Claire Alix
Docteure en anthropologie, ethnologie, préhistoire de l'université de Paris-I Panthéon- Sorbonne, spécialiste en archéologie arctique et analyse des bois archéologiques
" Pour nous, le froid arctique est hostile. Or c’est aussi grâce au froid que la vie dans l’Arctique est possible "
“ Le paradoxe, c’est que pendant des années, les productions inuit en bois n’ont pas ou peu été étudiées par les archéologues ”
“ Dans l’histoire culturelle de l’Arctique, on rapporte des événements extrêmes qui ont pu faire disparaître et réapparaître certaines techniques ”
Des Paléo-Inuit aux Inuit... Faire fondre nos idées fausses !
Les Inuit seraient les derniers arrivés sur le continent américain. Qu’est-ce qui les distingue des Amérindiens ?
Ce sont deux groupes aux origines différentes. Même si l’on ne comprend pas tout, il apparaît que l’Arctique a été peuplé tardivement. Les archéologues interprètent les vestiges comme étant ceux de deux grandes vagues de migration qu’ils placent dans deux grandes traditions archéologiques : le Paléo-Inuit , pour les populations les plus anciennes, et le Néo-Inuit. Des généticiens ont pu reconstituer, à partir de cheveux retrouvés dans un site gelé de culture Saqqaq (environ 4000 BP), à l’ouest du Groenland, le génome complet d’un Paléo-Inuit et l’on constate que ce dernier est plus proche des populations tchouktches de l’Extrême Orient russe que des Amérindiens.
De quand date le Paléo-Inuit ?
Les vestiges les plus anciens que les archéologues rattachent au Paléo-Inuit sont datés d’environ 4500 BP. Nous retrouvons des vestiges que l’on regroupe sous l’expression « tradition microlithique de l’Arctique » (TMA) aussi bien en Alaska qu’au Groenland à peu près simultanément. C’est pourquoi ils sont interprétés comme reflétant une migration rapide. La plus ancienne datation radiocarbone est de 5000 BP pour un site situé sur la péninsule Seaward, au nord-ouest de l’Alaska, mais cette date n’est pas unanimement acceptée. En revanche, les chercheurs s’accordent pour dater vers 4500 BP les sites archéologiques rattachés à l’Independence I, au nord du Groenland, et au Denbigh, dans la baie de Norton, en Alaska. Des variantes un peu plus récentes de ces assemblages archéologiques sont appelées Pré-Dorset (3500 – 4000), dans le nord canadien ou Saqqaq, au Groenland, et contribuent à former la TMA. Le meilleur exemple vient de la Baie de Disko, au Groenland, où l’on trouve deux sites avec une préservation remarquable des matières organiques, tels que des bois végétaux et matières osseuses, peaux et autres fibres généralement périssables. Tout y est bien conservé, ce qui nous permet d’avoir une bonne idée de la panoplie technique, des types d’objets et instruments de chasse, utilisés par ces populations. Sur la plupart des autres sites, on ne retrouve généralement que l’industrie lithique : des lamelles, des petites pointes de flèches, très caractéristiques, des petits burins. Tout est miniaturisé. Ce qui conduit à penser que les Paléo-Inuit devaient former des groupes assez mobiles qui voyageaient légers et transportaient de petits nucléus. Bien que très spécialisé, et technologiquement très poussé, leur travail pouvait être assez expéditif.
L’Asie est vaste. A-t-on idée du lieu d’où ils venaient ?
Certains chercheurs voient l’origine des Paléo-Inuit dans des industries sibériennes au sein de la vallée du fleuve Aldan. Il y a là des sites archéologiques où les vestiges ont des caractéristiques assez proches de ceux que l’on trouve au Paléo-Inuit.
Revenons à l’Amérique. Les populations arctiques sont-elles toujours restées cantonnées à leur milieu ?
Non. Quand les tout premiers Paléo-esquimaux arrivent au nord de l’Arctique, il fait moins froid qu’au Néo-glaciaire. A cette période, aux environs de 3300 BP, le refroidissement du climat est tel qu’ils sont contraints de descendre jusque dans le nord du Manitoba. On le sait parce qu’on y a découvert quelques sites avec des industries de la TMA.
Le froid y est moins hostile...
Ce n’est pas le qualificatif adapté. Pour nous, le froid arctique est hostile. Or c’est aussi grâce au froid que la vie dans l’Arctique est possible. On peut conserver les aliments ; on peut se déplacer plus facilement en hiver. En effet, l’Arctique est très marécageux et les déplacements l’été sont moins directs. En hiver, au contraire, vous passez partout, car tout est gelé. Même si je vous accorde qu’il faut pouvoir vivre par - 40° C et qu’à cette température la vie prend un autre rythme. La noirceur de l’hiver a pu poser plus de difficulté que le froid. C’est spécialement vrai quand la couverture nuageuse vous plonge dans la nuit complète pendant plusieurs jours. Heureusement, ces périodes sont rares, car il y a le plus souvent la lumière de la lune, celle des étoiles, la réflexion de la neige et les aurores boréales.
Quels sont les mois les plus sombres ?
Cela dépend de la latitude où l’on se trouve. Par exemple, septembre et octobre peuvent paraître sombre, parce qu’il n’y a pas nécessairement assez de neige.
Venons-en aux Néo-Inuit...
Dans l’Arctique canadien, les Paléo-Inuit anciens (pré-Dorset, Saqqaq...) vont développer des traits de leur culture matérielle que les archéologues jugent suffisamment différents pour les regrouper sous l’appellation Dorset. Il s’agirait ici d’un développement sur place à partir des groupes arrivés lors des premières migrations. Ces groupes du Dorset occupent au final tout l’Arctique canadien, y compris le Groenland. Au 13e siècle, arrivent les Thuléens, les ancêtres directs des Inuit. Ces derniers se développent d’abord dans le Détroit de Béring, aux alentours de l’an 1000/1100, et on pense qu’ils partent vers l’est à partir du XIIIe siècle. Dès lors, on les retrouve partout et ils vont supplanter les Dorset.
Ils se frottent aussi, dit-on, aux Amérindiens...
Je ne sais pas si les premiers Thuléens se frottent aux amérindiens. Juste avant la période du contact, on sait qu’il y a des conflits. Les populations anciennes du détroit de Béring à l’origine des Thuléens sont assez guerrières. On s’en rend compte de plus en plus. Ils font des incursions dans certaines zones forestières. Ensuite, à partir du 13e siècle ils avancent également dans l’intérieur des terres, le long du fleuve Kobuk, dans le nord-ouest de l’Alaska. Plus à l’est, on les retrouve au Labrador et dans le nord du Québec. Ils pratiquent probablement des échanges, mais les rencontres ont pu aussi se traduire par des hostilités. Ce n’est pas toujours facile à mettre en évidence par l’archéologie.
Le commerce est florissant...
Il ne faut jamais voir l’Arctique comme un lieu isolé, mais en contact avec l’Asie à l’Ouest et l’Europe à l’est. Entre ces deux extrêmes, séparés par plus de 6000 km, les groupes multiplient les échanges. Imaginez les Thuléens spécialisés dans la chasse à la baleine. L’animal est si volumineux qu’à chaque prise les surplus sont considérables, des montagnes de graisse notamment. En Arctique, c’est un trésor. Versée dans les lampes, la graisse permet de s’éclairer et, consommée fermentée, c’est une « délicatesse ». Revers de la spécialisation : les Thuléens de la côte ont délaissé la chasse aux caribous. Or les peaux de ces animaux n’ont pas d’équivalent pour se vêtir. En effet, il n’y a rien de plus chaud que la peau de caribou pour se confectionner, entre autres, des parkas. A partir de là, naissent les échanges qui génèrent des dépendances entre les gens de la côte et ceux de l’intérieur.
Qu’échangent-t-ils encore ?
Des métaux. Il y a du cuivre natif dans le Centre de l’Arctique par exemple. Dans le nord-ouest de l’Alaska, nous avons trouvé récemment un fragment de boucle en bronze avec un morceau de cuir encore attaché à la boucle. Le cuir a pu être daté par le radiocarbone à environ 600 après J.-C. La boucle ressemble à ce que l’on voit en Chine au début du 1er millénaire apr. J.-C. Par ailleurs, on sait que du fer, d’origine asiatique, circule dans le Détroit de Béring déjà avant le tournant du premier millénaire après J.-C. On peut imaginer que ce métal faisait l’objet de transactions, mais le fait est qu’on en retrouve très peu dans les sites archéologiques car il s’oxyde beaucoup. On infère sa présence par la largeur des fentes des couteaux et de certaines pointes ou lames. Le russe Serguei Semenov, père de la tracéologie, avait démontré, dès les années 60, que l’art des cultures Béringiennes, à savoir les magnifiques objets en ivoire gravé avaient été incisés avec des pointes en métal. Et de fait, on a retrouvé depuis des petits graveurs en fer...
Et le bois ?
Il est utilisé partout où y en a. Ailleurs, on l’échange.
Alors justement, vous êtes spécialisée dans l’étude des bois archéologiques et du travail du bois dans l’Arctique... Le bois dont vous parlez est ramassé sur les plages.
C’est exact. Le bois de dérive ou « bois flotté » constitue la principale source de bois disponible. En effet, les régions habitées par les Inuit sont pour la plupart au nord de la ligne des arbres et donc le matériau qui est utilisé n’existe pas sous sa forme « arbre ». Le paradoxe, c’est que pendant des années, les productions inuit en bois n’ont pas ou peu été étudiées par les archéologues. Or le bois couvre depuis toujours en Arctique toutes les activités humaines. Si on regarde les sites du Dorset et du Thulé et même du Paléo-Inuit ancien (pré-Dorset, saqqaq, etc) quand les conditions de préservation sont bonnes, le bois est là, tout le temps, y compris dans les zones les plus au nord et à l’est, c’est à dire les plus éloignées des fleuves qui charrient ces bois jusqu’à la mer. Certes, le bois est présent en plus ou moins grande quantité, mais certains outils et ustensiles se retrouvent partout.
Qu’en font-ils de tous ces bois ?
En Arctique occidental, le bois sert d’ossature aux maisons. Ils utilisent aussi quelques os de baleine, mais le bois prédomine. Ils font des planchers, des plates-formes, des poteaux, des murs. Le bois sert à construire les traineaux, l’ossature des bateaux (oumiaks et kayaks), deux instruments essentiels pour le chasseur et pour le transport. Le bois entre aussi dans la réalisation des armes de chasse. Le bois est indispensable du fait même de ses propriétés, légèreté, flexibilité, longueur. Il sert aussi à confectionner des récipients, des manches et les tours de tambour qu’on recouvre d’une peau d’estomac. Avec le bois, on fait encore des figurines, des masques et divers objets du quotidien et des rituels.
Dans vos travaux, vous tentez de suivre l’itinéraire des bois à partir du moment où ils tombent dans les fleuves jusqu’à leur échouage.
J’essaie, en effet, de retracer leurs parcours et de comprendre les fluctuations dans les arrivages de bois, de comprendre ce qui se passe sur le plan mécanique, les facteurs environnementaux ou climatiques qui vont faire qu’on aura plus ou moins de bois à l’arrivée et de corréler cela aux occupations humaines dans l’Arctique.
Le circuit du bois dure combien de temps ?
Cela dépend d’où il vient et où il a été trouvé. Dans l’Arctique oriental, le bois flotté est pris dans la banquise et suit les mouvements de cette dernière ; il peut y demeurer entre trois, six ans, 20 ans même.
Sait-on toujours d’où proviennent les bois ?
Non pas toujours, la dendrochronologie est la méthode la plus sure pour connaître l’origine d’un bois. L’identification de l’essence ne suffit pas à elle seule car on ne peut pas distinguer les espèces. Ainsi, l’épicéa peut venir de partout, puisque le genre Picea sp. est présent dans quasi toute la forêt sibérienne sauf dans l’extrême orient. Le mélèze vient surtout de Sibérie. Bref, c’est un peu compliqué. L’essence qui indiquerait peut-être le plus de contacts avec la Sibérie pourrait bien être le pin sylvestre, du moins quand on le trouve dans l’Arctique de l’ouest, mais je ne suis pas parvenue à le démontrer.
Et le chêne ?
On a retrouvé des fragments de chêne européen, du bois laissé par les Vikings dans les sites du sud Groenland et dans des sites plus au nord. D’après les Sagas et vérifié par l’archéologie, les scandinaves arrivent au Groenland en 980 apr. J.-C.
Les matériaux ne sont pas les seuls à circuler, les traditions orales aussi... Elles persistent d’autant plus quand les événements ont marqué les esprits, comme la disette de 1763. L’éruption du Laki en Islande a généré un nuage de poussières qui a quasiment recouvert tout le nord du globe. On retrouve la trace de cet évènement dans les cernes d’accroissement des épicéas d’Alaska. L’été a commencé normalement, mais à la mi-juillet, la neige est tombée et a recouvert le sol jusqu’à l’année suivante. Faute de nourriture, la population du nord-ouest a été largement décimée. Un autre événement est rapportée dans le nord du Groenland qui a abouti à la perte de certains savoir-faire dont la fabrication du kayak. Heureusement, des Inuit de l’île de Baffin, en scission avec leur groupe, sont partis vers le Groenland conduits par un chamane. L’archéologue missionnaire Oblat Guy Mary-Rousselière a retracé les étapes de cette dernière grande migration polaire, jusqu’aux contacts entre les Inuit de Baffin et les Inuit Polaire. Dans l’histoire culturelle de l’Arctique, on rapporte des événements extrêmes qui ont pu faire disparaître et réapparaître certaines techniques. Ce sont des choses que l’on observe en archéologie aussi.
Parlons de l’alimentation...
En temps normal, l’alimentation est principalement carnée. On mange de la viande crue, à moitié congelée. Beaucoup de viandes faisandées également. Toutes ces viandes et abats d’origine terrestre ou marine sont en général riches en vitamines A et C. S’ajoutent au menu certains éléments végétaux, des herbes et des baies, par exemple ou même des algues.
Le foie d’ours polaire est tabou...
Je ne sais pas s’il est tabou mais en tout cas il n’est pas consommé car beaucoup trop riche en vitamine A et donc toxique.
Parlons de la langue inuit...
L’inuktitut est une langue orale. Il n’y a pas d’écriture et il existe certaines différences entre l’Arctique oriental et l’Arctique occidental. Aujourd’hui, il existe trois façons de transcrire cette langue. A l’Est de l’Arctique, on utilise des caractères syllabiques, selon une méthode mise au point par un missionnaire au début du XXe siècle et qui est encore largement employée. En Arctique occidental, la langue a été transcrite en utilisant l’alphabet latin et du côté russe, on utilise l’alphabet cyrillique.
La vie sur la banquise...
On y avance quand elle se reforme en hiver, pour y étendre son espace de chasse et de pêche. Mais la banquise est traitresse. Il faut faire attention. Il y a des endroits où elle n’est pas praticable et d’autres où l’on peut s’installer de décembre jusqu’à mars/avril. Maintenant, tout dépend du lieu où l’on se trouve et du type de banquise dont on parle, car on distingue la banquise côtière ou banquise annuelle, de la banquise pluriannuelle, qui elle même contient une banquise permanente et une banquise qui craque saisonnièrement. C’est cette banquise permanente qui actuellement se réduit comme une peau de chagrin. Comme son nom l’indique, la banquise côtière est attachée à la côte. Les chenaux créés entre la banquise côtière et la banquise permanente sont ce qui intéresse tout spécialement les chasseurs qui se postent sur les bords, car c’est là que passent les baleines lors de leur migration printanière...
Il en existe de différentes espèces...
Effectivement. La baleine boréale est celle qui nage le plus doucement et donc la plus facile à chasser. Sur la côte Tchouktche, ils vont plutôt chasser la baleine grise, sur la côte alaskienne, la baleine boréale. Il y a aussi les baleines à dents du type bélouga, narval...
Vous avez trouvé les plus vieux patins de traineau d’Amérique..
C’est exact. Nous le pensons en tout cas. Ils sont datés de 400 apr. JC. Il s’agit de deux patins complets attribués à la culture Ipiutak, une culture que l’on trouve principalement dans le nord-ouest de l’Alaska. Ces patins sont très particuliers. Pas du tout typiques des patins Inuit ou Inupiaq que l’on retrouve à la période historique qui eux ressemblent à ce que l’on trouve aux Thuléens. Non ces patins Ipiutak sont monoxyles et en fait ils n’appartiennent probablement pas au même traineau ; leurs dimensions ne sont pas les mêmes. Les espaces entre les montants, façonnés à même le bois, sont différents entre les deux patins.
De quand date la technique de l’igloo ?
Igloo veut dire maison. Il est donc préférable de parler d’abri à neige. La datation directe est bien sûr impossible, mais nous retrouvons des outils utilisés pour sa construction. Je pense en particulier aux couteaux à neige pour découper les blocs et aux sondes à neige. Reste que la neige a toujours été utilisée comme isolant, y compris pour recouvrir les maisons semi-souterraines. Maintenant, à une certaine période, au Dorset, on remarque l’absence de sites d’hiver. On en déduit qu’ils pouvaient fabriquer des abris en neige. Ce qui pourrait situer l’invention de ces abris vers 500 avant J.-C.
L’Arctique génère en chacun de nous des images souvent fausses. Quelle est celle qui revient le plus souvent ?
Que tous les inuit vivent dans des igloos en neige et qu’ils distribuent très gentiment leur nourriture autour d’eux...
Parce qu’en réalité...
En réalité, les Inuit de l’Arctique occidental ont toujours vécu dans des maisons semi-souterraines en bois et en terre et ceux de l’Arctique oriental dans des maisons en os de baleine, pierre et terre. Par ailleurs, les populations sont beaucoup moins égalitaires qu’on le pense. Pour reprendre l’exemple de la zone occidentale, la chasse à la baleine a conduit à créer une structure très hiérarchique. C’est une société de chasseurs-cueilleurs complexe où certaines familles ont plus de pouvoirs que d’autres, où certains personnages, les umialik, ou chefs d’équipages de baleiniers, avaient une grande influence, un certain pouvoir et des prérogatives.
L’importance des enfants...
Les enfants se partagent facilement encore aujourd’hui. Si quelqu’un ne peut pas en avoir, l’adoption semble plus naturelle que chez nous. En même temps, dans tout ce qui est légende ou récit, il y a des histoires terribles sur les orphelins. C’est toujours plus compliqué qu’on le croit.
Retrouvez-vous des jeux, des bilboquets ?
Oui, c’est typique. On en retrouve assez anciennement dans les sites de Thulé. On découvre aussi des miniatures. Maintenant, s’agit-il de jouets ou de divinités ?
Les vendettas...
Il y a beaucoup de récits de vendetta, pour des histoires de meurtres ou de territoires. Dans certaines zones, il fallait mieux ne pas se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Et le cannibalisme ?
Il existe à travers les récits et il est très mal vu. Ceux qui étaient contraints de manger de l’homme pendant les disettes se gardaient bien d’en parler, pour ne pas être rejetés par la communauté. C’est une société dans laquelle il ne fait pas bon être délaissé.
Qu’est-ce qui distinguent les Inuit des Aléoutes ?
Les Aléoutes forment une société guerrière très hiérarchisée, avec des chefs et des esclaves. La culture matérielle est aussi différente sur le plan des armes, des harpons, de l’utilisation de flèches empoisonnées. Les Aléoutes sont de grands chasseurs de mammifères marins. Ils ne redoutent pas d’attaquer l’orque. De fait, ils sont connus pour être les meilleurs kayakeurs de l’Arctique. Le kayak de l’île de king est réputé pour la pleine mer. Avec lui, les hommes naviguent dans des eaux très dangereuses, alors que d’autres Inuit utilisent le kayak surtout en rivière ou en bordure de côte. Enfin, les langues aléoute et inuit sont aussi différentes que l’anglais de l’espagnol, même si elles appartiennent à la même famille de langue Eskimo-Aléoute.
Pour conclure, comment expliquez-vous que ces peuples soient parvenus à vivre dans des conditions aussi extrêmes ?
Je l’explique par leur faculté d’adaptation. Ils ont une culture de la flexibilité hors du commun. C’est quasiment un trait culturel. Ils sont toujours prompts à adapter leurs pratiques et à intégrer des techniques qu’ils considèrent supérieures aux leurs. En général, ils transforment, mais les techniques demeurent ou se modifient avec un gain en efficacité. Par exemple, le fusil sera très vite adopté tel quel car l’outil est plus performant dans certaines conditions. En même temps, le harpon continue à être utilisé jusqu’à aujourd’hui car il faut bien remonter l’animal pour le récupérer. Cette incroyable flexibilité explique sans doute pourquoi leur culture et leur langue sont encore aujourd’hui si vivantes.