Brigitte Faugère

Docteure en archéologie précolombienne.
Maître de conférences à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).
Enseignante-chercheure d'ArchAm (CNRS - UMR8096)

 

 

 

 

Les États mexicains constituant "l'Occidente" :
A : Nayarit
B : Jalisco
C : Colima
D : Michoacan
A l'est : l'état de Guerrero

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Scène d’enterrement. 55 personnages, un mort et un chien. Terre cuite peinte, ocre jaune, réhaussée de jaune et de blanc. Diamètre : 31 cm. Hauteur : 15 cm Photothèque A.d’Orval

Nayarit

Couple Jalisco Photo : Justin Kerr-K3285

Jalisco

 

 

 

 

Vase à goulot excentré. Terre cuite creuse à engobe beige, avec peinture rouge et bleue, soulignée de noir, façon champlevé. Photothèque A d'Orval

Michoacan

 Figurine anthropomorphe. Vêtement suggéré par les incisions. Haut : 17 cm A. d'Orval

Colima

 

 

 

 

Aztèque

 Masque en pierre grise à grain fin. H : 19,6 cm Phototèque A.d’Orval

Teotihuacan

 

 

 

 

Cette statue chupicuaro, haute de 71 cm

Chupicuaro

Zapothèque

 

 

 

 

Femme callipyge. Terre cuite pleine, gravures et peinture rouge. H : 8,3 cm A. d'Orval

Tlatilco

 Pierre vert-olive H : 32 cm A. d'Orval

Mezcala

 

 

 

 

Tripodes en terre cuite. Pieds servant de corps sonores. H : 13 cm et 19 cm A. d'Orval

Costa Rica

Personnage debout A.d'Orval

Olmèque

 

 

 

 

Grande statuette en céramique creuse. Le haut du corps est recouvert de bitume A.d'Orval

Veracruz

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

“Les huaqueros savent très bien  où chercher.  Les tombes font toujours partie  d’un cimetière.  Dès que l’une d’elles est trouvée,  les pilleurs cherchent méthodiquement  toutes les autres et arrivent à leurs fins.  Quand nous arrivons,  les sites sont absolument ravagés.  C’est Verdun.”

 

 

Des liens de l’Occident mexicain avec la Mésoamérique

 

Quelles limites géographiques fixez-vous à l’Occident mexicain ?

Selon la définition la plus souvent acceptée par les archéologues, l’Occident mexicain recouvre les États de Nayarit, Jalisco, Colima et Michoacán.

 

Le Guerrero ne fait donc pas partie de l’Occident ?

La tendance actuelle est de considérer le Guerrero comme un État de transition, entre ce qui constitue la culture de l’Occident et celle du haut plateau central, notamment au post-classique [après l’an mil de notre ère]. Effectivement, à cette période, le Guerrero constitue la zone de contact entre les Purépechas et les Mexicas [les Aztèques]. Nous pourrions d’ailleurs également évoquer le cas semblable du Guanajuato qui est à l’articulation entre la sphère occidentale et le Mexique central. Mais l’une des grandes civilisations de l’Occident, au post-classique, c’est tout de même celle des Tarasques…

 

Sait-on comment les Tarasques ont pu résister à l’assaut des Aztèques et de leurs alliés ?

Les Tarasques avaient une structure sociale axée sur la guerre, comme celle des Mexicas. Tous les hommes étaient d’excellents guerriers. Nous avons désormais des données archéologiques, qui recoupent d’ailleurs assez bien les Chroniques, sur la formation de l’entité tarasque ou plus exactement du royaume tarasque. Car c’est bien un royaume. Sa genèse est l’aboutissement de plusieurs vagues de migration de colons, animés par une mystique militariste. Les Tarasques trouvent leur origine dans les migrations proto-toltèques, c'est-à-dire qui débutent vers 800 apr. J.-C.  De la même façon que le bassin de Mexico recevra plus tard les migrations toltèques, puis aztèques.

 

D’où viennent ces vagues de migration ?

Elles se succèdent sur plusieurs siècles et sont le fait d’agriculteurs implantés dans le nord du Mexique, autour de 600 - 700 après J.-C. Il s’agit de populations post-teotihuacán contraintes de migrer vers le sud, sans doute en raison de longs cycles de sécheresse.

 

Reste-t-il quelque influence de Teotihuacan dans l’architecture tarasque ?

Non, en revanche à Ihuatzio, l’on peut voir deux pyramides jumelles comme chez les Aztèques. Sinon, l’architecture tarasque se distingue, comme à Tzintzuntzán, par des pyramides ayant la forme d’une serrure de porte, avec une partie rectangulaire sur laquelle est accolée une structure circulaire. C’est très particulier.

 

Que sait-on aujourd’hui des contacts anciens entre l’Occident mexicain et les grandes civilisations voisines de Mésoamérique ?

 Cette question rejoint mes travaux qui portent désormais sur le préclassique récent [à partir de 600 ou 500 av. J.-C] et  la culture chupicuaro. Une culture fondamentale,  profondément occidentale, et qui va faire la transition - de par sa position géographique - entre l’Ouest mexicain et le haut plateau central. De fait, Chupicuaro est à la charnière entre deux sphères culturelles qui se sont développées du préclassique ancien [avant 1000 ans av J.-C] jusqu’au début de notre ère, au moment où Teotihuacan prend son essor. Ces deux sphères fonctionnent de façon assez hermétique, l’une par rapport à l’autre. La première, sous influence olmèque, partage un certain nombre de caractéristiques culturelles avec les peuples de l’Oaxaca (qui s’appelleront plus tard les Zapotèques), et ceux du haut plateau central, du Guerrero et du Veracruz. La seconde sphère, occidentale, se définit par des traits bien spécifiques : les tombes à puits et des caractéristiques céramiques, dont les vases à anse en étrier. Le fait est que cette sphère occidentale a toujours été considérée comme marginale par rapport à la Mésoamérique. Or, elle est complètement mésoaméricaine. Et puis, nous avons des preuves aujourd’hui que ces deux univers se sont rencontrés.  À travers une frange d’échanges où l’on va trouver dans les mêmes sites, et quelquefois dans les mêmes tombes, des objets des deux sphères. Objets qui, d’ailleurs, n’avaient certainement pas les mêmes valeurs symboliques.

 

Géographiquement, comment délimitez-vous cette zone de contact ?

Elle compterait le bassin de Mexico, avec des sites comme Tlatilco, Tlapacoya et Cuicuilco pour le préclassique récent, mais aussi le Morelos où l’on trouve des sites olmèques monumentaux et le nord du Guerrero qui se situe sur une zone de frontière. Ensuite, il y a certainement des contacts sur la côte du Guerrero jusqu’au Chiapas et de là avec l’Amérique centrale.

 

…Et avec l’Amérique du Sud ?

C’est un tout autre sujet. Jusqu’à présent nous n’avons pas pu étudier ces échanges de façon rationnelle. Car les données ne sont pas fiables sur le plan chronologique. Pour établir la preuve de ces relations, il nous manque des informations bien datées. La seule donnée, réellement objective résulte des travaux de Dorothy Hosler qui portent sur l’introduction de la métallurgie au 8e ou 9e siècle de notre ère.
Là, les contacts sont prouvés. On a démontré, par des études technologiques portant sur la composition chimique, que certains objets métalliques n’étaient pas mésoaméricains, mais originaires du Pérou, en raison des techniques et des alliages utilisés. L’introduction de la métallurgie en Mésoamérique est liée à ces contacts, mais ces derniers ont-ils été directs ? Les objets ont très bien pu voyager tout au long de l’Amérique centrale. Pour ce qui concerne la sculpture, par exemple, nous relevons qu’il y a eu des influences, peut-être purement stylistiques, avec le Chiapas, le Costa Rica et le Panama notamment. Mais nul ne peut affirmer qu’il existait un réseau d’échange organisé, avec des commerçants qui partaient du Jalisco et qui longeait la côte jusqu’au Pérou. En revanche, il y avait probablement des intermédiaires. Cela fait partie de nos interrogations.

 

Vous parliez de frange allant jusqu’au Chiapas, c’est assez éloigné de l’Occident tel que nous l’avons défini d’entrée ?

Effectivement, mais le Chiapas est au cœur de tellement d’interrogations actuellement. On y a trouvé des établissements très anciens sur la côte, chez les Mixezoque. Il apparaît qu’ils pourraient bien être les ancêtres des Olmèques. Les études sont en cours…

 

Revenons au préclassique, à Chupicuaro.  En sait-on plus aujourd’hui sur ces populations qui vivaient, semble-t-il, toujours au bord de l’eau…

Effectivement, les sites chupicuaro* se trouvent - comme la plupart des sites mésoaméricains de cette époque – près d’une rivière ou au bord d’un lac. Nous sommes là, au préclassique, à un moment où les agriculteurs ont perfectionné leurs techniques. Dans une région où il ne pleut pas pendant de longs mois. Et donc, ces populations installées à proximité de l’eau pratiquent l’arrosage, ne serait-ce que le plus simple, aux pieds des plantes. Mais en plus du maïs, des haricots et des courges, elles profitent des ressources permanentes des rivières et des lacs. Ainsi, les menus se composent aussi de poissons, d’oiseaux migrateurs, d’insectes, d’œufs, de batraciens. Autant de sources de protéine.

 

Vous définissez Chupicuaro comme « profondément occidental ». Est-ce à dire que l’on y a trouvé des tombes à puits ?

C’est une des découvertes de notre projet**. Lors des fouilles de sauvetage menées dans les années 40, juste avant l’inondation de la vallée, aucune tombe à puits n’avait été repérée parmi les 396 sépultures étudiées. Dans nos fouilles, nous avons découvert des tombes à puits. Nous pouvons donc affirmer désormais que Chupicuaro se rattache à la sphère occidentale.

 

Comment se présentent les tombes ?

Le puits est vertical avec une ou deux marches qui font face à la chambre funéraire. Mais il n’y a pas de dalle et la structure est moins monumentale qu’en Occident où l’on trouve des puits atteignant parfois jusqu’à 16 mètres de profondeur. Il s’agit de tombes individuelles. Malheureusement, trop les sépultures ont été pillées dans l’Occident. Nous pensons cependant qu’elles étaient destinées à des lignages dominants.

 

Avez-vous trouvé des traces de sacrifices humains ?

Muriel Porter — qui a travaillé sur Chupicuaro à la suite des travaux des années 40 — a parlé de rites de décapitation. Parce qu’il y a des têtes isolées. Nous n’en avons pas trouvé lors de nos fouilles. Mais les remaniements d’ossements étaient pratiqués. Dans nos vestiges, nous avons la preuve qu’ils allaient récupérer des fragments de squelettes. Nous avons trouvé le bras isolé d’un défunt placé sous une marche. Tous les autres ossements avaient disparu. Peut-être les récupéraient-ils une fois le corps décomposé pour en faire autre chose ?

 

Dans les tombes à puits, un conduit était aménagé pour permettre au défunt de « communiquer » avec le monde extérieur. La présence de ce conduit ne facilite-t-elle pas le repérage et le pillage des sépultures ?

 La présence de ce conduit n’est pas systématique. Mais même lorsqu’il existe, n’allez pas imaginer qu’il facilite le repérage. Les huaqueros savent très bien où chercher. Les tombes sont en général regroupées en cimetière. Dès que l’une d’elles est trouvée, les pilleurs cherchent méthodiquement toutes les autres et arrivent à leurs fins. Quand nous arrivons,  les sites sont absolument ravagés. C’est Verdun, avec des trous béants partout. D’autant plus que les huaqueros creusent non seulement des trous successifs, mais aussi des tunnels. C’est pourquoi nous n’encourageons pas la vente d’objets illégaux. Le fait d’acheter alimente le trafic. Les gens pillent parce que ces objets ont de la valeur sur le marché de l’art. Au Mexique, ce sont de puissants cartels, avec de gros moyens — parfois des bulldozers —, qui s’attaquent aux sites archéologiques. Ces organisations sont éminemment liées aux trafics en tous genres. Le plus souvent, les objets sortent avec la drogue…

 

Dans le même temps, ces collections privées intéressent les chercheurs…

Bien sûr, parce qu’en fouille nous trouvons toujours ou presque des pièces fragmentées. Avoir l’occasion de voir et de photographier des objets entiers facilite ensuite l’interprétation. Mais encore faut-il que toutes ces pièces soient achetées légalement.

 

Vous parlez d’objets fragmentés. Le sont-ils à cause des tremblements de terre ?L’Occident est une région très sismique, au bord de l’axe néo-volcanique. Donc, ça bouge beaucoup. Les grandes statuettes creuses sont les plus touchées. C’est moins vrai pour les petites figurines. Des ouvriers, avec lesquels nous travaillons — et qui sont d’anciens pilleurs —, nous ont raconté qu’ils ont parfois trouvé, dans des sépultures, des récipients remplis de figurines entières. Sur les 840 collectées dans le cadre de nos missions, seule une petite partie est intacte. Il est vrai que nous fouillons essentiellement des contextes d’habitation, des structures d’occupation.

 

Peut-être ont-elles été cassées rituellement ?

C’est possible, mais nous ne pouvons pas du tout argumenter pour le moment.

 

Comment expliquez-vous l’existence simultanée de grandes statuettes creuses et, parallèlement, de petites figurines pleines ?

 D’après ce que nous savons aujourd’hui,  les statuettes creuses sont des objets funéraires, conçus et fabriqués pour accompagner les morts.
Pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas trouvé une seule statuette dans les dix-sept sépultures fouillées à Chupicuaro. Celles collectées, des figurines de petite taille, sont liées à des rites d’ordre domestique. Elles font partie de la vie des familles. On les retrouve cassées dans les poubelles ou enfouies dans les sols d’habitation

 

Recouvertes d’oxyde de manganèse…

Ces petites figurines étaient peintes. En noir, en rouge, en blanc.  Malheureusement, il reste très peu de traces. Quant à l’oxyde de manganèse auquel vous faites allusion, il est loin d’être une garantie d’authenticité ! Des chercheurs américains et mexicains se sont aperçus que, sur les pièces retrouvées dans les tombes à puits, le fameux noir est le fait des insectes et tout spécialement des mouches nécrophages entrées dans la tombe au moment de l’enterrement. Une fois la tombe refermée, ces mouches se sont multipliées, puis elles sont mortes et avec elles leurs œufs et larves. Ce sont toutes les traces laissées par ces insectes que l’on retrouve sur les objets funéraires authentiques…

 

Excluez-vous définitivement Mezcala de la sphère occidentale ?

Absolument. Mais je me reconnais volontiers comme « occident-occident » ! Avec Mezcala, nous sommes sur une zone frontière, au nord de l’État de Guerrero. Par ailleurs, nous avons maintenant des objets en contextes datés, de la fin du préclassique [autour de 100 av. J.-C]. Alors que la définition de l’entité occidentale considère le préclassique au sens large. C’est aussi sans compter avec l’émergence de Teotihuacan et tout autant sa chute qui vont s’accompagner de grands mouvements de population. Des collègues qui travaillent dans cette énorme capitale ont trouvé les traces de populations occidentales, voisines de celles de zapotèques et de Mayas, dans les quartiers étrangers de la cité.

 

Que faisaient ces populations occidentales à Teotihuacan ?

Les maîtres d’œuvre de la cité avaient d’énormes besoins en matières premières. Nos collègues pensent qu’ils étaient intéressés par le bois et par les pigments de l’Occident et notamment du Michoacan. Il faut imaginer que toute la ville était peinte.

 

Terminons par quelques objets caractéristiques de l’Occident. Du rôle psychopompe du chien Colima, par exemple. Qu’en pensez-vous ?

 C’est attesté dans plusieurs civilisations mésoaméricaines. Le chien sert à la fois de bien de consommation alimentaire et de « passeur » dans l’inframonde.

 

Les archéologues s’intéressent-ils aux maquettes nayarit ?

Certainement. Il y a des parallèles entre les maquettes et les structures architecturales que nous fouillons aujourd’hui. Sauf que la maquette donne l’élévation, la forme du toit…  Le fait est que le plan au sol ressemble beaucoup à ce qui est représenté dans les maquettes. Nous considérons donc qu’elles sont fiables.

 

Au-delà du style, quelles informations tirez-vous de la représentation des personnages jalisco ?

La déformation crânienne existait chez ces populations. Ce n’est pas systématique, mais très fréquent. Cette caractéristique est accentuée sur la céramique qui, bien sûr, n’est pas strictement de la représentation figurative. C’est stylisé et du coup, la déformation crânienne devient une des caractéristiques du style.

 

Quel conseil donnez-vous aux collectionneurs d’objets précolombiens ?

Qu’ils veillent surtout à n’acheter que des pièces légales. Sinon, c’est subventionner le grand banditisme. Les particuliers doivent savoir que les autorités des pays d’Amérique latine sont susceptibles de saisir les objets lors d’une vente ou d’une revente. Sur ce plan, les responsables mexicains sont de plus en plus fermes et cherchent à connaître l’origine des pièces achetées. Car il faut absolument décourager le pillage.

 

Propos recueillis en 2008

* Plus de 100 sites sont recensés.

** Ce projet vise à étendre les recherches à l’échelon régional, après les fouilles de sauvetage entreprises en 1946. En concertation avec l’Institut National d’Antropologie et d’Histoire (INAH) du Mexique, le projet Chuipicuaro associe le Centre d’études mexicaines et centre-américaines (CEMCA) et l’UMR 8096 « Archéologie des Amériques » du Centre national de recherches scientifiques (CNRS).