Erwan Duffait
Historien et docteur en archéologie.
Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Voie pavée à l’entrée de Machu Picchu. © E. Duffait

Entrée principale de Machu Picchu. © E. Duffait

Secteur cérémoniel dans la partie nord-ouest de Machu Picchu © E. Duffait

Édifice utilisé pour déterminer les solstices à Machu Picchu. © E. Duffait

Terrasses et bâtiment au sommet du Wayna Picchu © E. Duffait

Chaîne du Choquetacarpu vue depuis Machu Picchu. © E. Duffait

Rocher taillé à Machu Picchu et montagne Yanantin en arrière-plan. © E. Duffait

Machu Picchu et la montagne Wayna Picchu. © E. Duffait

Glacier Wakaywilca vu depuis Machu Picchu. © E. Duffait

Place centrale de Machu Picchu et secteur nord-est. © E. Duffait

Place cérémonielle dans le secteur nord-ouest. © E. Duffait
L’image qu’on se fait de Machu Picchu est brouillée par un certain nombre de légendes et d’idées fausses. Avant de les passer en revue, une première question : à quel souverain Inca appartenait cet établissement ?
Machu Picchu était l’une des quatre résidences royales de la cordillère de Vilcabamba. Elle appartenait, selon les textes coloniaux, au souverain inca Pachacuti qui possédait également les établissements de Vitcos, Vilcabamba et, entre autres, à l’extérieur de la cordillère, les résidences et domaines royaux d’Ollantaytambo et de Pisac. Machu Picchu faisait partie d’un domaine royal composé de la résidence avec ses bâtiments finement taillés et sculptés, un système de terrasses et, aux alentours, des sites satellites, à l’exemple, de Intipata ou Winaywayna, ces sites que l’on peut parcourir aujourd’hui le long du « Chemin de l’Inca ». Plus on s’éloigne du cœur du domaine et de la résidence royale, et moins il y a d’architecture inca. Le cœur du domaine royal, composé de la résidence et des sites satellites, laisse ensuite place aux forêts, pâturages et gisements miniers qui apparte- naient aussi au souverain. A Machu Picchu, on se trouve donc au sein d’un domaine royal et d’une des résidences royales les plus importantes de Pachacuti. Nous le savons grâce aux sources écrites coloniales. Sans elles, nous ne connaîtrions ni la vocation de ces sites, ni les noms des propriétaires des différents domaines royaux. Dans un document d’archive du XVIème siècle, que je mentionne dans mon travail et qui a été publié par Maria Rostworowski il y a maintenant quarante ans, les membres de l’élite inca de Cuzco indiquent que les souverains s’étaient chacun constitués des domaines royaux dont la fonction était de vénérer la mémoire du souverain et son ayllu, son lignage.
Qui habitaient ces domaines royaux ?
Les Incas n’ont pas construit les sites de Machu Picchu, de Vitcos ou Pisac pour y loger des agriculteurs. Ces sites éminemment sacrés étaient uniquement habités par les membres de l’élite inca, ceux liés au lignage. Tous avaient un statut élevé. Nous ne connaissons pas, de manière précise, le mode de fonctionnement interne de ces domaines royaux, parce que nous manquons de sources écrites. En revanche, nous savons que le souverain avait une épouse principale qui, d’après les textes, était sa sœur ou demi-sœur. S’y ajoutaient de très nombreuses femmes secondaires. Des concubines qui pouvaient être d’origine locale, de la région de Cuzco ou venant de territoires plus lointains. Y en avaient-ils à Machu Picchu ? C’est une hypothèse, une probabilité. Mais il importe de signaler que les personnes qui cultivaient les terres des domaines royaux, sur les terrasses de Machu Picchu ou de Pisac ou de Choquequirao, habitaient des sites annexes. Peut-être des habitations en matériaux périssables dont il ne reste rien. Ces populations venaient sans doute aussi de régions périphériques, au moment des récoltes et des semailles, avant de retourner chez elles. Il est difficile de savoir, archéologiquement, où vivaient ces agriculteurs.
Comme il est souvent dit, le site de Machu Picchu a-t-il été abandonné ?
Contrairement à ce qu’on peut entendre ou lire, Machu Picchu n’a pas été abandonné au moment de la conquête espagnole, c’est-à-dire à la fin des années 1520 ou au début des années 1530. Sur ce sujet aussi, nous disposons de divers documents d’archives du XVIe siècle, une dizaine quifont explicitement référence à ce site.
Vous voulez dire que les Espagnols l’ont connu ?
Effectivement. Lorsqu’ils sont arrivés à Cuzco, les Espagnols ont très vite compris que les terres agricoles les plus riches de la région - dans les vallées de l’Urubamba et de l’Apurimac - appartenaient aux souverains et aux membres de leurs lignages. Nous savons que l’établissement de Machu Picchu a été octroyé en encomienda à Hernando Pizzaro, le frère de Francisco Pizzaro, en 1539. A ma connaissance, le document qui fait état de cet octroi est le plus ancien qui mentionne le nom du site dont le toponyme original est Pisco ou Pichu. Ce même document, aujourd’hui aux archives des Indes à Séville, mentionne qu’Hernando Pizarro avait également reçu en encomienda Ollantaytambo, Choquequirao, Vitcos, Vilcabamba et d’autres villages dans la région de Cuzco et dans l’actuelle Bolivie. A ce propos, il est intéressant de noter que la majorité des documents du XVIème siècle qui font référence à Machu Picchu datent des années 1560. Pourquoi ? Parce que à cette époque, il y avait des tractations entre la Couronne espagnole et l'inca Titu Cusi qui souhaitait récupérer Machu Picchu. Sans doute le considérait-il comme un site important, parce qu’il avait appartenu à l’un de ses ancêtres et qu’il présentait certainement, pour lui, une dimension symbolique et religieuse.
La couronne lui a-t-elle rendu Machu Picchu ?
Oui, mais avec une contrepartie. Titu Cusi a du accepter que des ecclésiastiques, dont les fameux augustins Marcos Garcia et Diego Ortiz, viennent christianiser les populations sous son contrôle, notamment, à Machu Picchu et dans la zone de Vitcos et de Pampaconas. Deux documents d’archives le mentionnent. Nous savons que l’un de ces ecclésiastique se rendait à Machu Picchu à cheval et que les populations devaient nourrir l’animal avec du foin. En fait de conversion - l’anecdote est amusante -, il est rapporté que de nombreux habitants fuyaient à son arrivée, car il n’hésitait pas à fouetter ceux qui rechignaient à abandonner leurs croyances. Par un autre document important de ces mêmes années, nous apprenons que Titu Cusi, avant de récupérer Machu Picchu, organisait régulièrement des raids avec ses soldats pour piller les récoltes, attaquer et incendier les villages sous contrôle espagnol. Y compris Machu Picchu qui, sur son ordre, a été en partie brûlé en 1561 ou 1562. Quelques années plus tard, en 1565, un diplomate espagnol, Diego Rodriguez de Figueroa, a rencontré Titu Cusi dans le cadre de pourparlers. Il nous a laissé un document exceptionnel qui fait état, lui aussi, du site de Machu Picchu. Dans ce véritable journal de bord, cette « relacíon », il indique tous les lieux par lesquels il est passé et précise qu’après avoir franchi le fleuve Urubamba, il a dormi dans un endroit abandonné d’où partait un chemin qui conduisait, écrit-il, à Pichu. En quechua, le mot Pichiu ou Pisco signifie oiseau. Cette étymologie n’a donc rien à voir avec l’étymologie actuelle qui laisse entendre que Machu Picchu signifierait le “vieux pic”, puisque machu se traduit par vieux en quechua. De fait, picchu serait une déformation du mot espagnol pico, qui signifie pic. D’où la traduction de Machu Picchu, par vieux pic, vieille montagne.
Les derniers Incas ne se sont pas réfugiés à Machu Picchu à l’arrivée des Espagnols. De même, ils n’ont pas fuit le site pour le laisser à l’abandon, mais il va tout de même se vider de sa population…
Un document atteste que Machu Picchu était encore habité en 1595. Il y restait quelques habitants. C’est après, au tout début du XVIIe siècle, qu’il va être totalement abandonné quand les Espagnols établirent, de manière méthodique, ce que l’on appelle des villages de réduction. C’est le vice-roi du Pérou Francisco de Toledo (1569-1581) qui est à l’origine de ce déplacement des populations qui va progressivement contraindre les Indiens à quitter nombre de leurs villages et à se regrouper.
Pourquoi ?
Les raisons sont diverses. L’habitat des populations andines était de type dispersé. Les gens vivaient surtout au sommet des montagnes, sur les crêtes. Il était donc très difficile d’accéder aux villages et de les contrôler. En les regroupant, il devenait plus facile de percevoir les impôts et surtout de christianiser les Indiens.
Parce que les villages de réduction comprenaient tous une église…
Évidemment. Les Espagnols ont vite constaté que les populations andines pratiquaient le culte des ancêtres et que ce dernier était étroitement lié au territoire. En arrachant les gens à leur terre, les Espagnols pensaient que les Indiens allaient quitter leurs croyances. C’était l’un de leurs objectifs. Mais cette tentative a été un échec. Aujourd’hui encore, même si les cultes ne sont plus les même après 500 ans de syncrétisme, il y a toujours une vénération des montagnes, des divinités et des apus. Pour revenir au nom du site, il faut savoir que les Indiens, lorsqu’ils délaissaient leurs villages, les appelaient Machu. Tous devenaient ainsi les « vieux villages », les « anciens ». Le toponyme Machu Picchu est apparu au XVIIe siècle après que les Indiens aient quitté le lieu. Par la suite on a des documents d’archives qui datent de toutes les époques et qui mentionnent le site : XVIIIe, XIXe siècles… Bien entendu, il y a des hiatus concernant l’histoire de Machu Picchu, mais ce n’était pas un site inconnu, y compris au sommet de l’état espagnol.
Qu’est-ce qui caractérise réellement Machu Picchu ?
Ce qui en fait sa beauté - ce qui nous émerveille -, c’est, entre autres, son excellent état de conservation. Certains sites de la cordillère, tel Vitcos, étaient à proximité de villages occupés et donc sujets à des destructions par les habitants qui venaient prélever les pierres des constructions pour les réutiliser. Machu Picchu, au contraire, a été protégé parce que le site est isolé des grandes voies de communication. Le village le plus proche, Ollantaytambo, est situé à une trentaine de kilomètres. L'éloignement des populations humaines, les difficultés d'accès et la végétation favorisent le bon état de conservation des sites archéologiques.
Le site de Machu Picchu était-il majoritairement peuplé de femmes ?
Lorsque Hiram Bingham et son équipe effectuent des recherches et des fouilles, au début du XXème siècle, ils mettent au jour environ deux cents squelettes. L’ostéologue qui les accompagne, Georges Eaton, déduit de l’analyse des ossements que la majorité d’entre eux provient de femmes. C’est à partir de cette conclusion que Bingham écrit que Machu Picchu était peuplé majoritairement de « femmes choisies », de vierges, d’acllas. Le problème, c’est qu’à cette époque les anthropologues prenaient essentiellement des mesures du crâne pour différencier les hommes des femmes. On sait depuis qu’il faut surtout analyser les os du bassin… De fait, tous les ossements mis au jour par l’équipe de Bingham ont été ré-analysés par l’anthropologue américain John Verano, qui a constaté que le ratio hommes/femmes est en réalité équilibré. Il a même retrouvé des ossements de jeunes enfants. Donc, Machu Picchu n’était pas une cité peuplée de vierges.
De l’alignement des sites sur les montagnes voisines…
Là, en revanche, l’information est exacte. Machu Picchu, Vitcos, Vilcabamba et Choquequirao sont alignés sur les glaciers les plus importants et les plus élevés de la région selon des orientations nord-sud.
De la fonction astronomique de certaines structures…
Nous savons que plusieurs d’entre elles, comme celle qui a été baptisée Torreon, avec son mur de forme curviligne, avait une fonction astronomique. D’autres structures, à la fonction identique, permettaient en observant l’ombre portée de certaines pierres, ou la lumière du soleil à tel moment, de calculer les solstices et les équinoxes.
Machu Picchu était-il voué, comme on peut le lire, à la production de coca ?
La coca a besoin de chaleur et d'humidité. L’échelle d’altitude pour qu’elle produise de manière optimale s’étage entre 1000 et 2000 mètres. A Machu Picchu, autour de 2 400 m, nous sommes à la limite. De fait, lorsque Bingham est arrivé sur le site, en 1911, certaines terrasses étaient cultivées par des agriculteurs. Mais n’y étaient plantées alors que des variétés de maïs et différents tubercules ainsi que des piments et poivrons. Faire de Machu Picchu un haut lieu de production de coca mériterait d'être confirmé par des preuves scientifiques tangibles dont nous ne disposons pas encore aujourd'hui: des sources écrites coloniales et des données palynologiques. En réalité, et pour ne considérer que le plan agricole, ce qui fait l’intérêt de la cordillère de Vilcabamba, c’est sa topographie très accidentée, avec ses versants prononcés, supérieurs à 40 %. Au fond des vallées poussent les produits des basses terres chaudes et, en quelques heures de marche, on accède à toute la gamme des produits agricoles cultivables. Cette situation est très singulière car dans la majorité des Andes, on est obligé de marcher plusieurs jours pour trouver ces mêmes produits.
Faut-il mesurer l’importance des résidences royaes au nombre de leurs structures ?
Machu Picchu compte environ deux cents structures. A Vitcos et à Choquequirao, il y en a entre cent et cent cinquante. Ce qui est relativement peu. Cela montre que les résidences royales étaient de petits établissements. Le cas de Vilcabamba est particulier parce qu’on y trouve quatre cents structures, dont bon nombre avec une architecture de plan circulaire qui n’est peut-être pas d’origine inca. Maintenant, ce qui fait l’importance d’un site, ce n’est pas le nombre de structures, mais les lieux sacrés qui y sont présents. En termes de sacralité, le fameux rocher de Victos, appelé Yuraqrumi, avait, pour les Incas, une importance considérable.
Tous ces établissements étaient-ils construits sur le même modèle ?
Chaque domaine royal était constitué d’une résidence royale d’une centaine de structures ou davantage, bâtie avec des pierres de taille finement taillées et des moellons. A l’exception de Choquequirao où le matériau diffère. Là, c’est du micaschiste, prélevé sur place, dont les propriétés sont différentes de celle du granit utilisé à Machu Picchu et dans les autres établissements. Le granit, même s’il est dur, peut être assez facilement taillé et poli, même quand on veut en extraire une pierre à dix, douze ou vingt cinq angles. Le micaschiste, lui, se présente comme une sorte de millefeuille et ne permet d’obtenir que des blocs rectangulaires assez grossiers. Il en résulte que l’architecture de Choquequirao, du seul point de vue esthétique, est plus grossière. Mais il ne faut pas se focaliser sur l’aspect visuel des pierres. Il semble qu’il y ait eu, dans chaque résidence royale, un temple du soleil. On le sait grâce à la chronique de l’augustin Calancha qui indique justement qu’à Vitcos, dans un secteur du site, il y avait ce fameux rocher sacré, appelé Yuraqrumi, qui était au cœur du temple du soleil.
Parce que chaque résidence avait son temple Soleil…
C’est ce que nous apprennent les sources écrites et, notamment, Calancha. A l’occasion d’une analyse architecturale en comparant le complexe du temple du soleil de Vitcos aux divers ensembles architecturaux qui composent Choquequirao, j’ai pu identifier ce qu’est probablement le complexe du temple du soleil de ce site. On retrouve, dans les deux établissements, des structures incas à deux niveaux et à murs pignons, avec un rez-de-chaussée et un étage. Ces structures ont, à Vitcos et à Choquequirao, la même architecture. Il est beaucoup plus difficile d’identifier où se trouvait le complexe du temple du soleil à Machu Picchu. Il était vraisemblablement dans la partie ouest du site. Là où se trouvent les structures qui comportent l’architecture la plus fine. C’est-à-dire dans le secteur du célèbre rocher baptisé Intihuatana. Rocher qui a été endommagé, il y a plusieurs années, par une grue au cours du tournage d’une publicité pour une bière péruvienne. Nous ignorons d'ailleurs comment ce type de rocher taillé était appelé par les Incas, mais il avait très certainement des fonctions astronomiques pour fixer le calendrier agricole et religieux.
A quoi servait cette plate-forme que l’on appelle ushnu ?
Le mot ushnu est présent dans les sources écrites. Il n’a pas été inventé par les Espagnols ou les archéologues. D'après certains ecclésiastiques qui connaissaient bien les croyances des populations andines, un ushnu était un type de plate-forme très particulier, de forme rectangulaire, avec une rampe d’accès. L’ushnu était construit au milieu des places des « centres administratifs incas ». Autant dire que le territoire inca comptait nombre d’ushnus. Le plus grand est celui de Vilcashuamán (Ayacucho). Cuzco en comptait deux : l’un sur la grande place centrale et un autre plus petit sur la place Limacpampa Grande, pas très loin du temple du Soleil. Au cours de mon travail de thèse dans la cordillère de Vilcabamba, j’ai pu me rendre compte qu’il existait différents types de plates-formes. J’ai identifié trente plates-formes le long des voies. Certaines construites en dur ont des formes quadrangulaires, d’autres sont accolées aux voies et en font partie intégrante. Il y a d’autres plates-formes qui, en réalité, sont des rochers qui en font office. A Choquequirao, par exemple, il n’y a pas de plate-forme, mais une petite colline dont la partie sommitale a été arasée par les Incas et ceinte d’un muret. Là, il s'agit donc d'un enclos, avec une porte d’accès au nord. Peut-être y en avait-il une seconde au sud, mais le mur est en très mauvais état. Pour en revenir à votre question, toutes ces plates-formes avaient une fonction cérémonielle. Elles constituaient un espace sacré où les Incas faisaient des offrandes, de coca, de nourriture, des sacrifices de cochons d’inde et de camélidés, afin de vénérer les ancêtres, les divinités, le soleil. Peut-être y avait-il aussi des observations astronomiques réalisées sur ces plates-formes ? C’est ce que signale Garcilaso de la Vega. Nous savons aussi, d’après les sources écrites, que les Incas passaient en revue l’armée depuis ces plates-formes. Ce n’est pas surprenant les ushnu symbolisaient le pouvoir, la puissance et la domination inca sur les populations locales. Mais en ce qui concerne les trente plates-formes que j’ai pu identifier le long des voies de la cordillère de Vilcabamba, aucune ne semble correspondre aux caractéristiques d’un ushnu. Sans doute ces plates-formes n’avaient-elles qu’une fonction éminemment et uniquement cérémonielle. Pour vénérer telle montagne ou glacier. En tout cas, c’est mon opinion.
Peut-on dire que Machu Picchu n’a pas encore livré tous ses secrets ?
Sans aucun doute. Même si les Péruviens travaillent à Machu Picchu depuis les années 60, nous sommes loin de connaître l’ensemble du site, parce qu’une partie, notamment celle de la montagne appelée Waynapicchu, demeure sous la végétation. Certes, lorsqu’on grimpe au sommet, les toursites peuvent constater que les Incas y ont établi des terrasses et des structures, mais en contrebas, vers l’Urubamba, certains secteurs n’ont pas encore été dégagés. En réalité, nous ignorons encore l’étendue totale et le nombre de structures précises à Machu Picchu.
Partagez-vous l’idée que Machu Picchu risque un jour d’être victime de son succès ?
Plus les années passent et plus le nombre de touristes augmente à Machu Picchu. Aujourd’hui, il y a presque un million de touristes qui visitent le site chaque année. C’est énorme. Cela signifie que, chaque jour, Machu Picchu est piétiné par plus de 2500 personnes. Beaucoup plus que lorsque l’établissement était occupé à l'époque préhispanique et qu’y vivaient sans doute moins de 1000 résidents. Aujourd’hui, Machu Picchu risque d’être endommagé suite au piétinement, mais pas uniquement. Le problème le plus grave, c’est le climat avec les précipitations qui pénètrent dans les sols et qui les fragilisent. Il y a là, potentiellement, un risque réel de glissement de terrain, d’éboulement. Ce flot interrompu de touristes aggrave l’instabilité des sols. Si un jour, une partie de Machu Picchu s’effondre, il ne faudra pas s’en étonner. Ce sera très dommageable pour le tourisme de Cuzco et du Pérou et, bien sûr, pour le patrimoine mondial. Reste que le site est particulièrement bien conservé et très impressionnant. C’est pourquoi, malgré les risques, Machu Picchu n’est pas prêt d’être détrôné et demeurera, pour longtemps encore, le site péruvien le plus visité par les touristes.
Alors que vous avez prospecté les voies incas sans voir âme qui vive…
La cordillère de Vilcabamba couvre entre cinq et six mille kilomètres carrés. Elle compte aujourd’hui entre vingt et vingt cinq mille habitants. La population se concentre dans une demi-douzaine de vallées et, entre celles-ci, on ne croise il est vrai quasiment personne. C’est ce que j’ai constaté, au cours de mes prospections, en couvrant à pied plus de 700 km. Ce qui est frappant c’est la beauté des paysages. Avec ces montagnes gigantesques qui dominent à plus de 6000 mètres une forêt verte de très haute altitude. Dans cette région, on se retrouve rapidement seul face à la nature. A l’époque inca, vivaient ici probablement moins de dix mille habitants. L’impression de solitude devait y être encore plus marquée. Sur un territoire que les souverains incas s’étaient octroyé et d’autant moins peuplé qu'une partie des populations locales ont, probablement, été déplacées vers d’autres régions.
Propos recueillis en juin 2014