Vanessa Tinteroff Gil

 

Docteur en archéologie de l’Université Paris Sorbonne (Paris IV)

 

 

Paracas

Nazca

Petit bol Paracas à l'image d'un scolopendre. © CGB

Îles Balestas. Le courant froid de Humbolt explique la présence des otaries et des lions de mer sur la côte sud du Pérou. © CLBR

Aujourd'hui comme hier, un sol propice à l'agriculture et dependant... © CLBR

Bols et vase Nazca. la présence de têtes trophées (à droite) est fréquente sur les céramiques. © photothèque A. d'Orval

Ce motif “proliférant”, de fin de période nazca, est éloigné sur le plan du dessin de la phase initiale caractérisée par son naturalisme (colibris, poissons...) © Photo CR

Grande pyramide de Cahuachi, vallée de Nazca. © Photos Tambopampa

© Tambopampa

© Tambopampa

Après le passage des pilleurs. © Tambopampa

http://www.tambopampa.com/francais/francais.html

Les Nazca ont succédé aux Paracas. C’est du moins ce que l’on peut lire habituellement à propos des populations précolombiennes de la côte sud du Pérou. Comment s’est effectuée cette transition ?

Ce schéma chronologique est relativement ancien puisqu’il a été proposé au cours des années 1925 - 1970. C’est à partir des études des poteries que les archéologues avaient reconnu une transition stylistique et culturelle de Paracas à Nazca, souvent sans preuves archéologiques. Depuis, les recherches de terrain et de nouvelles méthodologies ont remis en cause la théorie d’une simple transition de la culture Paracas à Nazca. Aujourd’hui, la question des liens chronologiques, culturels et géographiques entre ce que les archéologues appellent « Paracas » et « Nazca » est un véritable sujet d’actualité.

 

 

Qu’est-ce qui caractérise ces deux cultures ?

Les archéologues tiennent compte essentiellement des registres céramique et textile. Beaucoup moins de l’architecture, des coutumes funéraires et d’autres traditions culturelles, même si les récentes recherches tendent à inverser la tendance. Sur le plan céramique, les choses sont claires. Le style Paracas est caractérisé par des céramiques incisées et peintes après cuisson. Tandis que le style Nazca est illustré par des poteries polychromes peintes avant cuisson. L’iconographie est aussi différente malgré certains éléments partagés. Quant aux textiles, le débat est des plus animés. Julio César Tello avait nommé Paracas-Necrópolis les vestiges mis au jour dans la péninsule de Paracas pour les distinguer de ceux qu’il appelait Paracas-Cavernas. Or, les tissus de Necrópolis présentent, d’un point de vue iconographie notamment, de telles similitudes avec les poteries nazcas, que de nombreuses questions peuvent être soulevées. Par exemple : ces tissus n’ont-ils pas été confectionnés par les mêmes populations que celles qui ont manufacturé les poteries nazcas ? Et dans ce cas, les différences entre les deux supports ne sont-elles pas chronologiques, plutôt que culturelles ?

 

Et Ocucaje ?

Ocucaje est le nom d’un bassin de la vallée d’Ica. Dans les années 50, des chercheurs de l’Université de Californie de Berkeley ont étudié les poteries qui provenaient des sites de cette région à partir desquelles ils ont établi une séquence des poteries paracas.  L’appellation « Ocucaje » lui a été donnée par ces chercheurs afin de la distinguer de la séquence de Tello. Les huit premières phases de la séquence présentent des caractéristiques chavín, surtout dans le registre iconographique, tandis que les deux dernières, contemporaines de celles que Tello avait appelées « Cavernas » et « Necrópolis », entrent dans la période que les archéologues appellent traditionnellement « la période de transition » à laquelle doit aussi être ajoutée la phase dite « nazca 1 » et les phases reconnues de la culture Topará.

 

Comment se manifeste Chavín sur la côte sud ?

Sur les céramiques, on retrouve notamment une iconographie directement inspirée de chavín et très similaire par la présence, notamment, du félin avec des crocs. En revanche, les contextes n’ont pas, à l’heure actuelle, révélé de sculptures similaires à celles de Chavín de Huántar ou une architecture publique apparentée. Selon les datations au carbone 14 les plus récentes, cette période où l’impact chavín est visible sur la côte sud se situe entre 850 et 200 avant J.-C., soit avant les sépultures des Cavernas et de Necrópolis dans la péninsule. Des textiles peints de motifs chavín ont aussi été trouvés dans les tombes sur la côte sud, ce qui tend à démontrer encore l’intégration, par les populations de cette côte, du culte chavín. Le problème, c’est que la plupart de ces tissus proviennent de pillages et l’on ignore ainsi tout de leur contexte d’enfouissement et de leurs associations avec d’autres matériels, comme les poteries.

 

Sait-on au moins d’où viennent ces tissus peints ?

La plupart sont dits provenir de Carhua, un grand cimetière situé sur la côte, juste au sud de la péninsule de Paracas.

 

Les textiles peints dont vous parlez sont antérieurs aux tissus brodés…

 Oui, l’iconographie nous induit à reconnaître leur antériorité.

 

Comment se présentent les tout premiers tissus ?

Les premiers tissus —  beaucoup plus anciens que la céramique au Pérou — sont décorés selon les techniques structurales. Ce sont essentiellement des gazes. Il faut avoir en tête que toutes les techniques textiles ont été inventées, expérimentées, bien avant l’époque dite de transition Paracas-Nazca. Ensuite, c’est une question de préférence. Certaines cultures ont privilégié telle ou telle technique de décoration, sans doute en fonction des structures sociopolitiques et culturelles. Malgré toute l’attention portée aux céramiques, la compréhension de la société préhispanique passe aussi par le tissu. Par exemple, les textiles peints chavín, comme d’autres chercheurs l’ont dit, ont pu servir à diffuser ce culte…

 

Sait-on le pourquoi de ces tissus peints ?

Comparé à la pierre ou à la céramique, le tissu est le produit mobile par excellence puisqu’on le transporte  aisément et qu’on le porte sur soi.  Autre avan- tage : il permet de véhiculer toute une iconographie.  Il n’est qu’à voir  aujour- d’hui dans les Andes comment il sert à distinguer, par des motifs très codifiés codifiés, l’appartenance  à  un  groupe  en  particulier.  Au  temps  des  Incas, les tissus étaient investis d’une valeur particulière. Ils  ne  servaien t pas qu’à s’habiller, mais constituaient une part importante du tribut qu’on réclamait aux vaincus. Compte tenu de l’importance du tissage à cette époque, il  est diffici- le d’expliquer le rôle des tissus peints. Je pense qu’ils ont été utilisés comme outils  de  « propagande »,  comme  moyen  simple  et  rapide  de diffuser un culte.  Il  est  plus  rapide  de  peindre  un motif sur tissu que de le tisser. Les tissus peints devaient  aussi être utilisés lorsque, pour asseoir leurs pouvoirs, les dirigeants préféraient que les énergies soient  concentré  concentrées sur autre chose que le tissage, par exemple la construction d’édifices.

 

Les tissus peints vecteurs de la religion…

Les  archéologues  qui  travaillent  sur la période préhispanique n’aiment pas employer le terme de religion. Ils préfèrent utiliser celui de culte. Parce que le terme de religion a tellement de poids chez nous. C’est un problème termino- ogique…

 

Un culte commun en l’occurrence…

Tello,  le  premier, a  développé  l’idée que toutes les civilisations préhispani- ques du Pérou avaient un fonds général commun. A l’origine, il y avait selon Tello la civilisation « matrice » de Chavín.  On sait depuis qu’il existait, bien avant Chavín, de « grandes civilisations »…

 

De « grandes civilisations », lesquelles ?

Notamment celle dont le site de Caral, avec ses nombreux temples construits il y a environ 5000 ans, est le témoignage.

 

Et sur la côte sud ?

Nous n’avons pas découvert d’établissements de ce type avant la période dite de « transition » Paracas-Nazca.

 

Dans quel domaine vous êtes-vous particulièrement investie ?

J’ai  beaucoup  travaillé  sur les tissus de Necropolis, le deuxième  cimetière découvert par Tello à Paracas. Ici, les paquets funéraires  ont  été  retrouvés dans d’anciennes maisons à des profondeurs de 2,50 à 4 mètres.  On  parle de maisons, a priori souterraines, parce qu’elles se trouvent  sous  le  niveau du sable. Mais il s’agit peut-être de silos ou d’abris temporaires.  C’est  cette découverte  qui  a  généré  la problématique de la transition  Paracas-Nazca. Parce qu’on y trouve réunis dans un même paquet funéraire —  ce que  nous appelons les fardos —  des tissus aux iconographies et techniques des deux cultures.  Donc, il y a un grand débat, depuis maintenant un siècle quasiment  quasiment - autour de cette question : qui  étaient  ces gens ?   Étaient-ils de culture Paracas ou Nazca ? Parce qu’on retrouve dans les mêmes tombes les deux types de textiles !

 

Comment se présentent ces « paquets funéraires » ?

Ils contiennent un mort en position fœtale assise enveloppé dans des tissus et avec des offrandes diverses. Certains paquets mesurent 1,20 m  de haut. La plupart de ces fardos sont individuels, mais y on trouve parfois deux per- sonnes. Pas forcément un adulte et un enfant, mais cela peut arriver.

 

Comment définiriez-vous, en quelques mots, l’iconographie des tissus paracas ?

Les   tissus   Paracas  se  distinguent essentiellement par un style linéaire  et géométrique.  En  comparaison,  le  style nazca est plus « naturaliste »,  avec beaucoup   de   courbes, spécialement   dans ses premières phases, à savoir jusqu’au troisième siècle de notre ère.  Le  style  Paracas est donc, comme je l’ai  dit, assez  géométrique, avec  des  figures  de  serpents, des contours en dents de scie, des enchevêtrements…

 

Qu’on ne retrouve pas sur les tissus nazca…

Les tissus dits Nazca présentent une iconographie différente, avec beaucoup plus de personnages. Une grande diversité de décors, des êtres composites anthropozoomorphes qui portent parfois des ailes ou des pieds en forme de pattes  de  rapace. Ou  bien  anthropomorphes  avec des masques  buccaux, des  boucles  d’oreille,  un  pagne, une tunique,  des  diadèmes en or…  Ces personnages  que  l’on dit  mythologiques ont des espèces d’appendices qui sortent de la tête, des pieds et des hanches. Des extensions en forme de serpent.

 

Ce sont des êtres imaginaires…

On ne sait pas s’il s’agit de divinités ou d’humains déguisés. Des chercheurs émettent l’idée que ce sont des chamanes. Pour  en  être  certain,  il faudrait qu’on retrouve les costumes. Au-delà des manteaux de plumes ou des peaux de renards portés en coiffe qui ont déjà été exhumés.

 

Vous ne parlez pas des têtes coupées…

Vous avez raison. Elles commencent à apparaître sur la céramique Paracas, à  partir  de Ocucaje  8 et 9. Et aussi, un peu, sur  les  textiles, mais le grand développement va de pair avec les textiles de Necrópolis, dits nazca.

 

…dits nazcas ?

Oui, pour ma part, j’attribue les tissus de style « en aires de couleurs »** de ce site aux populations de culture nazca.

 

Ils datent de quelle période ?

Là aussi il y a de grands débats. En chronologie, il  est  difficile  de se mettre d’accord. Ces divergences viennent du fait que les datations radiophysiques, tel le carbone 14, demeurent imprécises et que nous  n’avons pas  assez  de datations pour mieux établir la fourchette chronologique. Toutefois, à partir de ce que j’ai pu analyser personnellement, je situe les tissus nazcas de Necrópolis entre 100 avant et 100 après Jésus-Christ.

 

Bref, les scientifiques ne comprennent pas pourquoi ces deux types de tissus et ces deux iconographies se trouvent sur le même site ?

Oui, pourquoi ils sont ensemble, étant donné leurs différences stylistiques. La question est donc de savoir, notamment, si ces tissus ont été produits par les mêmes   communautés   culturelles   ou   par   des  communautés  culturelles distinctes à des époques différentes ou bien à la même époque.

 

Des tissus ont été enterrés, puis les générations suivantes en ont ajouté d’autres, tout simplement…

C’est  une  théorie  qui a déjà été développée. Tello, en particulier, lorsqu’il  a découvert ces ces fardos, a supposé qu’il s’agissait de contextes funéraires ouverts. C’est-à-dire que, sur une assez longue durée, les générations suivantes allaient déposer dans les tombes de nouveaux tissus.  Mais cela pose un « petit problème », parce que ces tissus sont placés n’importe où dans le fardo. Ils n’ont pas été rajoutés par-dessus les précédents. Cela voudrait dire que les tissus ont tous été enlevés avant d’être replacés à l’intérieur de la tombe, dans un nouvel ordre ou un désordre qui nous échappe.  Ce qui pose aussi question, c’est le nombre de tissus inachevés dans les paquets funéraires de Necrópolis. Cela pourrait vouloir signifier que les tissus en cours d’exécution du vivant d’une personne, ceux qui lui étaient en quelque sorte attribués, étaient mis dans sa tombe quand elle mourrait.

 

On n’attendait donc pas que les tissus soient terminés…

Dans certains cas, oui. Et cela va contre l’idée que les paquets funéraires étaient alimentés sur des années. Parce que sinon, on aurait attendu de finir ce tissu, puis on aurait ensuite rouvert la tombe pour l’y déposer. Cela fait l’objet d’un grand débat actuellement. D’autant qu’une tombe peut très bien avoir été « alimentée » dans le temps. Avec des tissus très anciens, disons Paracas, qu’on conservait dans la famille et qu’on a déposé dans la tombe à un moment donné, pour honorer , par exemple, une personne considérée comme particulièrement importante. Le problème est que nous manquons de textiles de ce type dans d’autres contextes archéologiques de la côte sud.

 

À cause du pillage…

Non, mais parce qu’il n’y a pas eu autant de fouilles archéologiques que cela sur la côte sud pour la période de transition. On a surtout des collections de surface. Mais, plusieurs chantiers archéologiques en cours sur la côte sud remédient déjà à ces problèmes.

 

En quoi sont faits tous ces tissus ?

La base est souvent en coton. Les broderies de l’époque de transition Paracas-Nazca montrent le développement de l’usage de la laine. Et voilà encore un sujet de débat : d’où venait cette laine ? Les lamas et alpagas sont adaptés à la cordillère, à la sierra. Le fait est qu’on n’en trouve pas sur les côtes aujourd’hui. Alors est-ce qu’ils ont pu, malgré tout, être élevés en bordure de mer*** ? Sinon de quelles régions venait cette laine ? Et qui la produisait ? Il est important de le savoir, parce qu’on enregistre, à cette époque, une explosion dans l’usage de la laine de camélidés.

 

Y avait-il une grosse production de coton ?

Incontestablement. Comme c’est encore le cas aujourd’hui. C’est une des cultures agricoles les plus développées de la côte.

 

Est-ce qu’ils utilisaient déjà les canaux d’irrigation ? 

Il y a très peu de preuves pour la période de « transition » Paracas-Nazca ou début Nazca. Les fameux puquios - ces larges puits circulaires encore utilisés au sortir de la ville de Nazca - sont datés par certains archéologues de la phase 4 ou 5 de Nazca, après la période faste de Cahuachi…

 

À propos de Cahuachi, sait-on pourquoi le site été entièrement recouvert par les Nazcas ?

Pour le protéger probablement. Si vous acceptez la théorie selon laquelle un événement climatique majeur a frappé Cahuachi, dont Giuseppe Orefici a retrouvé les indices. Si vous êtes d’accord avec l’idée que cet « El Niño », probablement sans précédent (pour les Nazcas en tout cas) a sans doute mis fin à une longue période faste sur le plan agricole. Si, par ailleurs, vous êtes prêt à croire que l’élevage des camélidés se faisait effectivement sur les côtes et que les Nazca vivaient une sorte de boom économique qui avait conduit au développement de Cahuachi, avec l’édification de monuments, une très forte ritualisation de la société, des cérémonies perpétuelles… alors, vous comprenez que cette catastrophe ait pu détruire, au-delà des champs cultivés, tout un univers culturel et religieux. La société ne fonctionnait plus. Enfin, si vous admettez que les Nazca vivaient dans une société extrêmement ritualisée, il est facile de comprendre que l’ordre était essentiel pour eux. Au point qu’ils ont dépensé toute cette énergie pour recouvrir entièrement leur site sacré. C’est un travail inimaginable et gigantesque.

 

Le site est immense…

Il devait l’être, car aujourd’hui une bonne partie est recouverte par des champs. De fait, c’est tellement grand qu’on ne connaît pas précisément la surface du site, ni sa nature exacte. Là encore, il y a débat : les occupants vivaient-ils là ou non ? Jusqu’à présent les fouilles archéologiques se sont essentiellement concentrées sur les tombes et des petites parties de la zone monumentale. Là où se trouvent la grande pyramide, le grand temple, les monticules 1 et 2. A des endroits où il y a peu de chances de retrouver des habitations. Le débat n’est pas prêt d’être clos, car Guiseppe Orefici qui développe à Cahuachi une mission archéologique depuis 1984, concentre tous ses efforts sur ce site.

 

Ces peuples pratiquaient-ils la déformation crânienne…

Oui, mais c’est encore un autre débat, Il y a deux types de déformation principaux au Pérou.  D’un côté, il y a la pratique qui consiste à poser deux planches - une devant sur le front, une autre derrière au-dessus de la nuque - reliées entre elles par des cordages. Ce qui donne, à force de serrer, un crâne élargi… Autre technique : celle des bandages que l’on sert vers le haut. Tellement que le crâne finit par prendre une forme d’œuf… Mais là aussi, c’est un domaine où il y a vraiment matière à recherche … la nécessité d’étudier de manière plus systématique ces têtes déformées, de les classifier, etc.

 

J’ai lu que ces pratiques pouvaient faciliter le portage des charges…

Ah celle-là je ne l’avais jamais entendue ! Je ne crois pas…

 

Cette pratique était-elle réservée, comme on peut le lire aussi, aux élites nazcas ?

Le  problème  lié  à  ces  déformations  crâniennes, c’est  que  malgré  les centaines et centaines de tombes qui ont été fouillées, nous ne disposons d’aucune étude exhaustive et quantitative.  Pour prouver que ce rite était réservé aux élites, il faudrait qu’il y ait une proportion importante de crânes non déformés. Mais aussi que les gens qui ont les crânes déformés se distinguent suffisamment des autres dans le rituel funéraire. Des investigations ont sans doute été menées dans les musées. Les données existent certainement, mais elles ne sont pas analysées. En tout cas, si le travail a été réalisé, il n’a fait l’objet jusqu’ici d’aucune publication. C’est dommage, car le sujet m’intéresse particulièrement.  À   l’égal   des  tatouages, mentionnés  par  Tello  sur  certains individus de la péninsule de Paracas et qui rejoignent à leur façon les déformations crâniennes. Eux aussi, selon moi, constituent des marquages d’appartenance à un groupe culturel spécifique…

 

Les momies…

Attention au terme de momie qui peut porter à confusion ! Parce que là aussi, jusqu’à présent, aucune étude n’a été publiée pour dire si vraiment ces individus ont été momifiés artificiellement ou naturellement. Seul fait certain : le désert est extrêmement favorable à la momification naturelle. Tello a parlé d’incisions qui auraient permis de retirer les viscères*** et de couches d’une sorte de bitume pour conserver les corps. Mais ses descriptions sont assez sommaires et il est difficile de généraliser.

 

À vous entendre, il y a décidément beaucoup d’incertitudes…

Et comment ne pourrait-il pas y en avoir ! Nous-mêmes sommes incapables de définir avec précision dans quelle société nous vivons, ce que nous faisons, ce que nous pensons, ce en quoi nous croyons réellement… Alors, comment parler de certitude à propos d’une époque passée, aussi lointaine en l’occurrence. L’important aujourd’hui, c’est de travailler sur les données et d’aider à la préservation des sites.

 

Menacés par le pillage…

Malheureusement oui. Il faut faire le maximum pour sauver du pillage les vestiges archéologiques du Pérou. Un objet par lui-même n’a pas d’intérêt. Pour un archéologue - comme pour n’importe qui - ce qui est intéressant dans tous ces objets, c’est ce qu’ils nous racontent sur les populations anciennes, ce qu’ils nous permettent de reconstruire du passé, des racines d’un pays. Or il faut compter avec le  tourisme destructeur…

 

Tout de même, les huaqueros ne se recrutent pas parmi les touristes

Les populations n’ont pas d’argent. Et donc quand un collectionneur étranger, ou même local ou national, vient proposer quelques nuevos soles pour aller piller une tombe, les hommes y vont, souvent au risque de leur vie quand ils creusent très profondément. Il faut arriver à faire que les populations participent à l’archéologie, qu’elles prennent conscience qu’en réalité, elles agissent contre elles-mêmes en détruisant des pans entiers de leur histoire. Et ce, pour répondre à je ne sais quelle demande…

 

Que peut-on faire ?

Personnellement, je développe un projet de tourisme à cheval dans la région de Nazca. Nous allons dans des lieux isolés, hors des sentiers battus. Là, vous vous rendez compte des dommages immenses causés par les pillages. Car à cheval, vous accédez à des zones réellement au milieu de rien et cependant, même là, c’est impressionnant, car vous voyez des crânes et des os partout…

 

Comme au cimetière de Chauchilla…

Ce cimetière est souvent cité, mais il n’est qu’un exemple parmi des centaines d’autres ! Car les huaqueros pillent absolument partout. J’ai eu l’occasion de parler avec certains. La plupart ont un métier, mais ils n’arrivent pas à en vivre. Alors, ils pillent des tombes, parfois sur leur propre terre. Pour eux, le calcul est vite fait. Là où la mission archéologique les paie 10 nuevos soles la journée, le commanditaire d’une excavation clandestine leur donne 30 nuevos soles de l’heure. Le problème est donc à la fois économique et politique. En tout cas, à mon avis, la solution n’est pas de coller des amendes, voire d’emprisonner les populations locales. D’autant plus qu’elles sont toujours davantage punies que les commanditaires…

 

Que faut-il blâmer le plus : les collectionneurs ou les touristes ?

Les deux. Les touristes ne doivent plus collecter les objets archéologiques qui gisent sur le sol, comme ils le font aujourd’hui, souvent parce qu’ils n’ont pas conscience de l’impact d’un tel geste. J’ai voyagé au Pérou avec des amis qui ne sont pas archéologues. Là où nous allions, il y avait souvent des objets visibles, à peine enfouis. Que faisaient-ils d’après vous ? Ils les ramassaient. Je leur ai expliqué qu’il ne fallait pas. Si dans dix ans un archéologue vient fouiller à cet endroit, cette pièce manquera à la compréhension du site. Il importe donc de sensibiliser les voyageurs. Comme j’ai l’intention de le faire avec celles et ceux qui m’accompagneront dans ces randonnées à cheval…

 

Les sensibiliser…

Oui, pour qu’ils ne se servent plus en chemin et qu’ils n’achètent plus d’objets archéologiques dans les arrières-boutiques. Je parle de certains magasins où, dès que vous faites mine de vous intéresser à tel ou tel objet, l’on vous conduit discrètement dans une pièce à l’abri des regards. J’en sais quelque chose, un commerçant m’y a proposé un magnifique tissu Paracas pour 500 dollars. Inutile de dire que j’ai décliné l’offre !

 

Parlez-nous plus avant de votre projet…

Il s’inscrit dans le cadre d’un tourisme solidaire développé grâce à l’aide du Défi Jeune du Ministère de la Jeunesse et des Sports dont j’ai obtenu le prix. Depuis, j’ai créé au Pérou, avec deux éleveurs de chevaux de Paso, une race purement péruvienne, notre agence appelée Tambopampa. L’objectif est de réunir des groupes et de leur faire découvrir une facette méconnue du pays. Pas seulement les sites archéologiques, mais, par exemple, des curiosités géologiques. Les populations locales m’ont montré, en 2006, une colline qui contient des fossiles gigantesques de mammifères marins. Elle fait maintenant partie de l’itinéraire.  Telle qu’elle est conçue aujourd’hui, la randonnée s’achève à Cahuachi, avant le survol**** des lignes de Nazca. Nous souhaitons développer les haciendas où nous avons les chevaux, pour y loger les voyageurs.  Avec l’argent, nous sensibilisons les enfants des écoles. Nous souhaitons faire découvrir à tous les Péruviens - y compris les plus défavorisés - le monde du cheval et le monde de l’archéologie. Dans ce cadre, mes partenaires péruviens et moi envisageons de créer un petit centre équestre.

 

Où peut-on se renseigner sur votre randonnée ?

Il suffit d’aller sur notre site Internet www.tambopampa.com mais aussi sur www.cheval-daventure.com et www.cavalrando.com qui proposent notre premier circuit appelé “La Ruta del Puma”.    http://www.tambopampa.com/francais/francais.html                 

Propos recueillis en 2007 / 2010