs surélevés. Seule différence : leur louchet est pourvu d’un embout métallique.

 

Vous parliez à l’instant de céramiques. Toutes ne sont pas à usage domestique. Certaines sont liées au monde funéraire comme les urnes de Marajo, d’autres – j’imagine – ont une vocation religieuse…

Il y a, effectivement, tout une collection d’objets pour lesquels on ne sait pas très bien à quoi ils servaient. Ils n’ont pas une fonction évidente. Ils sont rangés - c’est le fourre-tout de l’archéologue - dans la collection « objets cérémoniels ». Parce qu’ils n’ont pas d’utilité apparente dans la vie quotidienne. Tels ces petits cylindres à deux cornes qu’on trouve dans tous les sites de ces populations côtières des Guyanes. Parfois, il y a des visages dessus. Ces céramiques ont de prime abord une fonction cérémonielle bien marquée. Il en existe aussi en forme de couvercle avec un tenon. Sauf que ce ne sont pas du tout des couvercles. Le thème de la gémellité revient souvent sur les modelés animaliers ou humains. L’iconographie est un peu difficile à interpréter. Ce sont des êtres hybrides. Des Esprits de la forêt. Pour le moment, les fouilles sont quand même assez rares. Donc il est difficile de faire de grandes interprétations comme dans les Andes.

 

En vous écoutant, on comprend que l’Amazonie intéresse de plus en plus d’archéologues…

C’est malheureusement inexact. A mes débuts, il y a 25 ans, nous étions moins d’une dizaine d’archéologues à travailler sur l’Amazonie. Depuis la situation n’a pas beaucoup évolué. En France, il y a l’INRAP qui travaille sur l’archéologie de Guyane, mais je ne connais qu’une dizaine de projets sur l’archéologie amazonienne proprement dite, dont celui des Brésiliens sur le Moyen Amazone où ils ont trouvé des chronologies de 8000 ans, ou celui des Américains sur le Haut Xingu. Le fait est qu’on avance à pas de fourmis. Espérons que les découvertes récentes – je pense aux champs surélevés, mais aussi au « Stonehenge amazonien » étudié par les Brésiliens, un cercle formé de plusieurs dalles levées dans le nord de l’Amapa orientées, semble-t-il en fonction des solstices - vont inciter de futurs archéologues à s’intéresser à l’Amazonie.

 

Qui soutient vos travaux ?

Le projet que je co-dirige avec Doyle McKey, du centre d’écologie fonctionnelle de Montpellier, est financé en grande partie par le CNRS, à travers le projet interdisciplinaire Amazonie et le projet interdisciplinaire Ingénierie écologique. Par ailleurs, le Ministère de la culture finance une partie des fouilles depuis Paris.

 

Votre projet est celui d’un ensemble de chercheurs…

Notre projet est totalement interdisciplinaire, dans le sens où l’on a conçu ensemble les questions et que chacun dans son domaine essaie d’y répondre avec ses méthodes. Il y a ainsi six ou sept disciplines scientifiques représentées. Cela permet de travailler réellement ensemble et d’avancer plus vite.

 

Quelles questions vous posez-vous encore actuellement ?

Nous aimerions savoir quand et pourquoi ils ont cessé d’utiliser les champs surélevés ? Le fait est que dater des buttes de terre n’est pas facile. Une carotte de tourbe, représentant apparemment 3000 ans de dépôt, a été faite dans les marécages de Guyane. On espère y trouver les traces d’un changement climatique et de paysage. On souhaiterait aussi affiner nos questions et les réponses sur la démographie. Pour l’heure, en regard des surfaces et des plantes cultivées nous pensons que certains villages devaient abriter de l’ordre de 100 à 1000, voire 2000 habitants. Sur cette portion de littoral, entre l’île de Cayenne et le fleuve Berbice au Guyana, nous aurions, en extrapolant (l’hypothèse est assez vraisemblable), de 50 à 100 habitants au km². Ce sont des chiffres énormes par rapport à celui avancé habituellement qui fait état d’un au km² en Amazonie. 

Propos recueillis en 2010

  

*C’est à comparer - à surface égale - avec l’Europe où il existe une dizaine de familles linguistiques.

**Sous quatre noms différents, l’Amazone prend sa source au Pérou à 4 900 mètres d’altitude

***Preuve d’une exportation de l’agriculture vers les Andes, on a trouvé dans le lac Ayauchi, en Equateur , du maïs daté d’environ 5300 ans. C’est le plus ancien pour le moment en Amérique du Sud. Les plus anciens d’Amérique ont été trouvés au Mexique et au Panama. Ce dernier pourrait bien être le centre de domestication des plantes pour l’ensemble du double continent.